PREMIERE PARTIE :

LA PAROISSE AU SORTIR DE LA REVOLUTION,

RUPTURE OU CONTINUITE ?

 

 

1. "L'année terrible" à Saint-Marceau

 

 

a) L'inondation de janvier 1789

 

L'année 1789 commence pour la paroisse Saint-Marceau de manière catastrophique.

 

L'hiver 1788-1789 avait été rigoureux. Depuis novembre, le thermomètre restait en dessous de zéro, entraînant la prise des glaces. Celles-ci pouvaient atteindre jusqu'à trente deux centimètres d'épaisseur.

 

Jean-François Rozier() , annaliste orléanais (1762-1854), dont le père, greffier du bailliage d'Orléans possédait une maison de vigne à Olivet, nous a laissé dans ses mémoires le souvenir de la journée du 18 janvier, date à laquelle la Loire, grossie par de nouvelles eaux, suite à un "dégel fort doux", souleva "l'énorme mur de glace qui couvrait entièrement son lit". Face à la pression des glaces, les levées de la rive gauche cédèrent en amont d'Orléans, à la hauteur de Saint-Denis-en-Val, sauvant paradoxalement le pont d'Orléans car les eaux déchaînées s'engouffrèrent dans le Val :

"Bientôt cinq lieues entières du pays le plus riche, le plus fertile et le plus habité se sont trouvées submergées et la proie d'une multitude de courants de glaçons énormes". (F° 115)

"Il était réservé à l'année 1789 de faire le mariage de la Loire et du Loiret". (F° 115)

Toute la région était dévastée, les eaux semant partout la désolation :

" (...) maisons écroulées, d'autres à demi emportées; d'autres menaçant ruine; arbres déracinés; bois abattus; champs entiers de pépinières d'arbres et d'arbustes de tout genre anéantis; vignes disparues; clos de murs ou de haies renversées; meubles, effets, vins entraînés ou perdus dans les celliers (...) " (F° 117)

 

A Saint-Marceau, les religieux Augustins et Capucins ouvrent leurs portes aux sinistrés. D'après Lottin, on retrouva des bateaux dans la rue Dauphine, jetés par la fureur des flots !

 

En définitive, la débâcle de 1789 finit par ruiner une grande part de la population de la paroisse, touchée également par la crise de subsistance comme le reste d'Orléans. Dans ces conditions, lors de la préparation aux Etats généraux, les habitants du sud de la Loire vont en février, rédiger leurs cahiers de doléances.

b) Les Saint-marcellins, dans leur cahier de doléances, fustigent le haut clergé et revendiquent des privilèges vieux de 350 ans

 

Nous possédons en fait le cahier rédigé par une corporation bien précise, celle des pépiniéristes. Mais comme le fait remarquer Camille Bloch, dans son ouvrage regroupant l'ensemble des cahiers de doléances du bailliage d'Orléans(), le cahier de Saint-Marceau ne nous étant pas parvenu, "peut-être le cahier des pépiniéristes doit-il être regardé comme celui de la paroisse"().

 

Après des considérations d'ordre général sur la répartition future des trois ordres, les pépiniéristes égratignent au passage le clergé en regrettant les temps passés où les "ministres de la religion étaient (...) des modèles de vertu, de décence, de modestie, de modération, etc, sobres autant que religieux; observateurs de la loi sainte, ils méprisaient les richesses dont la possession ne peut s'accorder avec les devoirs de sacerdoce (...) Les choses de ce côté ont bien changé de face"().

 

La réalité des choses ne peut que leur donner raison. L'évêque Jarente d'Orgeval, qui a succédé à son oncle un an plus tôt, mène une vie de libertin. Comme le note Christiane Marcilhacy "les moeurs cléricales ne connaissent plus de retenue". Monseigneur fait ainsi chanoine de sa cathédrale le frère de sa maîtresse !

 

Expliquant que le Tiers-Etat ne peut à lui seul supporter l'ensemble des impôts, ils proposent l'augmentation des impositions du haut clergé "dans la proportion de ses richesses"().

"Si l'on retranchait de la société nationale nombre d'individus inutiles à cette société. Tous êtres qu'on peut regarder comme les sangsues du reste des citoyens. Qu'avons-nous besoin d'abbés commendataires? A quoi nous servent les moines ?"

"Les évêques, archevêques sont de beaucoup trop riches, tandis que nombre de curés, tant dans les villes que dans les campagnes, sont malaisés"().

 

Ces remarques sont le fruit de simples constatations faites par les gens de Saint-Marceau. De la fondation de l'église au XIIème siècle jusqu'à la Révolution, la paroisse possédait un prieuré dont le présentateur était l'abbé de Saint-Mesmin. Ce prieur était en fait "à peine connu et ne paraissant en aucune circonstance"(). Lors de son installation, comme en 1762, le prieur n'est entouré que de trois jardiniers et du sacristain-sonneur, sans la présence ni du curé, ni des vicaires. En comparant cette installation avec celle du curé Pierre-Jacques Couet, nommé en 1786 à Saint-Marceau en présence des trois marguilliers en exercice, des deux vicaires de la paroisse, du chanoine de Sainte-Croix, du curé et du sonneur de Saint-Pierre-Ensentellée, paroisse à laquelle Couet était vicaire, et de plusieurs habitants, on comprend facilement la désaffection et la nullité du rôle du prieur, seulement honorifique().

 

Les doléances envers les "sangsues" ne lui sont-elles pas ainsi destinées? Quant à Monseigneur L'évêque, suite à la débâcle de janvier, il se contenta de publier un mandement destiné à frapper les esprits, mais montra peu de générosité envers les inondés du sud de la Loire, les laissant à leur ressentiment.

 

Exposés à des pertes annuelles de leur production du fait des rigueurs climatiques (hiver, gelées de printemps, crues), ils s'estiment être victimes d'une injustice car "assujettis à des impositions aussi fortes que ceux qui n'essuyent point les mêmes désastres"().

 

A la suite du siège d'Orléans par les Anglais en 1429, plusieurs paroisses extra-muros (hors des murailles) se trouvèrent ruinées par les combats et les destructions préventives. Plus tard, ces six paroisses fournirent à leurs propres frais des munitions, des vivres et des hommes au Roi. Pour les récompenser, Charles VII par lettre patentes de 1429 et de 1437, les dispensa de différentes impositions. Confirmées jusqu'au règne de Louis XV, les pépiniéristes en souhaitent leur rétablissement, en espérant que Sa Majesté daignera "se rappeler leurs services et les preuves non équivoques de leur amour pour le Roi (...)"().

 

Cette persistance dans la revendication à travers les siècles peut laisser songeur. Les pépiniéristes de Saint-Marceau accèdent-ils seulement à un désir purement corporatif (maintien de privilèges) ou sont-ils réellement dans une situation de précarité telle qu'ils doivent avoir recours à des faits vieux de plus de 350 ans pour pouvoir subsister ?

 

Nous pensons pour notre part que la deuxième remarque doit être privilégiée. Les troubles frumentaires de l'été n'en seront que la preuve évidente.

 

c) La crise de l'été 1789 et l'émeute populaire du 12 septembre

 

La population orléanaise est nerveuse du fait de ses problèmes de subsistance. Comme le note André Bouvier dans son étude sur les manuscrits de Jean-François Rozier, dont nous avons précédemment cité ses souvenirs sur la débâcle de janvier, "le mois d'août se passe en alarmes continuelles; le Comité lutte de son mieux contre la disette, correspond avec les bourgs voisins pour obtenir que le ravitaillement d'Orléans ne soit pas arrêté au passage"().

En effet, après le discrédit porté sur la municipalité, deshonorée par son incapacité à rétablir la situation, un Comité provisoire de Sûreté et de Subsistances s'était formé le 19 juillet(). Par des mesures impopulaires, ce dernier, composé de bourgeois, attira la colère des faubouriens. Selon eux, certains membres du Comité accaparaient les grains et empêchaient les consommateurs de les acheter, aidés en cela par six compagnies de volontaires (formées en avril, à recrutement exclusivement bourgeois).

 

Le 12 septembre au matin, jour de marché, les habitants des Aydes, faubourg situé au nord d'Orléans, attaquent un convoi de blé. La troupe disperse rapidement les émeutiers, mais l'après-midi, une partie des habitants d'Olivet et de Saint-Marceau s'était rassemblée à la tête sud du pont (évalués par Rozier à 700 ou 800 personnes). Après des pourparlers avec des volontaires gardant la grille du pont, les insurgés forcèrent cet obstacle et se ruèrent en direction de la rue Royale, pendant que le tocsin sonnait à Saint-Marceau(). Les troupes envoyées par le Comité ouvrirent le feu dans la rue Royale puis refoulèrent les révoltés jusque sur la rue Dauphine où selon Rozier, qui faisait partie des volontaires lors de cette "journée de guerre civile"(), "cinq ou six personnes sont allés mourir de leurs blessures dans les rues adjacentes".

 

Devant la gravité de la situation, les autorités décident de faire un exemple, afin de calmer la population qui serait encore tentée de se soulever (il avait fallu contenir les mariniers de la Loire pour qu'ils ne participent pas à l'émeute). Michel Rimbert, marchand de vin et vinaigrier au Portereau Saint-Marceau, bien qu'étant lui-même volontaire à la septième compagnie (formée de Saint-marcellins) fut arrêté, jugé, condamné à mort et pendu la nuit même place du Martroi. Cette exécution arbitraire du soi-disant meneur de la révolte jeta "une tâche de sang entre la bourgeoisie et les couches populaires"().

 

Trois ans plus tard, la veuve Rimbert obtint la révision du procès et un jugement cassant et annulant la sentence qui avait amené son mari à la potence. Selon ce dernier, Rimbert en tant que volontaire avait négocié avec les émeutiers, puis voyant que la calme revenait, il était rentré chez lui. Malheureusement la situation s'étant de nouveau dégradée (voir ci-dessus), il fut considéré comme celui qui avait enflammé les faubouriens et fut arrêté.

 

Dans tous les cas, l'unité du Tiers-Etat est à jamais brisée(). Pour André Bouvier, cette journée marque le fait d'une guerre sociale entre la bourgeoisie qui défend ses privilèges et "une plèbe affamée qui souhaite seulement survivre". Rozier, bien que très partisan dans son témoignage (Rimbert est selon lui un "homme né pour le malheur de ces concitoyens"), n'a pas omis d'indiquer que les grands bourgeois ne s'étaient pas empressés de venir en aide aux inondés dans la distribution des secours. Les vignerons et les jardiniers du Val ne l'avaient sans doute pas oublié. Toujours est-il que Rimbert ayant payé pour toute la révolte, le Comité ne souhaitait pas s'en tenir là et préparait des mesures contre Olivet et Saint-Marceau.

 

Les paroissiens de Saint-Marceau envoyèrent plusieurs notables du faubourg afin d'obtenir le pardon des autorités

"(...) pour nous porter des paroles de paix et nous assurer que la plupart des révoltés leurs étaient absolument inconnus; que depuis un mois ils voyaient rôder dans leur faubourg des étrangers suspects, et que probablement ils étaient les principaux auteurs de cette conspiration"().

Flattés de cette députation, les volontaires pardonnèrent à la paroisse, "à ces malheureuses brebis égarées puisqu'elles reviennent au bercail"().

 

Après cette journée, la colère populaire ne se manifesta plus, le marché suivant ayant été pourvu en blé du fait de la bonne récolte de l'année. Le calme revint jusqu'à la fin de l'année.

 

2. Le prêtre réfractaire et les assermentés

(fin 1790-1795)

 

 

a) En 1790, Saint-Marceau est le faubourg d'Orléans le plus peuplé

 

Le début de l'année 1790, contrairement à la précédente, est d'une grande tranquillité pour Orléans. On en profite pour faire le dénombrement de sa population (relevé déposé le 14 septembre selon Lottin()) :

 

Orléans intra-muros 36 855 habitants

Faubourgs Saint-Marceau et Tudelle (sud) 5 109

Faubourg St-Jean, Madeleine et St-Laurent (ouest) 1 884

Faubourg Bannier (nord-ouest) 3 591

Faubourg Saint-Vincent (nord-est) 1 191

Faubourg Bourgogne (est) 891

Faubourg Saint-Marc (nord-est) 1 833

Total 51 354

 

Comme nous pouvons le noter, Saint-Marceau est le faubourg d'Orléans le plus peuplé et un des plus étendus.

 

En novembre, une nouvelle crue de la Loire, encore plus importante que la précédente. Les autorités agirent au mieux, mais l'absence d'archives consécutives à la réorganisation du territoire (création du département du Loiret) limita sensiblement les travaux, consistant seulement dans la surélévation des digues du Portereau au niveau de cette crue, jugée exceptionnelle. Comme l'écrit le service collectif des archives départementales dans son dossier consacré aux inondations de la Loire : "Le réveil fut brutal en 1846 !"(). (Voir dans la deuxième partie de cette étude).

 

b) Le départ du curé Couet

 

Le 12 juillet fut votée la constitution civile du clergé, puis le 27 novembre, la prestation obligatoire de serment à la nouvelle constitution. A Orléans, il n'y eut guère de refus, Jarente d'Orgeval étant l'un des quatre évêques de tout le royaume à accepter la constitution civile. Signe du déclin des mentalités religieuses, la majeure partie du clergé suivit son évêque (dans l'ensemble du diocèse, il n'y eut que 48 réfractaires seulement sur les 504 ecclésiastiques soumis au serment). Quelle fut la réaction du clergé de Saint-Marceau ?

 

Pierre-Jacques Couet, né en 1756 à Orléans, était le curé de la paroisse depuis 1786. Il avait comme vicaires Gabriel-Maurice Lenormand (1761-1812) et Charles-Jean Sinson de Beaulieu, né en 1767, successivement vicaire de Rebréchien (nord-est d'Orléans), de Saint-Michel-de-l'Etape à Orléans puis de Saint-Marceau.

 

Le curé et ses deux vicaires exercèrent jusqu'en décembre 1790 puis refusant le serment, furent destitués. Alors que Sinson de Beaulieu partait pour l'Angleterre, le curé Couet resta sur Saint-Marceau jusqu'à sa mort en 1795. Nous en reparlerons. Ainsi ce prêtre se démarqua de son évêque en restant fidèle à ses convictions.

 

 

 

 

c) Jean-François Pataud, le prêtre révolutionnaire

 

La nouvelle réorganisation des paroisses

 

Par décret du 9 janvier 1791, l'Assemblée Nationale réduisit le nombre des paroisses d'Orléans. De vingt cinq en 1790, elles ne furent plus que six(), à savoir: Sainte-Croix, Saint-Paul, Saint-Paterne, Saint-Laurent, Saint-Euverte et Saint-Marceau, cette dernière étant la seule à changer de prêtre. Saint-Marceau eut donc l'honneur d'être la première paroisse à être pourvue d'un nouveau curé assermenté.

 

L'abbé Pataud est élu curé de Saint-Marceau

 

Suivant la loi, l'assemblée électorale du district d'Orléans se réunit afin d'élire celui-ci. Jean-François Pataud obtint la majorité des suffrages. Intronisé par son évêque le 26 février 1791, il fut installé dans sa paroisse le lendemain, escorté de gardes nationaux et de la municipalité (voir en annexe le récit de cette mise en possession).

 

Né en 1752 à Orléans, paroisse Saint-Pierre-le-Puellier, d'un père tanneur, il fut vicaire de Romorantin puis de Saint-Paterne avant d'être élu en 1791 à Saint-Marceau. Avant cette date, il avait déjà montré ses sentiments patriotiques. Lottin, dans ses Recherches historiques, indique qu'en novembre 1789, l'abbé Pataud fut un des citoyens qui firent l'offrande de leurs boucles de chaussure à la nation, en les déposant à l'Hôtel de Ville(). De plus, selon Charles Cuissard, bibliothécaire de la ville qui consacra en 1903 une étude à Jean-François Pataud, "Pataud suivit l'exemple de son évêque et ne craignit pas de faire partie des chambres de lectures, précurseurs des clubs (...)"().

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les 26 paroisses d'Orléans jusqu'au 9 janvier 1791()

(les 6 paroisses conservées après cette date sont soulignées)

 

Son action sacerdotale

 

Le curé intrus se plaça sur deux niveaux. Tout en observant les nouvelles lois et en assistant aux différentes fêtes révolutionnaires, il continuait de célébrer la messe et d'enseigner le catéchisme aux enfants de la paroisse. Malgré une situation difficile où il fallait concilier les opinions souvent contraires de ces paroissiens, il tentait de maintenir le rôle traditionnel d'assistance aux pauvres dévolus à son sacerdoce. La propriétaire du château de Guignegaud sis à Saint-Marceau dit un jour à Pataud :

"Je déteste le curé de Saint-Marceau. Intrus et jureurs sont mes bêtes noires; mais je respecte Monsieur Pataud, au point que rien ne peut ajouter à mon estime pour ses connaissances et à ma confiance pour ses vertus morales. Je n'irai jamais à sa messe, ni à son prône; qu'il me demande la moitié de ma fortune pour les pauvres, il est sûr de l'obtenir"().

Pataud répondit que la difficulté des temps l'obligeait à recevoir tous les avis et que, tenant peu à sa cure, il promettait "tous les jours au curé Couet de lui céder la place, dès qu'il pourrait l'occuper sans contestation"(). Nous remarquons ici le maintien de l'ancien curé Couet sur le sol de la paroisse, vivant plus ou moins clandestinement pendant toutes ces années.

 

A partir de la chute de Louis XVI, la situation se radicalise : suppression des congrégations enseignantes, des confréries, interdiction de l'habit ecclésiastique, mise en vente des biens des fabriques, réquisition des trésors des églises et descente des cloches.

 

Le 13 décembre 1792, les fabriques d'Orléans, trop endettées vis-à-vis des ouvriers, sont autorisées à vendre "des vieux fers, grilles, bancs, armoires et autres objets inutiles (...)"().

 

Le 15 mars 1793, des jeunes gens attaquèrent rue Dauphine deux députés de la Convention qui se rendaient en Auvergne, et leurs crachèrent au visage. Un mois plus tard, une cérémonie expiatoire eut lieu à l'endroit même de l'attentat et la rue Dauphine fut aussitôt appelée "Chemin des Fédérés"(). Le faubourg Saint-Marceau prit le nom de faubourg de la Fraternité() du nom de la section installée dans le quartier.

 

On assista le 30 mai à des scènes scandaleuses, jour de la procession de la Fête-Dieu de Saint-Marceau (encore autorisée). Tandis que cette dernière passait dans les rues du faubourg, des jeunes gens et des soldats (venus de Paris) essayèrent d'enlever la couronne sur l'ostensoir. Le curé Pataud réussit à la conserver en la cachant sous ses vêtements.

 

Cet événement eut une conséquence inattendue. En effet, dans la nuit même, un froid rigoureux et inattendu gela une grande part des vignes de Saint-Marceau. Preuve de leur religiosité, les vignerons de ce canton, note Lottin :

"attribuèrent ce malheur au scandale de la veille arrivé à la procession de la Fête-Dieu de leur église. Ils se rassemblèrent en grand nombre, et peu s'en fallut que les cultivateurs désespérés ne vinssent dans la ville, malgré les exhortations et les prières de leur pasteur, pour punir les auteurs du sacrilège, auxquels ils attribuaient la cause de leur infortune"().

 

Le 17 août eut lieu une fête patriotique à la section de la Fraternité ainsi que la plantation d'un arbre de la Liberté au bout du pont, près des tourelles. L'abbé Pataud en fut l'officiant et l'orateur. Il bénit l'arbre avec grande cérémonie et prière au son de la "Marseillaise" et de "Ca ira".

 

Pourtant, malgré ces preuves évidentes de civisme et de soutien à la République, le curé intrus de Saint-Marceau n'avait pas que des amis. Il manqua d'être arrêté à plusieurs reprises. Le 14 janvier 1793 (25 nivôse an II de la République), la section de la Fraternité lui délivra le certificat de civisme suivant:

"La section, ayant mûrement examiné la conduite du citoyen Pataud, n'a reconnu en lui qu'un civisme pur et bien prononcé, ce qui est à notre connaissance, dans les occasions suivantes :

"D'avoir substitué des écoles primaires, dont les instituteurs développent aujourd'hui, avec les principes chrétiens, une morale plus républicaine;

"D'avoir, sous inspection des autorités constituées, établi une agence pour les pauvres de la section, aussi favorable au patriotisme qu'à l'humanité;

"D'avoir, quand il était question de souscrire pour la patrie ou pour ces défenseurs, toujours été l'un des premiers à ouvrir des souscriptions ou à les remplir;

"D'avoir établi que l'amour de la patrie ne peut exister sans vertu, et prêché, dans le discours de la fête de Saint-Marceau que nous sommes tous égaux par la nature et frères par la société;

"De n'avoir jamais intrigué, pour obtenir une place au bureau de la section, mais soutenu très énergiquement qu'il était du devoir d'un vrai républicain de préférer l'art de bien faire à l'art de bien dire;

"D'avoir fourni, pour les bannières de la section, les devises suivantes:

C'est du fils de César que Caton fit Brutus;

Un laurier pour Caton, un poignard pour César;

Une heure de liberté vertueuse vaut mieux qu'un siècle d'esclavage"().

 

Son arrestation

 

Malgré toutes ces preuves évidentes de civisme, la position ambiguë du prêtre à cette époque ne pouvait pas subsister. La radicalisation de la politique entraînait de choisir clairement son camp. Bien qu'ayant pour ami le représentant de la Convention à Orléans, Jullien de Toulouse, Pataud fut accusé d'avoir inspiré l'incident du 15 mars à l'encontre des deux conventionnels(). Aucune preuve ne fut trouvée.

 

Le 22 août 1793, le curé de Saint-Marceau, alors président de la section des Fédérés, fut accusé de fédéralisme. En septembre, la Terreur s'abattit sur Orléans en la personne du représentant du peuple Laplanche, l'un des commissaires chargés par le Comité de Salut Public de "révolutionner les habitants, et passer au creuset sans-culotte les diverses administrations ci militaires, ecclésiastiques, etc"().

 

Pataud fut arrêté sur son ordre le 8 septembre et transféré à la Conciergerie, considéré comme "perturbateur du repos public et fauteur des déchirements de la Vendée"(). A sa place, il nomma Fromental, un vicaire épiscopal qui refusa un mois plus tard de rester à la cure (après avoir prêté serment en l'église le 6 octobre, comme l'atteste un document conservé aux archives municipales et que nous avons reproduit en annexe, le texte y étant sensiblement le même pour chaque prestation de serment). Son successeur eut le triste privilège d'assister à l'interruption du culte à Saint-Marceau et au saccage de son église, comme dans tout le reste du pays.

 

d) Un ancien évêque devient curé de l'église avant sa fermeture au culte

 

L'ex-évêque d'Angoulême à Saint-Marceau et sac de l'église

 

La veille de son départ, le 19 octobre, le commissaire Laplanche nomme Vincent Joubert à la cure de Saint-Marceau. Ex-évêque de la Charente, né en 1748, il vint habiter le presbytère avec sa femme et ses enfants.

 

Selon des notes envoyées par le chanoine Billard au curé de Saint-Marceau en 1898 relatives aux anciens curés de la paroisse(), "c'était l'époque de la débâcle, alors que furent supprimés évêques et vicaires épiscopaux, il leur fallut se réfugier dans quelque cure, sous peine de crever de faim... Les gens de Saint-Marceau n'ont pas du lui faire grand accueil". De toute façon, Joubert vint à une époque où le rôle du prêtre n'était plus reconnu: la Terreur battait son plein.

 

Le 10 novembre, les autorités fermèrent les églises qui étaient encore restées ouvertes pour le service des prêtres assermentés et le culte catholique fut interrompu(). A partir de cet instant, tous les prêtres, réfractaires ou assermentés furent obligés de se cacher.

 

Trois jours plus tard eut lieu le sac de l'église : le 23 brumaire an II : "une trentaine de sans-culottes se rendent à l'église Saint-Marceau d'Orléans accompagnés d'un commissaire de police, suivis d'une petite voiture traînée par deux hommes; arrivés dans le temple, ils enfoncent, brisent les meubles de la sacristie, même le tabernacle, ils chargent les ornements sur la petite charrette, et les conduisent en chantant leur triomphe par des airs révolutionnaires, jusqu'à la municipalité, non sans avoir, dans le trajet, volé franges, glands et galons en or et en argent"().

 

Le 26 novembre, le jour même où le comité révolutionnaire du Loiret invite le maire et les officiers municipaux à se porter dans les églises pour enlever ce qui peut rester des ornements ("Il faut détruire jusque dans les plus profondes racines cet horrible fanatisme (...)"()), Joubert vient au conseil général de la commune déposer ses lettres d'évêque, de prêtre et renonce à toutes fonctions du culte catholique()(). De sa prison de Paris, Pataud fit de même(), ainsi que le vicaire Brucy de Saint-Marceau, qui choisit d'exercer le métier de fabricant de poudre.

 

Le 9 décembre, on décida la destruction de la croix de Saint-Marceau "qui offusque les yeux des sans-culottes". "Dans le domaine religieux, le temps n'est plus à la déchristianisation essentiellement négative de novembre, mais à l'établissement d'un culte nouveau"(). Un temple de la Raison est inauguré. Quant à l'église Saint-Marceau, elle est devenue club des Jacobins, ce qui eut le mérite de la préserver de toute destruction, mais non de dégradations.

 

L'interruption du culte - L'église devient orangeraie

 

"Ante règne de l'église du premier dimanche de l'Avent de l'an 1793 au jour de la Somption de la Saint Vierge année 1795".

 

C'est par ces quelques mots que le registre des délibérations de la fabrique mentionne au dos de la page 62 la suspension de l'exercice du culte à Saint-Marceau. "Ante règne" car avant le retour du curé Couet, mais ce mot ne peut-il pas, dans le contexte de l'époque, être rapproché du mot antéchrist, dans tout ce qu'il y a de diabolique ? N'oublions pas que les fidèles fabriciens qui rédigèrent les notes du registre durent voir cette époque de deux années comme telle.

 

Leur église fut ainsi transformée en orangeraie ! En effet, selon Lottin, la municipalité d'Orléans avait fait placer à l'entrée du pont (la demi-lune), au sud, plusieurs orangers et autres arbres qui avaient été enlevés du château du Duc de Penthièvre, à Châteauneuf-sur-Loire. Placés en haies, ils étaient destinés à devenir un lieu de promenade. Pour leur éviter d'être touchés par le froid, on les apporta dans l'église, dont l'entrée avait été élargie afin de pouvoir les faire entrer. A cette époque, l'église était devenue "la maison Marceau" (1794)().

 

3. La prise en main des paroissiens de leur encadrement

pastoral jusqu'au retour de la légalisation de la pratique religieuse

(1795-1803)

 

 

a) La réouverture des églises et le "retour" du curé Couet

 

Après la chute de Robespierre le 10 thermidor (28 juillet 1794), la politique venue de Paris montre des signes d'une relative souplesse vis-à-vis du culte. Tandis que l'on supprime les comités de section, remplacés par le seul comité révolutionnaire, "que les organes révolutionnaires sont mis en sommeil, dénaturés ou supprimés"(), le représentant du peuple Porcher, envoyé par la Convention, permet le 5 avril 1795 (16 germinal an III) la liberté des cultes à Orléans.

 

En mars, on redonne l'usage des églises aux prêtres qui acceptent de prêter serment à la République. Selon Vassort, beaucoup de réfractaires acceptèrent(). On peut penser que le curé Couet, chassé de son église en janvier 1791, dut le faire car en juin il peut de nouveau présider les séances de la fabrique.

 

Le 15 juin, les habitants de Saint-Marceau réclamèrent la jouissance de leur église pour l'exercice du culte catholique. Le conseil accepta, à condition de donner le nom des ecclésiastiques devant la desservir, de présenter le certificat de leur soumission au serment exigé et de se charger des réparations et de l'entretien de l'édifice().

 

Ainsi, il fallut plus de quatre ans à l'ancien curé pour pouvoir exercer de nouveau le culte à Saint-Marceau, encore qu'il dut partager son temps de célébration avec les séances des sections, dont le siège était toujours l'église. Mais selon Lottin, tout cela se fit sans trouble car "souvent, ceux qui venaient d'assister aux prières d'un salut ou recevoir la bénédiction, faisaient ou appuyaient des motions républicaines, sans avoir besoin de quitter leur place"().

 

Les paroissiens de Saint-Marceau, assistés de leur ancien curé, vont prendre plusieurs initiatives en faveur de leur église() :

- Dès le 17 juin, à l'appel des fabriciens et du curé, les habitants se réunissent et envoient une pétition aux autorités car l'église, devenue temple de l'agriculture, "ça ne suffit pas, paraît-il, ces braves gens réclament leur église".

- Le 15 août, assemblée des habitants présidée par le "sieur Couet, curé". Douze commissaires (dont les marguilliers Marceau Laloue, Colas Desormeaux et Desfossé que l'on retrouvera en 1803 aux côtés du curé légitime après le Concordat) font connaître le produit d'une collecte organisée pour le rétablissement du culte : 7000 livres environ. Comme cela est insuffisant, on rétablira le casuel, la location des bancs et des chaises.

- Le lendemain, on arrête que cinquante-deux bons citoyens seront choisis et invités à fournir à tour de rôle, par semaine, le vin nécessaire aux messes (pas plus de deux bouteilles). Dans cette terre de vignerons, il ne devrait pas être très difficile de trouver ce produit.

 

Quinze jours après, le 5 septembre au soir selon le chanoine Billard, le curé Couet fut battu à mort dans les vignes à coups d'échalas (au 20, quai Neuf précisément, au domicile d'un marguillier, Desormeaux). Vengeance de sans-culottes furieux de revoir ce prêtre "insermenté" qui avait vécu caché pendant plusieurs années dans la paroisse même ?

 

Toujours est-il que par la force des choses, les habitants de Saint-Marceau vont alors procéder à quelque chose d'assez remarquable : après avoir vu passer, depuis Pataud, plusieurs prêtres imposés par les autorités civiles souvent incapables de tenir leur rôle en raison de leur collusion avec le pouvoir révolutionnaire, et comme le seul curé qui trouvait leur estime venait d'être assassiné, ils décidèrent de choisir eux-mêmes leurs pasteurs.

 

b) Les habitants de Saint-Marceau choisissent et élisent leurs prêtres

 

Extrait du registre des délibérations du conseil de fabrique :

"Le 24 prairial, an IV de la République [12 juin 1796], nous, "habitants de Saint-Marceau, assemblés pour pourvoir à la place "vacante du curé de cette paroisse, nommons et adoptons pour "notre pasteur le citoyen Claude-Etienne Babey, ci-devant gardien "de la maison et monastère des Capucins d'Orléans, lequel ayant "accepté le titre que tous lui déférons pour en remplir toutes les "fonctions, nous avons fait avec lui le traité suivant pour la fixation "du traitement et du casuel ..."

 

L'année suivante, 13 prairial an V, par un vote unanime, le citoyen Balichon est appelé à desservir la paroisse, concurremment et à titre égal avec Babey. Le traitement et le casuel seront partagés à égalité entre les deux hommes.

 

Ainsi ce sont deux prêtres qui vont, jusqu'au Concordat, s'occuper de la paroisse. Les habitants de Saint-Marceau ont choisi deux ecclésiastiques qu'ils connaissaient bien :

- Claude-Etienne Babey (1743-1806), originaire de Franche-Comté, avait été religieux pendant trente ans au couvent des Capucins situé à Saint-Jean-le-Blanc, tout près de la paroisse. Gardien de ce lieu, il en fut chassé lors de la fermeture en 1792(). Frère Dosithée reprit son nom de famille, Babey. Tout le monde le connaissait et cet homme restera à Saint-Marceau jusqu'à la réorganisation de la paroisse. En 1803, le nouveau curé (Dufresné) le gardera même comme vicaire jusqu'à sa mort trois ans plus tard. Il n'y eut donc plus de rupture.

- L'autre prêtre est natif de la paroisse, du portereau Tudelle (voir carte). Né en 1747 d'un père chirurgien, il desservira la paroisse jusqu'en 1803, date à laquelle il rentrera en cure.

 

A ce point de notre étude, nous sommes en droit de nous poser la question relative à ces élections : les habitants avaient-ils le droit de choisir leurs propres curés ? Ces derniers devaient-ils accepter leurs nouvelles fonctions ?

 

D'après le chanoine Billard, il faudrait répondre par la négative si l'on s'en tient aux principes. Il avance trois raisons d'accepter pourtant cette décision :

- les deux ecclésiastiques devaient être assermentés, mais ils avaient pu se rétracter;

- en 1795 et en 1796, les prêtres étaient tenus de produire une déclaration de soumission aux lois de la République, plutôt vague et conciliante;

- enfin, il faut penser que Messieurs Babey et Balichon obtinrent l'accord de Martin Blain, administrateur apostolique du diocèse de 1792 à 1802.

 

Ce dernier avait permis la réorganisation du clergé réfractaire(), en l'absence du pouvoir épiscopal (après Monseigneur Jarente d'Orgeval, il fallut attendre 1802 pour que le diocèse d'Orléans ait son évêque en la personne de Monseigneur Bernier).

"Dès lors, tout est dans l'ordre et pour le mieux. Ici, nous avons à constater les faits, et rien de plus; or il nous semble que les faits sont à la louange des habitants de Saint-Marceau, comme sera, cent ans plus tard, le fait de rebâtir église, clocher, et presbytère".

 

Dans un curieux rapprochement, le chanoine Billard, dans son étude sur Saint-Marceau parue dans les annales religieuses de 1913, met côte à côte l'élection de deux prêtres par les paroissiens et la reconstruction de l'église, débutée en 1888 ! C'est peut-être un peu trop facile, mais cela a le mérite de témoigner d'un certain attachement des Saint-marcellins pour leur prêtre et leur église, lorsqu'ils en avaient la possibilité.

 

c) La fin des troubles révolutionnaires

 

Jusqu'au coup d'Etat du 18 brumaire an VIII ( 9 novembre 1799), l'église était toujours destinée à servir de temple de l'agriculture, mais de plus en plus les différentes fêtes révolutionnaires (fêtes des Epoux, des Victoires, des Vieillards, de la République, etc) furent boudées par la population orléanaise. Le 18 janvier 1800, les deux prêtres de Saint-Marceau prêtèrent le nouveau serment relatif à la nouvelle Constitution de l'an VIII. Le Consulat fut pour beaucoup "le temps des espérances", selon l'expression de Jean Vassort(). Ainsi, le 14 octobre 1801, le premier Consul Bonaparte rétablit les soeurs de la Sagesse en France. Celles-ci purent revenir à Saint-Marceau en 1804 où elles tenaient depuis 1787 la direction de l'école de filles(). 1803 fut pour Saint-Marceau et le reste du diocèse l'année du rétablissement de la normale, avec l'arrivée d'un curé et de son évêque, tous deux légitimes.

 

Avant d'aborder cette période nouvelle, celle du Concordat, il nous a paru intéressant de faire un rapide bilan de la situation de la paroisse de Saint-Marceau au sortir de la Révolution, du point de vue de l'état de richesse de ses habitants et de la présence religieuse en son sein.

 

4. Saint-Marceau, une paroisse populaire marquée par une

modification de son paysage religieux

 

 

a) Une paroisse relativement pauvre sujette aux caprices

météorologiques

 

Saint-Marceau étant peuplé en majorité de gens travaillant la terre (vignerons, jardiniers, pépiniéristes, etc), les conditions climatiques et météorologiques pouvaient avoir des conséquences graves sur la population. Nous avons déjà étudié les conséquences de la débâcle de 1789, en partie à l'origine de l'émeute déclenchée en septembre().

 

Les crues de la Loire (janvier 1789, novembre 1790 et février 1803), les hivers rigoureux (1788-1789, 1792-1793 étant les plus terribles) et l'ouragan du 9 novembre 1800, causant des dégâts aux bateaux et aux maisons du faubourg, n'arrangèrent pas la situation précaire de la population. Plusieurs documents permettent de mesurer la misère à Saint-Marceau.

 

L'enquête de l'abbé Couet

 

En 1790, à la demande des officiers municipaux d'Orléans et au nom du comité de mendicité de l'Assemblée Nationale, on demanda aux prêtres de recenser le nombre de pauvres dans leurs paroisses respectives. Le but de cette opération était de supprimer la mendicité et de donner du travail aux pauvres.

 

Le 27 septembre, le curé Couet envoya le résultat de son enquête aux autorités(), suivant la classification suivante :

 

Vieillards hors d'état de travailler 59 (catégorie 1)

Infirmes 65 (catégorie 2)

Enfants de pauvres 408 (catégorie 3)

Total des pauvres qui

ont besoin d'assistance 1122

 

Grâce à ce tableau récapitulatif de l'ensemble des vingt-six paroisses (nous sommes encore en 1790), nous pouvons arriver aux résultats ci-dessous:

 

Paroisses ayant le plus grand nombre de personnes rangées sous la catégorie 1

 

Saint-Paterne 91

Saint-Marceau 59

Notre-Dame-de-Recouvrance 50

Saint-Paul 42

Saint-Laurent 40

 

Paroisses ayant le plus grand nombre d'infirmes

 

Saint-Marceau 65

Notre-Dame-de-Recouvrance 60

Saint-Paterne 52

Saint-Pierre-le-Puellier 45

Saint-Vincent 44

Saint-Paul 44

 

Paroisses où la catégorie 3 est la plus importante

 

Saint-Laurent 633

Notre-Dame-de-Recouvrance 580

Saint-Paul 488

Saint-Paterne 481

Saint-Marceau 408

 

Ensemble des catégories

 

Saint-Paul 1786

Notre-Dame-de-Recouvrance 1700

Saint-Laurent 1558

Saint-Paterne 1437

Saint-Marceau 1122 (1 personne sur 4 environ)

 

Malgré sa situation précaire, Saint-Marceau n'est pas la plus touchée par la pauvreté. Le sud d'Orléans approvisionnant le nord de la Loire en fruits et légumes depuis toujours, on peut penser qu'une mauvaise récolte à Saint-Marceau touche les habitants intra-muros.

 

Enfin il ne faut pas oublier que des paroisses, après leur réorganisation en 1791(), recevront les pauvres gens des paroisses disparues et rattachées à elles. Saint-Marceau, seule paroisse d'Orléans située au-delà de la Loire, n'eut pas à en souffrir.

 

La plupart des pauvres de Saint-Marceau n'ont besoin de secours que pendant l'hiver, les temps où le travail manque et lorsque la maladie touche les adultes. Ils sont assistés occasionnellement,

"proportionnément aux besoins de la saison à la misère du temps et au nombre de leurs enfants" (Couet).

 

Les moyens proposés par Couet pour occuper ces personnes sont pour les hommes travaux d'entretien des routes et des fossés et pour les femmes, la filature. On ne trouvera pas mieux cinquante ans plus tard environ lorsque l'on emploiera les indigents dans la destruction des remparts de la ville et l'aménagement des mails et que les femmes iront travailler dans les manufactures de tissus du quartier Saint-Laurent !

 

Sur une population de 51 354 personnes en 1790(), 12 318 pauvres avaient besoin d'assistance, soit environ une personne sur quatre.

 

Le recensement des pauvres assistés

 

En 1791, soucieux de venir en aide aux pauvres de sa paroisse(), l'abbé Pataud, à la demande de la municipalité, envoya un "Etat et Relevé des Citoyens et Citoyennes chefs de famille ou maison qui reçoivent des secours du Bureau de Charité de la Paroisse Saint-Marceau"(). Sur un total de 262 personnes les jardiniers sont les plus nombreux (43 personnes inscrites), viennent ensuite les journaliers (37), puis une foule d'autres métiers comme vigneron, marinier, charpentier, lavandière, tuilier, homme de bras, raffineur, poissonnière, tisserand, savetier, tonnelier, vendeuse d'herbes, etc. Il est à noter que toutes ces personnes sont installés dans la partie nord du quartier, non loin de la Loire, donc à la merci des variations du niveau du fleuve (Portereau Tudelle, quais et autres secteurs populaires et populeux).

 

L'emploi des miséreux dans diverses occupations d'utilité collective

 

Tout au long de la période trouble de la Révolution, on s'attacha surtout à "occuper" les pauvres, de peur qu'ils ne se soulèvent comme ce fut le cas en 1789. Le 10 août 1791, la municipalité décida ainsi de créer trois ateliers de charité dont un à Saint-Charles dans l'ancien couvent des Ursulines afin de combler par les sables de la Loire un grand fossé().

 

Nous avons pour l'année 1793, l'exemple de cette opération. Après ordre du 14 février donné par la municipalité à un citoyen de Saint-Marceau, Lanson père et fils furent employés pendant dix journées au déblaiement de la terre qui gênait le passage de la levée de Saint-Charles. Leur rétribution était de trente sous la journée de travail, ils purent ainsi gagner deux fois dix journées à trente sous soit trente livres, cette somme devant être reçue grâce au billet suivant délivré par l'employeur :

 

Donc je vous prit de satisfaire les dits Lancon de leur travaux s'en étant fort bien acquitté, donc je certifit,

Orléans le 28 février Le Citoyen

1793, 2ème de la République Courtin Nioche()

 

b) Des structures d'encadrement et d'assistance disparues

 

Nous voudrions traiter dans ce paragraphe de ce que la suppression des ordres monastiques (février 1790) eut comme conséquences sur la paroisse Saint-Marceau. Il existait en effet au sud de la Loire deux établissements religieux, mis à part les Ursulines de Saint-Charles, installées à Saint-Marceau depuis 1656 et qui, accusées de jansénisme, avaient été dispersées en 1770. Le plan de 1778 mentionne la transformation du couvent en hôpital.

 

 

"Nouveau plan d'Orléans" (1778) (B.N., GeD 3511)

 

Le grand intérêt de ce plan, outre qu'il situe les principaux établissements publics et religieux de la ville, est de représenter une partie de Saint-Marceau : le Portereau, situé autour du débouché du nouveau pont.

 

Nous pouvons y remarquer l'aménagement de la tête sud du pont royal (ouvrage terminé en 1758) avec les deux pavillons en pierre, la grille de l'octroi et la place demi-circulaire appelée "demi-lune", théâtre de l'émeute de septembre 1789, de fêtes révolutionnaires et des événements de 1815 (voir texte). Dans le prolongement de la rue Royale et du pont, la rue Dauphine est aménagée en promenade.

 

Sous l'Ancien Régime, comme l'indique le plan, deux établissements religieux étaient implantés au sud de la Loire :

- les Augustins, établis près du pont depuis le XIVème siècle,

- les Capucins, en bordure de Loire depuis 1583 près de l'église de Saint-Jean-le-Blanc.

 

Citons également pour mémoire les religieuses ursulines de Saint-Charles. Accusées de jansénisme, leur couvent fut fermé et transformé en "Hôpital Royal" destiné à interner les vagabonds et les prostituées.

 

Notons enfin la division du quartier en "portereaux", souvenirs d'anciennes fortifications (les tourelles) (voir partie introductive) : le Portereau Tudelle à l'ouest et le Portereau du Coq à l'est de la rue Dauphine, très peuplés et industrieux.

 

Les Augustins()

 

Près du pont se trouvait le couvent des Augustins, non loin de la "demi-lune"(). C'est au XIVème siècle qu'ils reçurent l'autorisation royale de s'implanter à Orléans. Leur présence dans la paroisse se manifestait avec éclat lors d'une procession annuelle, datant de 1518 selon Lottin, le premier dimanche après Pâques, à laquelle la municipalité assistait.

 

Dans son ouvrage sur les pardons d'Orléans(), l'abbé Cochard nous fait le récit de cette cérémonie dite "Le Pardon des Augustins".

"C'était le dimanche de la Quasimodo qu'avait lieu une des trois "processions générales à laquelle le corps de Ville assistait. Elle "sortait de la Cathédrale et se rendait au couvent des Augustins, "qui se trouvait dans le Portereau, non loin de la Croix, dite de la "Pucelle. Le chapitre de Sainte-Croix et nos échevins étaient reçus "par le prieur et ses religieux et conduit dans l'église conventuelle, "où une messe était chantée en musique. Depuis cinq heure et "demi jusqu'à neuf heures du matin, il y avait exposition du Très-"Saint Sacrement; et une indulgence plénière pouvait être gagnée "dans l'église privilégiée".

 

La dernière procession eut lieu en avril 1790. Les religieux furent ensuite dispersés et le couvent vendu en 1791 pour servir de raffinerie de sucre. Tout fut rasé en 1822. (Notes de Louis Gaillard). Contrairement au culte revenu dans les églises, les pardons disparurent pour toujours avec le Concordat.

 

Les Capucins()

 

Présents dès le XVIème siècle et bien qu'installés non à Saint-Marceau mais dans la paroisse voisine de Saint-Jean-le-Blanc, leurs actions s'attachèrent à tout le sud de la Loire, surtout lors des crues de la Loire. Le 19 janvier 1791, la municipalité fut informée par une pétition d'habitants d'Orléans, de Saint-Marceau surtout afin que, contrairement aux nouvelles lois, les moines demeurent dans leur couvent, et que ce dernier ne leur soit pas confisqué.

"(...) sachant par elle-même que l'emplacement occupé par ce couvent, n'a pas plus quatre arpents, est peu précieux par lui-même, et a présenté, lors des débordement de la Loire, un asile sûr aux habitants de la campagne qui ont été victimes de ce fléau, et désirant donner aux religieux de cette maison un témoignage public de l'estime et de la bienveillance qu'ils ont méritées par leur zèle et leur empressement à donner dans tous les temps les secours spirituels et temporels aux habitants de la ville et des faubourgs, a unanimement arrêté qu'il serait adressé à l'administration du département un mémoire pour solliciter la conservation de ce couvent, sous la condition expresse qu'il contiendrait au moins vingt religieux"().

 

Cette revendication de la part des paroissiens permit seulement un sursis de deux ans : en août 1792, les Capucins durent se disperser et leur couvent mis à l'enchère. Son dernier gardien était un futur curé de Saint-Marceau(). Devenu bien national, il fut transformé en fabrique de porcelaine.

 

Saint-Marceau au sortir de la période mouvementée de 1789-1800 présente à la fois un caractère de bouleversement et de continuité :

- Bouleversement dans la disparition de certains pôles de religion tels que les deux couvents ci-dessus mentionnés et de manifestations de dévotions telles que le Pardon des Augustins.

- Continuité dans l'exercice pastoral, en ce sens que malgré le passage de trois prêtres assermentés (Pataud, Fromental et Joubert), nous avons la surprise de retrouver le curé d'Ancien Régime (Couet fut installé en 1786) à la tête de la paroisse en 1795. Vivant en retraite et semi clandestinement (il avait toujours des contacts avec son successeur Pataud()), il demeurait aux yeux de la plupart des Saint-marcellins comme leur curé légitime.

 

Sa mort brutale ne fit que renforcer ce sentiment d'attachement au curé. Afin d'éviter la nomination de prêtre venu "de l'extérieur de la paroisse", les paroissiens élirent par leur propre volonté leur propre pasteur. Il faut noter que cette continuité dans le recrutement des prêtres fut générale au diocèse. Christianne Marcilhacy, dans son ouvrage consacré au diocèse d'Orléans des années 1850, note que dans l'enquête de 1850, les listes des curés de paroisses entre 1802 et 1850 indiquent que certains prêtres, ayant exercé sous la Terreur, reprirent leur place après le Concordat().

 

L'absence de prêtres dans certaines paroisses n'arrangea pas la qualité de la pratique religieuse. Les fidèles eurent l'habitude de célébrer des messes dites "messes en blanc" ou "messes de maîtres d'écoles" car sacristains, chantres ou instituteurs en étaient les officiants(). Cette pratique qui se maintint parfois jusqu'à la Restauration, démontrait une certaine ignorance de la religion.

 

Saint-Marceau n'eut pas ce problème, le prêtre se chargeant d'encadrer sans interruption ses paroissiens. La situation spirituelle semblait assez satisfaisante, mais qu'en était-il de sa position matérielle dans les premières années du régime concordataire ?