DEUXIEME PARTIE :

SAINT-MARCEAU A L'OMBRE

DE SON VIEUX CLOCHER

 

 

A. La mise en place du régime concordataire (1801-1809)

 

1. Une nouvelle législation

 

 

a) Le Concordat (15 juillet 1801)

 

Comme nous venons de le noter, deux prêtres élus se chargèrent de la paroisse Saint-Marceau jusqu'au rétablissement total du culte, après la normalisation des relations entre l'Etat français et l'Eglise romaine, concrétisée par la signature du Concordat entre le Premier Consul Bonaparte et le Pape Pie VII, le 15 juillet 1801. Il nous a paru intéressant d'en présenter les grandes lignes, car, ne l'oublions pas, il allait régir l'Eglise de France pendant 104 ans!

 

Destiné à renforcer l'autorité de l'Etat, le texte souligne clairement l'étroite dépendance de l'Eglise vis-à-vis du pouvoir. Nommés par le Premier Consul, les évêques sont tenus de prêter le serment de fidélité au gouvernement (articles 5 et 6; cette obligation sera maintenue jusqu'en 1870). L'autorité épiscopale choisit aux cures des personnes agréées par le pouvoir civil (article 10).

 

En contrepartie de ce droit d'élection et de contrôle, l'Etat est tenu d'assurer un traitement convenable au personnel ecclésiastique (article 14). De plus, une série d'articles organiques rédigés d'octobre 1801 à avril 1802 réglementent de façon stricte l'exercice du culte et l'enseignement religieux. Entre autres dispositions, les fondations() ne doivent plus être constituées qu'en rentes. C'est là une volonté évidente d'empêcher l'Eglise de reconstituer son patrimoine immobilier, dispersé avec la Révolution.

 

En définitive, selon Jean Tulard(), trois raisons principales dictent la conduite de Bonaparte dans la signature du Concordat :

- réduire le pouvoir du Saint-Siège sur le clergé français,

- accroître le pouvoir de l'évêque sur le curé,

- accroître le pouvoir de l'Etat sur l'évêque.

 

b) Deux puissants interlocuteurs : l'évêque et le préfet

 

Pendant plus de cent ans, les affaires de la paroisse, qu'elles soient spirituelles ou matérielles, furent entre les mains de deux organes liés à l'Etat. En dehors de la municipalité d'Orléans, toute correspondance passait nécessairement par leurs services et une décision de ces deux autorités était obligatoire.

 

L'évêque concordataire, nommé par le gouvernement, devint le relais entre le curé et le pouvoir civil. Inspirant vénération et crainte aux prêtres et aux fidèles, il est, selon l'expression de Pierre Pierrard, "le préfet violet"(). Son autorité peut se manifester de façon plus éclatante lorsqu'à la tête du diocèse, siège une personne dotée d'un caractère exceptionnel, comme ce fut le cas avec Félix Dupanloup, évêque d'Orléans de 1849 à 1878.

 

Sur le plan administratif, le préfet, pur produit de l'Empire, a droit de regard sur tout ce qui a trait au diocèse et aux activités de l'évêque en particulier. En relation avec le ministère des Cultes, il est "l'oeil du gouvernement"().

 

c) Une conséquence du Concordat : la fonctionnarisation du clergé

 

Par la législation concordataire, Bonaparte transforma le clergé français en un corps de fonctionnaires nommés et rétribués par l'Etat, et ceci jusqu'en 1905 (la loi de Séparation de l'Eglise et de l'Etat). Suivant une hiérarchie ecclésiastique (succursale, cure de deuxième ou de première classe), le desservant était rémunéré à partir d'un budget spécifique annuel voté par les gouvernements, souvent selon leur bon vouloir et leur politique plus ou moins cléricale. Le plus souvent, ce budget était insuffisant, rendant la situation du bas-clergé précaire. Saint-Marceau en est un exemple parfait.

 

Il importe maintenant d'étudier la restauration du culte dans cette paroisse, qui ne se fit pas sans problème.

 

2. Les difficultés du rétablissement du culte

 

 

a) Une volonté de toucher le collectif et le particulier...

 

1803 reste une année importante pour Saint-Marceau à double titre. Elle voit arriver tout d'abord un nouvel évêque, Etienne-Alexandre Bernier, chargé tout spécialement de reconstituer le clergé, mais surtout, la nomination du premier curé légitime après le Concordat met fin à une époque troublée. Avant lui, une dizaine de personnes, des commissaires, appelés en tant qu'administrateurs de l'église et assemblés avec les fabriciens se chargeaient de la reddition des comptes.

 

François Dufresné, le nouveau curé, était âgé de 50 ans lorsqu'il fut nommé à Saint-Marceau. Né à Orléans, prêtre en 1777, il se réfugia en Suisse et en Italie sous la Révolution. Son sacerdoce au sud de la Loire, jusqu'à sa mort en 1807 fut marqué par la tentative de restauration de la fabrique dans tous ses droits, mais aussi par le souci de rétablir le culte dans la paroisse, comme le fit monseigneur Bernier pour l'ensemble du diocèse (ce dernier comprenant jusqu'en 1822 les départements du Loiret et du Loir-et-Cher).

 

Une des premières initiatives de l'évêque fut de rétablir la Fête-Dieu et la fête dite de la Pucelle, qui avait été interrompue depuis dix ans. Par autorisation spéciale du gouvernement, après demande de l'autorité épiscopale, cette cérémonie en hommage à la délivrance d'Orléans par Jeanne d'Arc le 8 mai 1429, réunissait à nouveau en une vaste procession les autorités civiles, militaires et religieuses. En mémoire de la prise des Tourelles, elle traversait la Loire pour se rendre à Saint-Marceau puis revenait à la cathédrale. En fait, le passage du cortège au sud de la Loire demeura par la suite inchangé, et cela jusqu'à nos jours.

 

Le culte des particuliers ne fut pas non plus oublié. Le 24 juillet 1804, un certain Colas de Brouville, propriétaire aux Montées (sud-est de Saint-Marceau) reçut l'autorisation de faire célébrer la messe dans sa chapelle privée(), sauf durant les grandes fêtes (comme la Toussaint, Noël, Pâques), la fête du saint patron de la paroisse et la messe dominicale. Outre une considération d'ordre théologique (pratique communautaire des grandes messes), on peut penser en effet que l'absence de cette personne sans doute aisée à l'une de ces cérémonies à l'église pouvait priver la fabrique d'un certain apport d'argent produit par les quêtes, par l'abonnement de places ou par un produit résultant de la célébration des grandes cérémonies de la vie telles que le baptême, le mariage ou les obsèques, qui furent elles aussi interdites dans les chapelles privées. Toutes ces dispositions restèrent valables pour tout le XIXe siècle.

 

b) ...mais qui rencontre quelques obstacles

 

Pourtant, restaurer le culte ne voulait pas dire restaurer la pratique religieuse. Si des adultes avaient montré leur attachement au prêtre en le nommant eux-mêmes(), il y eut quelques petits scandales sur la paroisse. Pour l'abbé Guillaume, les jeunes qui avaient vécu dix ans de déchristianisation revenait à l'église "mais le fond des âmes n'était pas changé"(). Il cite en exemple le témoignage de l'abbé Pataud sur ce qui arriva le 21 juillet 1800 :

"quatre jeune gens de Saint-Marceau, après avoir porté le dais à la procession du Saint Sacrement finirent dans la débauche une journée commencée à l'église, et insultèrent sur le pont une dame et une jeune fille qui l'accompagnait; sur plainte de celles-ci, ils furent mis en prison".

 

Le souci de contrôler cette classe d'âge fut peut-être aussi à l'origine de la décision prise le 25 mars 1803 par la fabrique :

"Monsieur le curé serait chargé de trouver une personne pour être dans le temps des offices, dans le banc des enfants pour les contenir: et à cet effet ne point troubler les offices il sera donné une somme de dix huit francs par an pour l'indemnité de ses peines et soins, et de la perte du temps de son assiduité aux offices"()

 

Le 26 mars 1810, dans une lettre adressée à l'évêque d'Orléans, le curé Dufresneau, à Saint-Marceau depuis 1807 sollicite l'autorisation de baptiser les enfants avant la déclaration d'état-civil, afin d'éviter le danger d'une mort sans baptème. Tout en reconnaissant la nécessité pour les parents de se rendre à la mairie pour déclarer leur enfant, l'étendue de la paroisse et le fait qu'elle se trouve de l'autre côté de la Loire pouvaient occasionner des retards dans cette opération, à une époque où la mortalité infantile était importante, surtout parmi les pauvres gens, majoritaires à Saint-Marceau. Le 28, après en avoir discuté avec le gouvernement, le ministre des Cultes donna son accord pour que les curés puissent conférer le baptême sitôt la naissance avant la déclaration d'état-civil surtout si le délai exposait l'enfant en danger de mourir sans ce sacrement, et d'être inhumé à part au cimetière, en dehors de la communauté chrétienne de la paroisse. Le curé passa ainsi avant l'officier d'état-civil.

 

Cependant, l'autre grande tâche, nécessaire à toute remise en ordre, fut de réorganiser l'administration paroissiale, sous la direction de l'évêque et du préfet.

 

c) Le système des deux fabriques

 

Confisqués sous la Révolution et devenus propriétés nationales, les biens des fabriques avaient été ensuite concédés aux hospices par arrêté en date du 4 ventôse an 9 (23 février 1801). Cependant, après la signature du Concordat, le Premier Consul autorisa le 7 thermidor an 11 (26 juillet 1803) les fabriques à reprendre leurs biens qui n'avaient pas encore été aliénés.

 

Ils devraient être administrés selon les biens communaux par trois marguilliers nommés par le préfet sur une liste présentée par le maire et le curé. Quant à ce dernier, son rôle devenait purement symbolique en n'ayant qu'un pouvoir consultatif. Les trois marguilliers devaient être choisis parmi les trente paroissiens les plus imposés et les plus respectables de la paroisse.

 

Le 5 juillet 1804, par arrêté préfectoral, Laurancin (propriétaire), Colas Desormeaux (raffineur) et le vinaigrier Courtin Nioche furent nommés marguilliers provisoires de la succursale de Saint-Marceau, leur fonction étant de recouvrir l'argent des arrérages() des rentes et des fermages des biens rendus aux fabriques. Ils appartenaient à la fabrique extérieure proposée par le préfet à la gestion des biens de l'église restitués par l'Etat. Une autre fabrique, dite intérieure avait été créée par l'évêque pour administrer les revenus des bancs et chaises, quêtes, et s'occuper de l'entretien de l'église.

 

Ce système à double contrôle ne pouvait être que provisoire vu sa complexité, mais il avait le mérite d'exister et de permettre à la fabrique de recouvrer ses biens et de pouvoir enfin trouver des interlocuteurs dans l'accomplissement de ses démarches. La tâche de cette poignée de fidèles était écrasante car la pauvreté de la paroisse empêchait toute amélioration, comme nous allons maintenant l'étudier.

 

d) Saint-Marceau est transformée en succursale

 

Le 20 pluviôse an 11 (8 février 1803), Laurancin, un des trois marguilliers nommés par le préfet, adressa au nom de la fabrique une requête à l'évêque relative à la position de leur nouveau prêtre nommé cette année-là. Il y exprima tout le découragement et la déception de la population envers ce qu'elle pensait être une injustice. Nous reproduisons ce texte car il a comme intérêt de présenter également la situation matérielle de la population de Saint-Marceau, trop pauvre pour pouvoir aider à l'entretien de l'église : la moitié des habitants est ainsi désignée comme "malaisée", alors que l'autre, composée de propriétaires jardiniers aux familles nombreuses ne peut que faiblement aider la fabrique.

 

" Monseigneur

Dans l'impuissance absolue ou je suis de pouvoir vous

présenter mon profond respect, permettez qu'en

vous remerciant, au nom des habitans de St Marceau

du bienfait de la nomination de Mr Dufresné pour

desservir leur église, je vous exprime leur douleur en

voyant le titre de succursale tromper leur espérance

fondée sur une population d'environ cinq mille âmes

qui les faisoit croire au titre de cure.

Leur ambition pour ce titre avoit pour objet le

traitement attaché aux cures, qui ne peut être mieux

appliqué qu'à une église qui par la vaste étendue de son

territoire a toujours exigé la présence active de

trois prêtres, ainsi que vous avez reconnu, Mgr, par

l'adjonction de deux vicaires au desservant.

Au moins ils croioient fermement que le desservant

venoit avec un traitement quelconque : mais leur surprise

a égallé leur chagrin quand ils l'ont vu n'apporter que

des voeux remplis d'intentions bienfaisantes, mais dénués

de moyens en faveur de ses vicaires dont l'interest l'occupe

plus que le sien propre, quoique privé de son ancienne

aisance.

Il comptoit, et sans doutte votre conseil aussi, Mgr

comptoit sur des ressources locales mais ces moyens sont

bien faibles. Les recettes actuelles de la fabrique, sous

la déduction des dépenses ordinaires pour l'entretien

du culte, ne laissent de disponible pour les prêtres, qu'une

somme de 350 francs au plus, en supposant une très grande

économie dans l'administration. La preuve de cette

assertion qui seroit trop longue icy a déveloper, sera

donnée à votre réquisition.

A cette somme qui est l'ultimatum du creuset, les

prêtres joindront la cire, dont la fabrique jouissoit,

les oblations(), le casuel(), et les honoraires des messes.

Je ne puis vous dissimuler que ces quatre sources de

revenus dans notre église, qui ne peut être comparée

à celles de la ville, ne sont aucunement en proportion

avec la population. Celle cy très nombreuse et disséminée

dans de vastes écarts, exige beaucoup de peines et de

fatigues mais le malaise d'environ la moitié des

habitans rend les travaux des prêtres très peu fructeux

et très souvent de nul profit à raison du grand nombre

d'indigens. Cette moitié comprend les trois fauxbourgs()

à l'exception d'une vingtaine de maisons. L'autre moitié

qui consiste dans le jardinage, est composée de propriétaires

chargés d'enfans, grévés d'impots, classe laborieuse

obligée à de grosses avances de cultures, dont l'espérance

n'est que trop souvent trompée, ne peut que se pretter que très

faiblement aux frais de l'église et du culte, d'où il

résulte que les places dans l'église sont louées à très

bas prix et sont payées difficilement. Les chaises au

nombre d'environ 600 ne sont louées que 500 livres [ou francs]

et encore le recouvrement en est long et pénible.

Dans cet état vrai des choses que la cherté des

subsistances ne fera pas changer, tant qu'elle durera,

les habitans de Saint-Marceau déposent leur anxiété

dans votre sein paternel, Mgr, à l'effet d'obtenir

par votre puissante protection, une traitement pour

leur desservant. D'après cette baze et celle des regle-

-mens que nous attendons pour tarifier tous les casuels

nous esperons que tout concourera au succès. Nous désirons

ce terme avec le plus grand empressement, car en attendant

le partage du morceau de pain entretiendera la famine

et dans cette position les jours et encore plus les mois sont

bien longs.

Je ne vous parle pas dans le moment du tableau des

grands objets de réparations que j'ai eu l'honneur de

vous présenter le 2 thermidor() ainsi qu'au Cn préfet

qui me répondit alors par lettre très obligeante qu'il

s'en occuperoit sérieusement quand l'existence de

l'église St Marceau serait fixée. J'attens l'aurore du

printemps pour remuer cette grande corde qui tient

bien véritablement à l'existence matérielle de notre

église.

Aujourdhuy je ne m'occupe que du spirituel et dans

l'anxiété où nous sommes, nous vous tendons, Mgr, des

mains suppliantes, comme des enfans à un père bien aimé.

Je m'estime heureux d'être auprès de vous, Mgr, l'organne

des habitans dans une si belle cause; et à ce titre j'espère

que vous vouderez bien agréer l'hommage du profond respect

avec lequel j'ai l'honneur d'être

Monseigneur Votre très humble

et très obeissant serviteur

Laurancin"()

 

En 1803, Saint-Marceau était devenue une succursale, produit du Concordat désignant une paroisse se confondant avec une simple commune. A sa tête, un desservant nommé par l'évêque seul et sans l'accord de l'autorité civile, à la différence du curé. La seule différence entre le curé et le desservant tenait dans l'amovibilité et l'infériorité du traitement du desservant, le curé étant institué à perpétuité.

 

Saint-Marceau, avec une population de plus de 5000 habitants en 1790 (d'après Lottin)() aurait dû, selon la loi, être érigée en cure. Un arrêté du 27 brumaire an 9 (18 novembre 1800) rangeait parmi les cures de première classe celles qui se situaient dans les communes, la plupart de 5000 habitants et plus, où le maire était nommé par le chef de l'Etat, ce qui était le cas d'Orléans. Mais pour des raisons budgétaires, l'Etat freina l'augmentation du nombre des cures : sous l'Empire, l'armée passait en priorité.

 

Selon les lois organiques de 1802, on distinguait deux catégories de curés, selon des critères bien spécifiques, mais qui en fait n'avaient trait qu'à une différence de traitement :

- un curé de première classe recevait 1500 francs par an

- un curé de seconde classe recevait 1000 francs (augmenté de 200 francs en 1827).

 

Le statut de desservant faisait d'un prêtre une personne touchée par la pauvreté. A la suite d'une enquête faite sur les prêtres et leurs traitements en 1804 par monseigneur Bernier, nous possédons la réponse faite par le curé de Saint-Marceau :

"Je n'ai d'autre pension que celle du gouvernement laquelle a commencé au premier vendémiaire de l'an 12(), ayant été créé au mois de brumaire de la sus ditte année sous le n°4392, laquelle se monte a 266 livres et quelques sols, et que je reçois sous le n°63523 "().

 

Cette situation de précarité se retrouve également dans d'autres paroisses d'Orléans et autour de Saint-Marceau. Voici le résultat de l'enquête de 1804 :

Traitement égal à 1000 francs par an

Curés de Sainte-Croix, Saint-Vincent, Saint-Laurent, Saint-Paul

Traitement égal à 800 francs par an

Notre-Dame-de-Recouvrance, les Aydes, Saint-Aignan, Saint-Marc,

Saint-Marceau, Saint-Paterne, ainsi que les paroisses limitrophes

de Saint-Marceau (Saint-Jean-le-Blanc, Olivet, Saint-Pryvé-Saint-

Mesmin, Saint-Denis-en-Val).

 

Le cas de Saint-Marceau n'est pas unique, mais il est exemplaire. La politique concordataire avait fait du clergé des fonctionnaires, mais elle se montrait incapable de subvenir à ses besoins.

 

En 1807, la succursale désormais à la charge du Trésor public, le desservant recevait un salaire annuel de 500 francs, ce qui correspondait au salaire d'un ouvrier sans qualification, bien insuffisant à l'entretien d'une paroisse. La commune devrait alors apporter un supplément selon ses ressources. Le mode de paiement, sous la forme d'un mandat trimestriel (de 266 francs environ pour le desservant de Saint-Marceau) était attendu avec impatience, mais la multiplicité des formalités d'usage pouvait retarder sa réception, et avoir de graves conséquences pour le destinataire().

 

Nous pouvons penser que la supplique de Laurancin resta lettre morte car il fallut attendre 1828, soit 25 ans après pour que la succursale de Saint-Marceau soit érigée en cure de seconde classe, puis 1849 en cure de première classe.

 

Dans une paroisse peuplée en majorité de cultivateurs, soumis aux aléas climatiques, avec un desservant au traitement juste suffisant pour subsister, les ressources de la fabrique ne devaient venir que dans la restitution des biens confisqués depuis 1791, opération délicate à une époque de transition et de réorganisation.

 

e) Une restitution des biens laborieuse et incomplète

 

Comme nous l'avons noté, ce fut à trois personnes, composant la fabrique extérieure que revint la tâche de recouvrir les biens de la fabrique. Installées depuis juillet 1805, elles reçurent du maire Crignon-Desormeaux une lettre les instruisant que le garde des archives était autorisé à leur donner la communication de tous les titres, et cela sans déplacement (fin 1805). Auparavant, le 30 août, une pétition avait été adressée au préfet afin de reprendre deux maisons situées près de la Loire (rue du Coq) qui appartenaient à la fabrique.

 

Un état des biens rendus à la fabrique en vertu de l'arrêté du 7 thermidor an 11 fut envoyé en annexe de l'arrêté de renvoi en possession rendu par le préfet le 20 février 1807(). Deux maisons et trois pièces de terre, telles étaient les seules richesses de la fabrique restituées par l'Etat et qui avaient été confisquées pour être concédées aux hospices et aux bureaux de bienfaisance (décret du 23 février 1801).

 

Un décret du 19 juin 1806 ordonna cependant aux hospices de payer aux fabriques les sommes nécessaires pour l'acquit de services religieux grevés à des biens appartenant autrefois à la paroisse, mais tous les biens et rentes ne furent pas reçus du fait aussi des "trous de mémoire" de certains personnes qui, prétextant les troubles révolutionnaires, la perte d'archives ou la mauvaise foi, refusèrent de remplir leur devoir. D'autres aussi étaient devenus trop pauvres pour pouvoir continuer à s'acquitter de baux qui, quelquefois, étaient de longue durée (emphytéotiques). La communication des anciens titres de la fabrique déposés à la préfecture était indispensable pour diriger des actions contre les débiteurs, ces derniers refusant quelquefois de montrer leurs titres, empêchant alors toute poursuite à leur encontre. La tâche de recouvrement des rentes non remboursées et non transférées était ainsi rendue délicate, car sans des preuves écrites épargnées par les saccages ou les destructions, il était impossible à la fabrique de reprendre son bien. De plus, les deux maisons rendues à la fabrique étaient dans un tel état de dégradation que la fabrique extérieure souhaita les vendre, à la charge du futur acquéreur d'en servir annuellement la rente à l'établissement. Le peu de revenu empêchait en effet de faire les dépenses nécessaires pour que ces maisons puissent être louées.

 

En 1810, conscients des pertes subies sous la Révolution, les fabriciens, dans la réunion du 10 mars, trouvèrent à employer le peu d'argent restitué :

"Considérant qu'il a été fait un remboursement aux fabriciens extérieurs de la somme de 126 livres [francs] le 15 fructidor an XII() équivalent à la portion restée à la fabrique d'un capital plus important transféré aux hospices ou à la nation.

"Considérant que cette somme est insuffisante pour être mise sur le grand livre du gouvernement, que la fabrique est très endettée à cause des dépenses urgentes et indispensables et que ses revenus depuis longtemps suffisent à peine pour couvrir ses dépenses [souligné par nous].

"Arrête que le trésorier de la fabrique extérieure verserait cette somme dans la caisse de la fabrique extérieure afin d'installer une horloge (...)"()

 

Cette horloge était indispensable à la restauration du culte car elle rythmait la vie de tous les jours et indiquait l'heure aux habitants de la vaste paroisse, la plupart travaillant à l'extérieur. Une population à caractère rural, peu de biens restitués, les ressources de la fabrique étaient insuffisantes pour remédier aux dépenses extraordinaires mais pourtant indispensables liées aux réparations à faire à l'église.

 

3. Une situation matérielle et financière précaire

 

 

a) Des dépenses exorbitantes, mais pourtant indispensables

 

La période révolutionnaire n'avait pas favorisé la vieille église de Saint-Marceau, réédifiée à la fin du XVIe siècle après sa destruction lors des guerres de religion. Transformée en orangeraie, son mobilier saccagé, confisqué ou détruit, elle nécessitait déjà des réparations urgentes (couverture de l'église à consolider), et cela plus de 80 ans avant sa reconstruction totale !

 

Incapable de financer ces travaux, la fabrique se tourna vers la municipalité, car, ne l'oublions pas, avec la législation concordataire, l'administration des édifices cultuels était la même que celle des biens communaux.

 

En 1806, un devis des réparations nécessaires fut communiqué par le préfet au conseil municipal sur demande de la fabrique. Dans sa séance du 17 juillet, le conseil jugea que la dépense ne devrait pas être à la charge de la ville, prenant comme argument le code civil et considérant que si les communes étaient propriétaires des églises, l'usufruit à titre gratuit en était laissé aux fabriques.

 

Le 23 novembre, on examina les devis dressés pour le recarrelage de deux nefs de l'église et des réparations à la couverture et à la grande nef : ceux-ci se montaient à :

 

1033 livres 57 [ou francs]

et 514 livres 96

soit 1548 livres 53

 

La fabrique dépensait annuellement 2370 livres 80

sa dette était de 839 livres 52

soit 3210 livres 32

 

Ses revenus (pour les deux fabriques) étaient de 2287 livres 9

 

Son déficit était donc de : 3210 livres 32

moins 2287 livres 9

soit 922 livres 42

De plus, il existait chaque année un arriéré de 81 livres 99.

 

Dans une lettre du préfet, il était pourtant clair que l'on pourrait utiliser un décret stipulant que les réparations des églises seraient à la charge des communes lorsque les revenus n'étaient pas suffisants pour y subvenir().

 

Des mémoires, délibérations, états de l'actif et du passif de la fabrique et devis estimatifs furent plusieurs fois adressés au maire, et ceci jusqu'en 1808.

 

La pauvreté de la fabrique, outre qu'elle empêchait de disposer d'une église convenable, risqua de priver la paroisse Saint-Marceau de la présence d'une école pourtant indispensable.

 

b) La réouverture de l'école des Frères : une situation longtemps instable()

 

Depuis leur fondation au XVIIe siècle, l'Institut des Frères des Ecoles chrétiennes avait pour but de donner gratuitement une éducation aux enfants des artisans et des pauvres. Il existait déjà cinq écoles de ce type en 1740 à Orléans dont une à Saint-Marceau. Fermées le 25 août 1792, trois écoles réouvrirent en 1806. Le curé de Saint-Marceau, désirant le retour des Frères dans sa paroisse, leur acheta une maison. Le maire s'était engagé à faire le traitement des Frères, mais en 1808, la fabrique était totalement dépourvue de fonds dans sa caisse pour les frais d'établissement. En effet, l'ancien curé Dufresné, à sa mort, avait laissé 300 livres-francs payées à la fabrique par des parents pour être employés à l'école des Frères. Cette somme n'était plus disponible car dépensée autrement. Les fabriciens acceptèrent de faire des avances "de leurs propres deniers" en attendant des jours meilleurs pour être remboursés (se fit en 1812). On décida de faire un banc pour les enfants et un autre, avec dossier pour un des frères chargé de les surveiller. La fabrique fit don au frères des chaises, d'une table à manger et d'une armoire afin qu'ils puissent s'installer(). Le curé remit 300 livres au directeur des Frères et le 3 novembre 1808, la classe de Saint-Marceau était ouverte.

 

Pourtant, en 1814, le Supérieur général décida de retirer les frères de ces écoles car ils n'étaient pas payés. Le curé, pour les faire revenir, prit en charge leur traitement jusqu'en 1816, date à laquelle le comte de Rocheplatte, nouvellement élu maire, fit allouer 600 francs à chacun.

 

L'implantation des Frères à Saint-Marceau fut définitivement assurée lorsqu'en 1823 le curé Foucher et deux autres bienfaiteurs de la paroisse achetèrent un terrain et une maison afin d'y faire bâtir deux classes.

 

Les petites filles pauvres de la paroisse allaient à l'école des Filles de la Sagesse, revenues en 1804. Saint-Marceau retrouvait ainsi un encadrement à la fois scolaire et spirituel.

 

c) Des dépenses nécessaires à l'exercice du culte

 

Outre les frais d'entretien et le recouvrement des biens, la fabrique se devait également d'assurer l'exercice du culte, c'est à dire de fournir les ornements, vases sacrés, linge, luminaire (la cire pour les cierges), le pain, le vin, l'encens et autres objets. C'était la tâche de la fabrique intérieure (choisie par l'évêque). En 1804, le fabricien chargé de la sacristie (l'endroit où l'on conserve tous les ornements de l'église) fut chargé de renouveler les soutanes des enfants de choeur qui étaient "dans un état tel à ne pouvoir estre raccommodé"().

 

Trois ans plus tard, l'ancien dais() fut donné au curé d'Olivet moyennant la somme de 300 livres pour pouvoir acheter "un fus de dais doré avec tous ses sculptures et ornemens (...)" et "des egrettes() et autres choses nécessaires à l'ornement au dit fus jusqu'à entière perfection"() [souligné par nous].

 

Comme nous pouvons le remarquer, la fabrique manquait de moyens, mais elle n'hésitait pas à faire des dépenses pour la magnificence des cérémonies : le dais était peut-être destiné à porter la statue du patron de la paroisse, Saint-Marceau.

 

La même année, l'abbé Dufresné décéda et sur sa volonté fut inhumé devant la grande porte de l'église, afin qu'en signe d'humilité, les personnes entrant ou sortant de l'église foulent sa tombe. Son successeur, l'abbé Louis Roger Dufresneau, né en 1741 avait été successivement curé de Montigny, dans le Pithiverais, et de Saint-Vincent d'Orléans en 1804, paroisse faubourienne et rurale comme Saint-Marceau. Son arrivée fut marquée par une importante opération nécessaire à la survie de la fabrique : l'adjudication des places de l'église.

 

d) Les deux principales sources de revenus de la fabrique

 

Le produit des places de l'église

 

D'après l'article 12 de l'ordonnance de monseigneur Bernier sur les fabriques intérieures (31 juillet 1803), "la Fabrique pourra mettre les chaises de l'église en ferme, ou en régie; elle en fixera le prix suivant l'ordre des offices, et la Solennité des fêtes, le Tarif arrêté par elle sera affiché dans l'église".

 

La régie était un mode de perception direct alors que le système de la ferme, où une collectivité abandonnait à une personne l'exploitation d'un bien ou la perception d'impôts moyennant une somme forfaitaire avait l'avantage de donner à la fois une sécurité dans la perception puisque les retards ou difficultés de paiement étaient à la charge de la personne adjudicataire et que la fabrique obtenait tout de suite la somme résultant du produit des places, permettant d'augmenter les recettes dans le budget en prévision d'éventuels achats ou réparations.

 

Réunis chez le curé le 2 août 1807, les fabriciens intérieurs désiraient affermer pour trois ou six ans le bail des chaises le plus avantageusement possible, le produit étant le revenu fixe de la paroisse. L'ancien fermage ne produisait que 1200 francs, ce qui était insuffisant selon les fabriciens qui comparèrent avec d'autre paroisses. Ainsi Saint-Marc autre "paroisse de campagne", qui n'avait pas plus de ressources et moins d'habitants que Saint-Marceau, touchait 2000 francs du revenu de ses chaises. Le secrétaire nota même que "les administrateurs civil à qui nous avons communiqué nos revenus d'après leurs demandent nous objetent que notre baille de 1200 est inexact, en nous objectant les paroisses de campagnes et de ville moins populeuse en font plus". Un comble pour une fabrique aussi peu pourvue de ressources !

 

Finalement, le bail s'éleva à 1800 francs, les fermiers, Clément Houry et sa femme prenant à leur compte le traitement du sacristain. De plus, ils devaient supporter envers la fabrique les charges suivantes :

- donner une caution pour assurer les fonds pendant le temps de la ferme, afin d'assurer toute garantie,

- balayer l'église et le choeur tous les quinze jours,

- payer le sacristain par caution (200 francs),

- si les paroissiens le demandent, de faire des bancs. Au-delà de 150 livres, il lui sera déduit sur sa ferme à raison de trois francs par place,

- fournir le buis du dimanche des Rameaux.

 

En contrepartie la fabrique était tenue envers le fermier de lui payer les chaises, au nombre de 1000, les frais de blanchissage du linge, la sonnerie. Les prix des chaises étaient les suivants :

- pour une chaise simple à l'année 4 francs

- pour une chaise à payer à chaque office pour les fêtes annuelles et mineures ainsi que pour les jours de sermon et les premiers dimanches du mois

1 sol

- autres dimanches 6 deniers

- jours de la semaine 3 deniers

- pour les enterrements et mariages 6 deniers

- pour les stalles, bancs et bancelles occupés par des étrangers ou autres personnes qui ne les ont pas loué, même tarif que les chaises

- prie-dieu séparé, location à l'année 4 francs 2 livres

 

Notons la modicité de ce tarif, basée sur celle de la population : une chaise lors d'une grande célébration comme Pâques ou Noël coûtait 1 sou, soit 5 centimes (depuis 1793), en jour de semaine, elle ne se montait plus qu'à 3 deniers (1 denier équivalait à 1/12 du sou). Seules des personnes aisées (ainsi le propriétaire de la chapelle du château des Montées cité précédemment) pouvaient louer à l'année un prie-dieu marqué à leur nom. Les fermiers désignés, le bail commençait le jour du patron de la paroisse, le 5 septembre().

 

La part du produit des pompes funèbres

 

L'autre grande source de revenus d'une fabrique a trait aux inhumations. En effet, par décret du 18 mai 1806, les fabriques et les consistoires percevaient des droits sur les transports des corps, sur les sonneries, sur les tentures et sur le drap mortuaire recouvrant le cercueil. Mais la réglementation impériale, claire dans ses principes, provoquait de petits conflits à l'échelle d'une paroisse.

 

Le système des pompes funèbres d'Orléans, comme la plupart des grandes villes, avait été mis en adjudication, mais, avec la réglementation, certaines fournitures étaient apportées par les fabriques et d'autres, par l'adjudicataire, selon que l'on se trouvât à l'intérieur ou à l'extérieur de l'église !

 

Finalement, le 28 juillet 1809, un accord fut trouvé entre les curés des onze paroisses d'Orléans et la veuve Bobée, adjudicataire des pompes funèbres: cette dernière fournirait aux fabriques toutes les tentures, moyennant une remise de 25 pour cent sur le produit des recettes perçues par les fabriques(). La répartition du produit se faisait de la manière suivante :

1) l'entreprise des pompes funèbres extérieures versait à la caisse municipale l'ensemble des recettes à une période donnée.

2) le préfet et l'évêque répartissaient ensuite cette somme entre les fabriques de la ville, après approbation du ministre des cultes.

3) le préfet expédiait ensuite au maire un arrêté par fabrique portant la part affectée à chacune d'entre elles. Cette somme, sous forme de mandat, était à retirer à la mairie.

 

Nous avons reproduit en annexe l'état de répartition adressé par le maire aux fabriciens de Saint-Marceau, en date du 8 juin 1810, mentionnant l'ensemble de ces opérations. Les 350 francs ainsi alloués devraient être exclusivement consacrés à l'entretien de l'église et aux lieux d'inhumation (art. 23 du décret du 12 juin 1804). La somme moyenne de la répartition des 5958.33 francs entre les onze fabriques était d'environ 542 francs (Saint-Marceau : 350 francs).

 

4. Le code des fabriques, base de la législation concordataire

(30 décembre 1809)

 

 

Jusqu'en 1809, prévalut le système de la double fabrique, avec tout ce que cela pouvait entraîner de conflits de compétence entre l'autorité épiscopale et le préfet, création de l'Empire. Les différents décrets et arrêtés pris depuis 1801 n'étaient que provisoires, leurs rôles n'étant que de parer au plus pressé.

 

Le 30 décembre 1809 fut enfin décrété par Napoléon Ier un règlement général sur les fabriques très détaillé (114 articles) et reprenant l'ancienne législation, devenue caduque. Complété en 1825 et en 1862, ce décret reste en fait la seule législation sur les fabriques de la période qui s'étend de 1809 à 1905. Ce texte étant essentiel pour la compréhension du fonctionnement d'une fabrique comme celle de Saint-Marceau, il importe d'en dégager les principaux éléments.

 

a) Rôle de la fabrique - le Conseil et le Bureau

 

A la tête de chaque paroisse, cet établissement public est chargé de trois principales fonctions :

- veiller à l'entretien et à la conservation des lieux de culte.

- administrer les aumônes et les biens, rentes et perceptions autorisées par les lois et règlements, les sommes supplémentaires fournies par les communes, et en général tous les fonds affectés à l'exercice du culte.

- assurer l'exercice du culte et le maintien de sa dignité, en réglant les dépenses nécessaires ou en assurant les moyens d'y parvenir (article premier).

 

Chaque fabrique se compose de deux organes :

- le conseil de fabrique, l'assemblée délibérante.

- le bureau des marguilliers, le pouvoir exécutif.

 

Le Conseil de fabrique

 

Composition

 

Composé de neuf membres pour une paroisse de 5000 âmes et plus, le conseil de Saint-Marceau en posséda cinq car sa population était inférieure à 5000 habitants. (3040 personnes dans le canton sud (Saint-Marceau) en 1820 selon le premier recensement général de la population réalisé par la municipalité(); il semble donc que Saint-Marceau ait perdu des habitants depuis 1790). Ses membres, selon l'article 3 du décret doivent être pris parmi les notables, catholiques et domiciliés sur la paroisse.

 

La notion de notable est assez fluctuante selon l'endroit et l'époque. Voici la définition qu'en fit un manuel sur les fabriques en 1846 :

"Le mot notable, qui ne présente peut-être pas une idée assez positive, a une signification variable et relative aux circonstances de localité et de population. Il désigne ordinairement ceux des habitants qui sont distingués par leur naissance, par les fonctions qu'ils exercent,par la fortune, les talents et la considération dont ils jouissent. Dans une paroisse rurale, un gros fermier, un petit propriétaire peuvent être considérés comme notables. On doit au surplus s'attacher à ne nommer que les personnes les plus estimées et les plus honorables de la paroisse. (...) Il est dans les convenances de ne nommer Fabriciens que des personnes qui donnent au moins quelques marques extérieures de religion()

 

Nous étudierons ultérieurement cette catégorie de "notables" qui siégèrent à la fabrique, en distinguant les catégories socio-professionnelles et l'origine locale ou non de ces personnes.

 

L'âge nécessaire pour être fabricien est de 25 ans. Notons que c'était également l'âge auquel on pouvait être admis à presque toutes les fonctions publiques, ce qui montre une fois de plus la prépondérance du pouvoir civil sur le religieux.

 

Deux personnes sont membres de droit du conseil (article 4) :

- le curé ou desservant qui y a la première place, et qui peut se faire remplacer par le vicaire.

- le maire de la commune du chef-lieu de la cure ou succursale, remplaçable par l'un de ses adjoints.

 

Fonctionnement

 

Le conseil se renouvelle partiellement tous les trois ans, trois des plus anciens membres en exercice devant sortir (en ce qui concerne la fabrique de cinq membres), mais les sortants peuvent être réélus (article 7 et 8). Cette cooptation explique parfois la grande longévité de certains fabriciens qui, soucieux de leurs prérogatives, ne laissent leurs places qu'à la mort.

 

Le conseil nomme au scrutin son secrétaire et son président, renouvelés le premier dimanche d'avril de chaque année. Pouvant être réélu comme le secrétaire, le président a voix prépondérante (article 9).

 

Les séances ordinaires du conseil ont lieu quatre fois par an, à savoir :

- le dimanche de Quasimodo (premier dimanche après Pâques), outre la réélection du président et du secrétaire, le trésorier procède à la reddition des comptes (dépenses et recettes) de l'année écoulée à partir de cette date et le conseil vote le budget de l'année suivante.

- les premiers dimanches de juillet, d'octobre et de janvier, à l'issue de la grand-messe ou de vêpres, dans le presbytère.

 

L'avertissement de chacune de ces séances est donné le dimanche précédent, au prône() de la grand-messe. Les séances extraordinaires, sur autorisation de l'évêque ou du préfet doivent servir à discuter d'affaires urgentes (legs, réclamations de personnes, etc.) ou de dépenses imprévues (article 10).

 

Fonctions du conseil

 

Le conseil délibère sur les sujets suivants :

- 1° le budget de la fabrique.

- 2° le compte annuel de son trésorier.

- 3° l'emploi des fonds excédant les dépenses (le boni), du montant des legs et donations, et le remploi des capitaux remboursés.

- 4° toutes les dépenses extraordinaires au-delà de 100 francs dans les paroisses de plus de 1000 âmes.

- 5° les procès à entreprendre ou à soutenir, les baux, les aliénations ou échanges (article 12).

 

Le Bureau des marguilliers

 

Composition

 

Comme dans le conseil de fabrique, le curé ou desservant est membre perpétuel et de droit du bureau, aux côtés de trois membres choisis au scrutin parmi les membres du conseil (article 13).

 

Fonctionnement

 

Tous les ans, le plus ancien des marguilliers doit sortir, afin de renouveler le personnel, composé d'un président, d'un secrétaire et d'un trésorier (article 15 à 19).

 

Le bureau se réunit tous les mois, à l'issue de la messe paroissiale du dimanche, au lieu habituel pour la tenue des séances du conseil (le presbytère pour Saint-Marceau). (Article 22).

 

Fonctions du bureau

 

Outre la rédaction du budget de la fabrique, le bureau prépare les affaires à porter au conseil. Il se charge de l'exécution des délibérations du conseil et surtout, de l'administration journalière du temporel de la paroisse, domaine qui est le plus à même d'être perçu par les paroissiens lorsqu'ils se rendent à l'église (article 24).

 

Par l'article 27, les marguilliers doivent fournir tous les objets de consommation nécessaires à l'exercice du culte, comme l'huile, le pain, le vin, l'encens et la cire. Ils s'occupent également de réparer et d'acheter des ornements et des meubles pour l'église et la sacristie. Tous les marchés sont arrêtés par le bureau et signés par le président (article 28).

 

L'autre grande fonction du bureau est la nomination du personnel ecclésiastique, nombreux au XIXe siècle. Sur proposition du curé ou desservant, les marguilliers nomment, paient et révoquent les sacristains, chantres, organistes, sonneurs, suisses, bedeaux et autres employés au service de l'église.

 

Toutes ces opérations nécessitent la formation d'un budget afin de pourvoir au bon fonctionnement de la fabrique.

 

b) Le budget de la fabrique

 

Recettes et dépenses

 

Les recettes habituelles d'une fabrique selon qu'elles soient fixées d'avance ou non sont les suivantes (article 36) :

 

Recettes ordinaires

- Recettes fixes

- prix de la ferme des maisons et des biens ruraux, et en général le produit des biens et rentes restitués à la fabrique.

- intérêts de rentes sur particuliers.

- arrérages() de rentes sur l'Etat.

 

- Recettes variables

- produit annuel de la location ou de la concession des places de l'église (stalles, bancs, chaises).

- produit des quêtes pour les frais du culte.

- produit de ce qui est trouvé dans les troncs placés dans l'église pour son entretien.

- produit des oblations() faites à la fabrique selon l'usage de la paroisse.

- produit des droits que la fabrique perçoit et du revenu qui lui est accordé sur le produit des frais d'inhumation (pompes funèbres).

- produit du casuel() dans les baptêmes, mariages, sépultures et autres services religieux.

- produit spontané du terrain servant de cimetière (arbustes, buissons, herbages et arbres qui ont cru spontanément peuvent être exploités ou vendus au profit de la fabrique).

 

Recettes extraordinaires (présentes ou non dans le budget annuel)

- excédent des recettes sur les dépenses de l'exercice antérieur.

- prix des biens aliénés (vente d'une maison, d'un terrain, etc.).

- dons et legs en argent (sans fondations).

- remboursement des capitaux exigibles et des rachats de rentes.

- montant des emprunts.

- supplément donné par la commune.

 

L'ensemble de ces recettes est destiné exclusivement à l'entretien du culte sous toutes ses formes et à son amélioration, au moyen de multiples dépenses :

 

Dépenses fixes

- supplément de traitement accordé par la fabrique au curé ou desservant.

- traitements des vicaires et prêtres sacristains.

- traitement des officiers et serviteurs de l'église.

- contributions sur les biens (impôt sur les portes et fenêtres, par exemple).

- acquit des fondations (messes pour le repos de l'âme et autres services religieux), redevances s'il y en a.

 

Dépenses variables

- frais de la célébration du culte.

- réparations d'entretien de l'église, de la sacristie, du presbytère et du cimetière.

- achat des registres des actes de baptêmes et de mariages, et autres nécessaires pour les actes et la comptabilité de la fabrique, des frais de bureau et de correspondance.

 

Rédaction et présentation aux autorités

 

Pour une bonne tenue des comptes, il convenait de connaître les futures dépenses à réaliser. Chaque année, le curé présentait au bureau un état des dépenses indispensables à l'exercice du culte (objets à acquérir ou renouveler, réparations, entretien). Approuvé par le bureau, cet état était porté au projet de budget général. Puis le budget était établi, en classant les articles de dépenses selon quatre catégories :

- 1° les frais ordinaires de la célébration du culte.

- 2° les frais de réparation des ornements, meubles et ustensiles d'église.

- 3° les gages des officiers et serviteurs de l'église.

- 4° les frais de réparations locatives.

 

Dans un premier temps, la portion des revenus restant après l'acquittement des dépenses, si elle existait, devait servir au traitement des vicaires (non rémunérés par l'Etat, mais par la fabrique et éventuellement par la commune). Après cela, l'excédent (très rare dans les premières années du régime concordataire) était affecté aux grosses réparations des édifices cultuels. (article 46).

 

Dressé par le bureau, soumis et réglé par le conseil dans sa séance d'avril, l'état des dépenses et recettes de chaque exercice() était envoyé à l'évêché pour avoir son approbation. Ce dernier, après avoir arrêté le budget, le renvoyait à la fabrique afin de pouvoir l'appliquer.

 

Dans l'annexe de la présente étude, nous avons retranscrit le procès-verbal de la délibération du 7 avril 1811 reprenant l'ensemble des opérations décrites ci-dessus et en donnant d'intéressantes indications sur la vie paroissiale d'alors. Les dépenses et recettes s'y équilibrent sensiblement avec un boni de 8 francs 65. La part la plus importante des dépenses consiste dans le traitement des serviteurs de l'église (total de 2446 francs). Le produit lié aux places de l'église (stalles, bancs, chaises) rapporte la majorité des recettes, avec plus de 2700 francs recueillis.

 

Le traitement des deux vicaires était de 1000 francs, soit les honoraires les plus importants de tout le personnel de l'église. Le rôle d'un vicaire était pourtant nécessaire, puisqu'il était chargé de seconder ou de suppléer le curé ou desservant de Saint-Marceau dans le service paroissial, et cela dans des cas biens précis :

- lorsque la population de la paroisse était trop considérable pour qu'un seul prêtre puisse l'administrer.

- lorsque le territoire de la paroisse était trop étendu pour que le curé ou desservant puisse suffire au besoin spirituel des habitants.

- sur la demande du curé, incapable de remplir ses fonctions du fait de son âge ou de ses infirmités, un vicaire lui était adjoint.

 

Saint-Marceau, paroisse étendue et peuplée avait bien besoin de deux vicaires pour assister le prêtre, mais leur présence nécessitait une dépense trop importante pour la fabrique seule. La lettre du fabricien Laurancin() n'en est que la preuve évidente : une aide financière extérieure était indispensable et urgente.

 

c) La possibilité d'une aide financière de la commune

 

Le régime napoléonien, conscient de la précarité de la plupart des fabriques, avait décidé dans le décret de décembre 1809 d'une subvention de la commune. Les charges de cette dernière étaient :

- 1° de suppléer à l'insuffisance des revenus de la fabrique, pour les charges concernant les frais nécessaires au culte (ornements, pain, vin, etc., paiement des serviteurs de l'église, entretien de l'église).

- 2° de fournir au curé ou desservant un presbytère, ou, à défaut de presbytère, un logement, ou, à défaut de presbytère et de logement, une indemnité pécuniaire.

- 3° de fournir aux grosses réparations des édifices, consacrés au culte.

 

Dans ce cas, le budget de la fabrique était porté au conseil municipal pour y être délibéré. La délibération était ensuite adressée au préfet, qui la communiquait enfin à l'évêque pour avoir son avis. Mais sous le régime impérial, la bureaucratie tatillonne et envahissante retardait l'aboutissement des démarches.

 

Cependant le mérite de Napoléon Ier fut de donner une base législative à la fabrique appelée à durer plus d'une centaine d'années. Les régimes successifs, qu'ils soient monarchistes ou républicains conservèrent la législation du 30 décembre 1809 comme la base du règlement de l'administration paroissiale : une fabrique composée d'un conseil délibérant et d'un bureau d'exécution et de surveillance, le curé reprenant une place délibérative et non plus consultative, comme sous le régime provisoire des deux fabriques.

 

Le décret du 30 décembre 1809 confirma également la mainmise de l'Etat sur le religieux. Quoique douée d'une existence civile (possibilité d'intenter des procès en son nom propre), la fabrique était toujours réputée mineure et placée, à ce titre, sous la tutelle du gouvernement, qui en confiait la haute administration à la fois à l'évêque du diocèse et au préfet du département.

 

B. Les dernières années de l'Empire vues de Saint-Marceau

(1810-1815)

 

 

1. La réorganisation définitive de la fabrique

 

 

a) Un personnel relativement aisé...

 

Le décret du 30 décembre 1809, publié six mois plus tard, fut aussitôt appliqué dans toute la France. Monseigneur Rousseau, évêque du diocèse d'Orléans de 1807 à 1810 et favorable au régime nomma le 17 septembre 1810 trois des membres du conseil, conformément à l'article 6 du décret. (Ce même jour toutes les fabriques d'Orléans furent pourvues de leurs fabriciens). Sept jours plus tard, le préfet nommait les deux fabriciens restant à pourvoir, tous deux propriétaires().

 

Le 18 novembre, au presbytère de Saint-Marceau eut lieu l'installation par Crignon-Desormeaux, maire d'Orléans de 1800 à 1816, des cinq nouveaux membres, et en sa présence furent réparties leurs différents fonctions :

 

Conseil de fabrique

 

Président du conseil : Louis-Roger Dufresneau, desservant.

Conseiller et secrétaire : Jean-Antoine-Frédéric Daudier, propriétaire

demeurant 84, rue Saint-Marceau.

Second conseiller : Baucheton, propriétaire à Saint-Marceau.

(démissionna en 1812 "à cause de ses fréquents voyages auxquels son état l'oblige" selon le procès-verbal de la séance du 19 avril()).

 

Bureau des marguilliers

 

Jean-Jacques-Etienne Troisvoisins, négociant à Orléans hors ville y demeurant 2, place de la Bascule.

Jean Transon Thuillier, jardinier demeurant à la Croix Saint-Marceau, n°22.

Trésorier : Etienne Colas Delanoue, propriétaire à Orléans.

 

Ce dernier pourrait être l'un des quatre adjoints au maire. En effet, selon Jean Vassort, parmi les adjoints de Crignon-Desormeaux, deux personnes, dont un certain Colas de la Noue avaient été choisies comme "l'émanation du patriciat le plus traditionnel"(). Toujours est-il que ce notable resta peu de temps à la fabrique car, ayant dû changer de domicile, conformément à la loi il en démissionna. Il fut remplacé par Colas Desormeaux, un raffineur (de sucre) qui avait déjà été nommé par l'évêque en 1804 au sein de la fabrique extérieure(). C'est en son domicile qu'était mort l'ancien curé Couet en 1795.

 

Nous pouvons déjà remarquer ce que recouvrait la notabilité à Saint-Marceau à l'époque impériale : des propriétaires, des négociants, de gros jardiniers, susceptibles par leurs influences et leurs richesses de peser de tout leur poids sur les affaires internes et externes de la paroisse. Pourtant, la fabrique n'était pas prospère.

 

b) ...et une fabrique aux revenus insuffisants

 

En 1812, jugeant insuffisant leur traitement, les deux chantres présentèrent une pétition afin d'obtenir une augmentation de gages. Sans succès. Les fabriciens arrêtèrent que le traitement de 225 francs par an resterait inchangé et qu'aucun salarié ne pourrait partir sans les avertir trois mois à l'avance().

 

De plus, aucune personne exerçant une fonction dans l'église ne pourrait faire la quête de vin() dans la paroisse, sauf le sacristain-sonneur et le premier bedeau "comme un dédommagement pour eux de la modicité de leurs gages que les revenus de la fabrique ne permettent pas d'augmenter"(). La raison invoquée était que si l'on étendait la permission de cette quête en multipliant les demandeurs, on raréfierait le nombre des donateurs. Le traitement du bedeau était de 72 francs par an seulement. (A rapprocher des 225 francs annuels dûs aux chantres qui pourtant réclamèrent une augmentation !).

 

Entre la reddition des comptes et le renouvellement des membres, la fabrique de Saint-Marceau poursuivait sa routinière tâche d'administration mais bientôt, avec les premiers revers militaires de l'armée impériale, la paroisse comme le reste d'Orléans allait connaître des événements liés à l'histoire nationale.

 

2. L'épopée napoléonienne : des uniformes chamarrés

de la gloire aux haillons de la débâcle

 

 

a) L'Empereur et le Pape passent à Saint-Marceau

 

En 1808, Orléans eut le privilège de voir passer la troupe et de recevoir le couple impérial. Ayant passé la nuit du 2 au 3 avril à la préfecture, Napoléon Ier repartit tôt le lendemain, en compagnie de monseigneur Rousseau, un de ses plus forts partisans (l'évêque était baron d'Empire). Dans son article sur Saint-Marceau du 13 février 1964, le journaliste Jules-Marie Simon note à propos de son passage à Saint-Marceau :

"Quand le petit cortège arriva au bout du pont, une surprise agréable réjouit l'empereur. Un groupe imposant d'habitants du faubourg qui avaient été avertis on ne sait par qui, on ne sait comment, saluèrent le souverain d'acclamations chaleureuses. On dit même que Napoléon serra de nombreuses mains, qui se tendaient vers lui (...)"().

 

L'ouverture de la guerre en Espagne était la cause de son passage à Orléans. Le 5 avril, l'impératrice, pour rejoindre son époux à Bayonne fit le même trajet. Selon Simon, elle aussi fut très acclamée au passage à Saint-Marceau et on lui offrit des fleurs.

 

Les premières victoires au-delà des Pyrénées virent affluer le 16 mai plusieurs centaines de prisonniers portugais qui furent logés dans la prison de Saint-Charles (l'ancien couvent des Ursulines). Sur proposition du maire, certains furent employés par les cultivateurs de Saint-Marceau au travail de leurs terres, comme cela avait été fait auparavant avec des prisonniers autrichiens().

 

En 1810, les ecclésiastiques de Saint-Marceau, tout comme l'ensemble du clergé orléanais durent débourser une somme d'argent nécessaire à l'entretien des chemins vicinaux d'Orléans. Quant aux autres habitants, ils durent aller eux-mêmes réparer les chemins, certainement en prévision du passage des troupes.

 

Mais bientôt arrivèrent les premiers revers pour Napoléon Ier. Des prisonniers anglais furent évacués de Verdun à Orléans, à la prison de Saint-Charles, devant la menace des armées coalisées aux frontières françaises. La paroisse de Saint-Marceau elle-même fut touchée en 1812 par une disette, suite à la sécheresse et à une mauvaise moisson.

 

Les chrétiens de la paroisse eurent le privilège de voir passer le 30 janvier 1814 le Pape Pie VII qui bénit la foule à l'entrée du pont. Signataire du Concordat, ayant excommunié l'Empereur ce dernier l'avait alors fait interner successivement à Savone (près de Gênes) puis à Fontainebleau. Libéré par la chute de l'Empire il rentrait à Rome lorsqu'il se trouva à Orléans.

 

b) 1814 : devant l'ampleur de la déroute française, l'église est convertie en hôpital militaire

 

1814 sonna le glas de l'Empire. Le 1er janvier, les Russes et les Prussiens entraient en France. Le général Chassereaux fut envoyé par Napoléon Ier pour mettre la ville en état de défense, après l'incursion de soldats ennemis dans le département.

 

Saint-Marceau devint le lieu d'événements tragiques. Un ordre du général Chassereaux enjoignit aux propriétaires fermiers et vignerons d'Orléans extra-muros de planter sur leurs terres des échalas (sorte de pieu servant de tuteur à la vigne) afin d'empêcher la cavalerie ennemie de s'approcher des murs de la ville. Le maire chargea le curé de Saint-Marceau de s'occuper de le faire appliquer "par les moyens de persuasion que vous donnent votre ministère et la confiance si bien méritée de votre Troupeau"().

 

Le 13 février, une petite tête de pont fut élevée dans la demi-lune, près de la rue Dauphine : le pavé fut amoncelé en barricade et les grilles du pont fortifiées. Le lendemain, Chassereaux donnait l'ordre de rassembler tous les bateaux en un seul endroit, entre le pont Royal et la prison de Saint-Charles. Selon Lottin, il y en eut 1036(). (Le trafic ligérien était encore très important à cette époque).

 

Le 24 mars 1814, le curé de Saint-Marceau apprit que son église, sur décision épiscopale et sur ordre de la préfecture, allait être transformée en hôpital militaire. Il fallut donc enlever tous les objets cultuels. Deux jours plus tard, l'église était prête à recevoir les premiers blessés. Pour que l'exercice du culte ne soit pas interrompu, une chapelle fut installée provisoirement dans une raffinerie et le curé logé chez un particulier, le presbytère devant être occupé par les soeurs hospitalières.

 

En avril, la prison de Saint-Charles fut également transformée en hôpital, destiné à accueillir les blessés et malades de l'armée. Devant leur afflux toujours croissant, la raffinerie installée dans l'ancien couvent des Augustins et l'église des Capucins furent à leur tour converties en ambulances. La mortalité dans les hôpitaux devenue trop forte par suite d'une épidémie, on se décida finalement à évacuer les blessés par bateau vers d'autres villes de la Loire. La campagne de France tournait au désastre pour l'armée napoléonienne et Orléans y assistait impuissante.

 

Paradoxalement l'hôpital de Saint-Marceau ne servit jamais, en raison peut-être de son éloignement de la Loire en cas d'évacuation par la voie des eaux. Le 16 mai, le curé pouvait disposer de son église et de son presbytère. Il était convenu que les dégradations occasionnées seraient prises par la municipalité().

 

Pourtant, dans leur séance du 19 juin, plusieurs fabriciens découragés souhaitèrent donner leur démission "vu les embarras occasionnés tant par le délogement que par la rentrée dans notre Eglise"(). Finalement ils acceptèrent de rester jusqu'en avril 1815. De plus, profitant des événements, seize personnes avaient refusé de payer l'ensemble de baux ou prestations de l'année 1813-1814, en raison de la vacance des six semaines du fait de la transformation de l'église en hôpital. N'étant pas responsables de cette situation extraordinaire, le conseil décida de relancer ces mauvais payeurs.

 

Saint-Marceau venait d'assister à la chute d'un empire, confirmée avec le départ de Napoléon Ier. La première Restauration à partir d'avril 1814 marqua d'abord la paroisse par la nomination d'un nouveau pasteur.

 

c) La première Restauration et l'arrivée d'un nouveau prêtre

 

Le 11 juillet 1814 mourut l'abbé Dufresneau, à l'âge de 73 ans. A sa place fut nommé l'abbé Foucher, déjà en poste à Saint-Marceau depuis onze ans comme vicaire. Né à Orléans en 1766, il avait été prêtre de Meung-sur-Loire en 1790 avant d'émigrer en Savoie puis en Pologne. C'était donc un ancien curé réfractaire.

 

Sa place de vicaire laissée vacante, un ancien bénédictin arrivé à Saint-Marceau accepta le poste moyennant un traitement de 1000 francs ainsi qu'il suit:

- 500 francs alloués par la fabrique selon l'article 40 du décret du 30 décembre 1809 (traitement autorisé : de 300 à 500 francs).

- 200 francs pour l'honoraire des messes.

- 150 francs pour le casuel.

- 100 francs pour la tunique.

- 50 francs pour le boni de l'année().

 

Le changement de personnel à la tête de la paroisse reflèta donc ce relatif retour à l'Ancien Régime que fut la Restauration. Bien que l'on n'assista pas à une modification de la composition de la fabrique (ses membres, à l'instar du maire opportuniste d'Orléans ayant sans doute peu manifesté leurs sentiments politiques), la direction spirituelle revenait à un homme hostile au régime républicain et à un ancien religieux.

 

Pourtant, les gouvernements passèrent mais les mêmes problèmes demeuraient. Ainsi, les ouvriers qui avaient travaillé au délogement de l'église et à des réparations suite à la transformation de l'église en hôpital réclamèrent un acompte de la fabrique, prétextant qu'ils connaissaient cette dernière pour les avoir embauchés, mais non le maire qui pourtant en avait donné l'ordre d'exécution().

 

La fabrique connaissait également des difficultés de rentrées d'argent, à une époque d'incertitude et d'instabilité politique. La reddition des comptes de Transon, chargé de la recette des stalles et bancs est à cet égard révélatrice:

De la Saint-Marceau 1812 à 1813 même date : 1000 francs reçus.

Du 4 septembre 1813 au 4 septembre 1814 : 964 francs.

Du 4 septembre 1814 au 4 septembre 1815 : "rien de fait".

 

Devant cet état de fait, la fabrique, selon le décret de 1809 pouvait entreprendre des procès. Dans la même séance un fabricien fut donc chargé de voir le juge de paix "pour poursuivre les délinquans qui paroissent mettre de la mauvaise volonté dans le payement de ce qu'ils doivent à la fabrique"(). Les événements retardèrent cependant cette démarche et firent de Saint-Marceau, une fois de plus, le théâtre de faits d'une portée nationale.

 

d) L'occupation d'Orléans par les Alliés. Saint-Marceau reste "en France" avec les débris de la Grande Armée

 

A l'issue des Cent-Jours (20 mars-22 juin 1815) et de la défaite définitive de Napoléon Ier le gouvernement provisoire français avait signé le 5 juillet avec les puissances alliées un acte de capitulation dont l'un des articles précisait l'occupation par les Alliés de toute la France du Nord située sur la rive droite de la Loire. Les armées françaises rescapées de Waterloo devaient se retirer sur la rive gauche. Le 8 juillet, jour du retour de Louis XVIII à Paris (seconde Restauration), les premiers éléments de la Grande Armée, dont la Garde Impériale, traversèrent Orléans. A leur tête, le maréchal Davout, ministre de la guerre en sursis. Pour protéger cette armée de la Loire en retraite, il ordonna de fortifier la tête sud du pont au Portereau, fit miner les deux premières arches du pont côté Saint-Marceau, plaça des batteries de canons à la demi-lune et tout le long des quais. (120 canons sur le quai des Augustins selon Lepage()).

 

Comme l'année précédente(), tous les bateaux furent rangés côté sud de la Loire. Etabli au château de la Source, Davout et tout son état-major ordonnèrent le 12 juillet d'interrompre toute relation avec la rive droite et de faire feu sur quiconque essayerait de traverser la Loire, vu l'arrivée imminente des Prussiens par le nord. Plusieurs Saint-Marcellins qui se trouvaient au nord du fait de leurs activités professionnelles, durent trouver un logement en ville.

 

Le lendemain, aussitôt entrés dans Orléans, les Prussiens placèrent une batterie de canons dans la rue Royale afin de battre sous leur feu les fortifications établies de l'autre côté du fleuve. Les deux armées se faisaient face, la moindre provocation pouvait dégénérer en canonnade.

 

Cependant, la rapide soumission de Davout au nouveau régime évita un bain de sang. L'occupation étrangère d'Orléans, d'abord par les Prussiens, puis par les Bavarois, prit fin le 22 octobre avec le départ de ces derniers. Dès le 23, les fortifications installées par l'armée française étaient enlevées et la circulation entre les deux rives rétablie.

 

Pour beaucoup, Saint-Marceau était resté le seul endroit de la ville resté réellement en France, du fait de l'établissement de l'ancienne armée impériale au-delà du pont. D'après Lottin, les Orléanais se rendant sur la rive gauche disaient alors, "Allons en France, voir nos compatriotes ! Car tout le temps que leur ville fut occupée, ils se considéraient comme en pays étranger"().

 

Plus étonnant, Jacques-Henri Bauchy cite le témoignage du vicomte de Chateaubriand, le célèbre auteur des Mémoires d'Outre-Tombe, qui fut chargé de présider le collège électoral pour élire les députés du département. Assistant au retour de l'ordre à Orléans en août 1815, il précise dans ses correspondances que les Orléanais s'exclamaient en passant le pont "Je vais en France" lorsqu'ils étaient restés bonapartistes et "Je vais en Corse" s'ils étaient déjà ralliés au drapeau blanc !().

 

L'épopée napoléonienne était belle et bien terminée et la Restauration allait apporter la stabilité politique. Pour Saint-Marceau, la prochaine grande épreuve serait dans plus de trente ans, avec le début du cycle décennal des grandes inondations destructrices. Pour l'instant, il fallait reprendre les affaires courantes d'une fabrique toujours aussi peu aisée.

 

C. Saint-Marceau sous la Restauration

 

 

1. Une situation générale de marasme économique et une

paupérisation de la population

 

 

Les premières années de la Restauration portaient encore en elles l'héritage douloureux du régime napoléonien. Orléans, comme le reste du royaume fut touchée par un ralentissement de son activité commerciale, conjugué en 1817 par une grave crise de subsistances venue d'Angleterre, entraînant une baisse des prix agricoles.

 

a) La mise en place des ateliers de charité dans la lutte contre le chômage

 

Dans la ville, des ateliers de charité fonctionnaient afin de donner du travail aux personnes sans emploi réduites à la misère. Chaque début d'hiver, le maire fixait la date d'ouverture des travaux de charité, puis adressait un nombre de cartes fixé à distribuer par le curé aux plus indigents de sa paroisse. Porteurs de ces cartes, ils pouvaient être employés aux ateliers.

 

En février 1817, grâce à un mandat de 10 000 francs envoyé par Louis XVIII pour le secours aux pauvres, un atelier de charité fut ouvert à Saint-Marceau route de Saint-Hilaire-Saint-Mesmin (ouest du quartier). Du 24 février au 1er mai, 36 hommes furent employés dans l'aménagement de la route départementale d'Orléans à Tours comprise entre Orléans et Cléry, dont une grande partie habitaient Saint-Marceau (proximité entre le domicile et le chantier)(). Plusieurs rues des faubourgs furent également nivelées dans le cadre des ateliers.

 

Cependant la majeure partie des chômeurs fut employée dans la démolition et l'aménagement des remparts de la ville, transformés en promenade (les mails). Un pépiniériste de Saint-Marceau fournit l'ensemble des arbres plantés sur les boulevards. Venu de Tours en 1789 et installé à la limite d'Orléans et d'Olivet, son établissement portait comme enseigne "Laus Deo !" (louange à Dieu), signe de son attachement à la religion. Inquiété sous la Révolution du fait de ses convictions royalistes, nous pouvons penser qu'il fut en quelque sorte "récompensé" de sa fidélité au Roi en obtenant ce marché().

 

Ce cas isolé ne doit pas nous induire en erreur : une personne sur trois à Saint-Marceau avait besoin de secours en 1818, selon le bureau central de charité d'Orléans() : 1586 personnes sur une population de moins de 4000 habitants. La ville entière était en fait touchée par la misère dans une même proportion : sur une population totale de 42 651() personnes en 1817, plus de 13 000 gens devaient être secourus selon le bureau de charité().

 

En 1820 eut lieu une relative amélioration de la situation du fait d'une baisse du prix du pain et d'une reprise de l'activité dans les travaux des manufactures(). La municipalité put ainsi réduire les travaux de charité, ne gardant que les personnes les plus nécessiteuses et les pères des familles les plus nombreuses, mais il n'était pas encore question de les fermer complètement et au début de chaque hiver, période de chômage (ralentissement ou cessation des activités) le comte de Rocheplatte (maire d'Orléans de 1816 à 1830, soit pendant toute la Restauration) dut recevoir des lettres des curés d'Orléans semblables à celle envoyée par celui de Saint-Marceau en 1820 :

 

" Monsieur le Maire,

Bien des personnes de ma paroisse m'assurent que l'on a ouvert des travaux de charité et me tourmentent pour avoir des cartes. Si ce qu'elles disent est vrai, j'ai l'honneur de vous prier de ne pas oublier ma paroisse dans laquelle il se trouve beaucoup de gens qui ont besoin d'ouvrage.

J'espère de votre bonté que vous voudrez bien donner des ordres à ce sujet.

J'ai l'honneur ...

Foucher curé de Saint-Marceau."()

 

b) Des travaux qui n'attendent pas

 

La situation de Saint-Marceau rejoignait celle de la ville toute entière, touchée par une conjoncture défavorable. En 1817, soit trois années après les événements, la municipalité n'avait toujours pas remboursé à la fabrique les frais de déménagement de tous les objets situés dans l'église afin de la convertir en hôpital militaire(), et ce malgré ses promesses(). Consciente de la situation de crise générale, les fabriciens réunis en séance s'accordèrent cependant pour renouveler leurs réclamations "au moment où un temps plus heureux le permettra"().

 

Les réparations urgentes à faire à l'église n'attendaient pas. Elles avaient lieu dans le cadre d'un bail passé entre un entrepreneur et la fabrique, d'une durée habituelle de 9 ans. Moyennant les divers travaux nécessaires, l'adjudicataire du bail recevait des mains du trésorier de la fabrique une prestation annuelle correspondant à une somme payable en deux termes par moitié.

 

En 1819, le couvreur Sirot, demeurant rue Saint-Marceau, exécuta des travaux d'urgence à la flèche de l'église, des ardoises ayant été emportées par le vent. Deux ans plus tard, il fut chargé de rectifier l'écoulement des eaux devant l'église "puisque toutes les fois que la pluye est un peu abondante, l'eau coule sur la voute et tombe en assez grande quantité dans l'église auprès de la grande porte"(). Une autre personne se chargea de la croisée au-dessus de la grande porte. Minées par l'eau et le temps, les pierres désunies "menacent de tomber au premier jour". Il fallut donc intervenir instamment "afin d'éviter peut-être quelque malheur"().

 

Ces deux exemples suffisent pour comprendre la situation de la fabrique. Manquant de secours de la part de la ville, elle fut obligée de prendre des mesures restrictives dans le cadre de l'administration de ses comptes et du personnel attaché au culte.

 

2. L'action de la fabrique : une gestion prudente...

 

 

a) Des mesures contre les retards de paiement

 

Dès 1815, la fabrique se dotait de deux receveurs au lieu d'un seul auparavant, afin de mieux recouvrir les sommes et d'éviter les retards de paiement. Le bedeau, qui était en même temps receveur (chargé de porter les quittances) démissionna de sa charge en raison de son grand âge. Sa tâche fut répartie entre le sacristain sonneur, principal receveur du casuel (aux ordres du curé) et le premier chantre (aux ordres du receveur général), chargé de recevoir les sommes dues à la fabrique pour le loyer des places de l'église. Malgré cela, les difficultés de recouvrement étaient toujours aussi présentes.

 

Ayant toléré cette situation pendant trop longtemps, le conseil de fabrique décida de faire appel à la justice. Sur plainte du sonneur qui fait "beaucoup de démarches infructueuses pour faire payer l'arriéré, qu'il ne peut que demander, que presque toujours il reçoit des réponses évasives et souvent rebutantes", il fut décidé de s'adresser au juge de paix afin que ce dernier puisse pousser les récalcitrants à s'acquitter de leurs dettes envers la fabrique.

 

Dans la même séance(), pour couper court aux réclamations des officiers de l'église, qui ne sont pas toujours rétribués par les familles ou lorsque "la négligence, la mauvaise volonté ou une demande au-dessus de ses moyens font que les familles manquent de s'acquitter envers la fabrique", le conseil arrêta une décision radicale mais sans doute nécessaire :

"il ne sera rien accordé à une famille qui étant reliquaire viendrait commander de nouveau une sépulture à moins que préalablement elle n'acquitte de suite tout l'arriéré et dans la cas où elle se refuserait à le faire, il est irrévocablement décidé que l'on n'accordera rien, que la sépulture à faire sera faite par charité, préférant plutôt perdre l'arriéré que de consentir à ce que les familles cumulent des dettes qu'elles n'acquittent jamais".

 

Les rigueurs du temps obligeaient ainsi les fabriciens à faire pression sur les mauvais payeurs, les besoins étant trop urgents pour se permettre quelques largesses, comme le prouvait déjà la décision prise deux ans plus tôt relative aux places laissées vacantes dans l'église suite à un décès, lorsque les personnes ne les avaient pas payé avant leur mort. La fabrique arrêta qu'il faudrait alors se tourner vers les héritiers du défunt afin de payer l'année entière (car payable d'avance). Signe d'une évidente exaspération, le secrétaire nota pour justifier cette décision que "la fabrique ne doit pas souffrir de la bonté qu'elle a eue d'attendre"().

 

L'exemple ne semblait pourtant pas venir d'en-haut.

 

En 1824, lors de la procession de la Fête-Dieu, les officiers de la garde royale y portèrent le dais, mais ne s'acquittèrent pas des frais de la cérémonie. La caisse de la fabrique dut alors le supporter(). Au mois d'octobre de la même année, à l'occasion de la mort de Louis XVIII, survenue le 16 septembre, toutes les églises du royaume durent sonner toute une journée d'heure en heure (sur ordre de l'évêque et du préfet d'Orléans). Le sonneur réclama une indemnité à la fabrique et reçu dix francs alloués "pour seize coups de glas qui ont été sonnés"().

 

b) Une économie dans le personnel de l'église : le suisse

 

Le projet d'un suisse à l'église fut rejeté car les habits à fournir étaient trop onéreux et que "parce qu'après tout les fonctions d'un suisse dans une église tiennent plus de l'ostentation que d'une vraie utilité"().

 

Il est vrai qu'à une époque de difficultés, le suisse, cet officier d'opérette chargé de la police dans l'église, était un vrai luxe réservé aux paroisses riches de la ville.

 

Avec plus de bon sens, les fabriciens préférèrent plutôt l'utilité d'un second bedeau chargé d'assister le premier et de faire les annonces à la porte de l'église, vu que ce dernier ne savait pas lire. Saint-Marceau possédait en fait deux bedeaux jusqu'en 1817, date à laquelle le second bedeau, nommé deux ans plus tôt seulement à ce poste, partit à la cathédrale Sainte-Croix comme suisse. Pendant trois ans, le mauvais état de la caisse empêcha la fabrique de débourser les 40 francs correspondant au traitement de cet officier. Cependant, un seul bedeau n'était pas suffisant pour faire tout le service de l'église les jours de fête et veiller à la bonne organisation des cérémonies. D'un commun accord, on rétablit la charge de second bedeau. Un an plus tard, en 1821, afin de la conserver, on augmenta son traitement de 10 francs, en prenant cette somme sur le salaire du premier bedeau (60 francs) afin de ne pas grever la fabrique. Les deux officiers se retrouvaient donc à un pied d'égalité dans leur rémunération (50 francs), ce qui évitait d'éventuelles réclamations.

 

Comme l'ensemble des serviteurs de l'église, les deux bedeaux étaient rémunérés par la fabrique et par le casuel, lors des cérémonies. Vêtus de leurs robes, ils étaient tenus d'assister à la plupart des cérémonies liturgiques et aux processions de Saint-Marc, des rogations() (très importante dans une paroisse semi-rurale comme Saint-Marceau), de l'Ascension et de la Fête-Dieu, en plus des services célébrés par la fabrique pour la mémoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Le premier bedeau conservait le privilège d'assister à tous les enterrements toutes les fois que les familles n'en demandaient qu'un, mais lors de la présentation dominicale du pain béni() de la paroisse et de la quête de vin à domicile (deux traditions ancestrales), les deux bedeaux, d'un commun accord, se partageaient les offrandes. Ils étaient enfin tenus de s'arranger ensemble pour qu'il y en ait un des deux qui assistat aux processions générales telles que la Fête de la Pucelle le 8 mai.

 

La fabrique de Saint-Marceau se décida à la même époque (1817) à prendre un arrêté concernant les confréries, résurgences de l'Ancien Régime.

 

c) Les trois confréries ne doivent plus être débitrices

 

Interdites sous la Révolution, leurs biens aliénés comme ceux des fabriques, ces associations de laïcs fondées sur des principes religieux, avaient pu se reconstituer après la signature du Concordat, mais de façon trop limitée pour qu'elles puissent retrouver leur grandeur passée : par un décret du 28 messidor an XIII (17 juillet 1805), les biens leur appartenant étaient restitués aux fabriques. Leurs membres ne pouvaient également plus faire de quêtes quatre fois par an aux fêtes majeures au profit la confrérie, une ordonnance épiscopale limitant les quêtes au seul profit du culte et des pauvres (1807).

 

Situation des confréries à Saint-Marceau

 

En 1805, il existait trois confréries sur Saint-Marceau, s'adressant à des catégories bien définies de la population.

 

- La confrérie de Saint-Nicolas, patron à la fois des enfants, des écoliers, des jeunes filles à marier, mais aussi des mariniers, ces derniers résidants à Saint-Marceau en nombre assez important, vu la modicité du coût du logement et de la présence d'un petit port sur la rive gauche destiné à l'entretien et à la réparation des bateaux.

 

- La confrérie de Saint-Vincent, le patron des vignerons, composant avec les jardiniers la majorité de la population de la paroisse. Excepté les rues proches du fleuve, industrielles et ouvrières, Saint-Marceau était couvert de "clos"(), même 80 ans plus tard, comme le représente la plan établi à cette date et reproduit en introduction. Travaillant sans doute sous l'Ancien Régime pour l'abbaye de Micy-Saint-Mesmin (à laquelle dépendait la paroisse) ou pour d'autres établissements ecclésiastiques, les vignerons purent acquérir leur terre lors du morcellement des bien nationaux et en devenir propriétaires.

 

- La confrérie de Saint-Fiacre, la plus importante et la plus prestigieuse, la paroisse étant véritablement le fief des jardiniers, pépiniéristes et autres métiers liés à la terre, du fait de la richesse de cette dernière par les dépôts successifs d'alluvions à l'occasion des multiples crues de la Loire. Dès le XVIIème siècle, les jardiniers de Saint-Marceau exportaient leur production grâce à la navigation sur la Loire et à l'ouverture du canal de Briare (1642), permettant le commerce avec la capitale.

 

En 1788, le commerce des jeunes plants destinés à peupler les parcs (des résidences seigneuriales en particulier) était tel qu'il fallut déjà produire des catalogues. Beaucoup d'arbres à travers l'Europe, puis dans le monde entier, provenaient d'Orléans, et en particulier du sud de la Loire.

 

Moine venu d'Irlande ou d'Ecosse au VIIème siècle de notre ère, Saint-Fiacre s'installa dans le diocèse de Meaux et fonda un ermitage où, selon l'hagiographie, il cultivait si bien la terre et sans peine, qu'il en fit un jardin extraordinaire composé de tous les fruits de la terre (arbres, fleurs, fruits, légumes). Il fut donc naturellement choisi par les paroisses où l'industrie de la terre était importante.

 

Comme nous pouvons le noter, les confréries, en s'adressant à une catégorie limitée (en l'occurrence par la profession) renforçaient l'esprit de corps, le particularisme. Le sociologue Gabriel Le Bras les a défini comme des "familles artificielles dont tous les membres sont unis par une fraternité volontaire"().

 

Chaque année, les trois confréries célébraient la fête de leur patron, animant la piété et rehaussant la prestige des fêtes (Saint-Vincent le 22 janvier, Saint-Fiacre le 30 août et Saint-Nicolas le 6 décembre).

 

Tous les ans, une assemblée avait lieu au presbytère après la grand-messe, le dimanche suivant le jour de la fête patronale, avec l'accord de la fabrique, afin d'élire deux nouveaux administrateurs (les proviseurs) chargés de la tenue des comptes pour une durée de deux ans. Un banc dans l'église était réservé à la dizaine de confrères, moyennant une quittance à payer le jour de la fête du saint patron.

 

Le procès-verbal de l'assemblée était rédigé sur le registre du conseil de fabrique. Certaines personnes étaient membres à la fois des deux confréries de Saint-Vincent et de Saint-Fiacre (étant en vérité deux patrons pour une seule terre, celle qui permettait aux Saint-marcellins de subsister). Le plus souvent, les fabriciens étaient eux-mêmes confrères, permettant au moins une absence de dettes de la confrérie envers la fabrique, mais en ayant peut-être pour inconvénient un manque de renouvellement et d'ouverture par rapport au reste de la population.

 

Mesures prises à leur encontre

 

Il semble qu'il y ait eu certaines frictions entre les deux établissements comme l'atteste le registre des délibérations(). Les deux proviseurs de la confrérie de Saint-Nicolas refusant de payer les places de leurs bancs ainsi que les frais de culte occasionnés lors de leur fête, la fabrique décida d'enlever et de rendre le banc aux confrères "pour en faire ce que bon leur semblera". Après 1809, il n'est plus du tout fait mention de cette confrérie, qui s'est peut-être dissoute, ses membres rejoignant celle dévolue à l'ensemble des mariniers d'Orléans, installée à Notre-Dame-de-Recouvrance().

 

Dans la séance du 6 juillet 1817, le curé, président de l'assemblée chargé de recevoir, tant pour le clergé (casuel) que pour la fabrique, les honoraires dûs par les proviseurs à chaque célébration de leur fête, soumit aux membres du bureau et du conseil un arrêté à prendre "pour obvier à toute espèce de discussion qui, jusqu'ici, n'a pas eu lieu, mais qui est dans le rang des hypothèses possibles".

 

Les deux confréries de Saint-Vincent et de Saint-Fiacre établies dans l'église (la confrérie de Saint-Nicolas a disparue) possèdent seulement deux types de ressources disponibles pour subsister :

- l'argent provenant de la quête faite autour de l'église le jour de leur fête,

- leur propre contribution personnelle.

 

L'abbé Foucher observe qu'il ne peut y avoir de solidarité entre les proviseurs sortants et entrants, car vu le manque de fond assuré, les nouveaux élus ne voudront pas se charger d'une dette éventuelle (en cas de produit de quête presque nul, des proviseurs bientôt sortants peuvent se trouver en retard de paiement envers la fabrique) qu'ils n'ont pas contracté. Il est également hors de question de poursuivre une dette auprès des proviseurs, et ceci pour deux raisons: comme l'écrit le secrétaire, ce procédé serait "fort disgracieux". En effet, il ne faut pas oublier que tous ces hommes sont souvent voisins, qu'ils ont l'habitude de se voir et de se fréquenter en dehors des activités liées à la religion (ainsi les jardiniers se retrouvent sur les marchés d'Orléans afin de vendre leurs produits aux habitants intra-muros et des vignerons peuvent utiliser ensemble un même pressoir). Soucieux de ne pas semer la discorde, les fabriciens considèrent de plus que les honoraires fixés pour le clergé sont "extrêmement médiocres" au point de renoncer à d'éventuelles poursuites. L'assemblée usant de son droit sur les confréries, prit la décision suivante : lorsqu'un proviseur en exercice en retard de paiement se présente pour demander la réunion de la confrérie afin de nommer de nouveaux proviseurs, sa demande ne lui sera accordée que lorsqu'il se sera entièrement acquitté().

 

Cette mesure ne semble pas avoir été appliquée, du moins jusqu'en 1819, date à laquelle le registre des délibérations cesse de recevoir les procès-verbaux des assemblées des confréries. La confrérie de Saint-Vincent a due certainement finir par disparaître (dernière mention en 1834), contrairement à celle de Saint-Fiacre, la population des vignerons tendant tout au long du XIXème siècle à décroître face à la montée en puissance des "cultivateurs" au sens large du terme (les pépiniéristes et autres horticulteurs). En 1850, ces derniers obtinrent de disposer d'une chapelle consacrée à leur saint patron, prouvant ainsi leur vitalité sur la paroisse. Un document particulièrement intéressant nous apprend qu'en 1889, date à laquelle la vieille église était condamnée (la nouvelle église était alors en construction près de cet édifice), il existait bien une statue de Saint-Vincent dans l'église, mais qu'elle se situait en fait dans la chapelle Saint-Fiacre(). La dévotion envers le saint jardinier resta intacte et cela jusqu'à nos jours().

 

Apparition d'une confrérie féminine sur la paroisse

 

La disparition lente de deux confréries masculines à Saint-Marceau sous la Restauration ne signifiait pourtant pas un déclin irrémédiable mais annonçait une modification de ce type d'établissement. En effet, en vertu d'un bref (lettre du Pape ne portant pas le sceau pontifical et de moindre importance qu'une bulle) de Pie VII (1800-1823) et sur autorisation de monseigneur de Beauregard, nouvellement évêque d'Orléans (1823-1839), une confrérie en l'honneur de la Sainte-Vierge fut formée dans la paroisse et un banc fut confectionné et installé dans l'église aux frais de la fabrique. Chaque année, les "dames directrices" de cette confrérie rendaient un hommage particulier à la mère du Christ le jour de l'Assomption() et en faisant la procession du Saint-Sacrement tous les soirs au salut(). La rétribution de la confrérie envers la fabrique fut fixée à 18 francs annuels().

 

L'apparition particulière de la dévotion rendue à Marie en cette première moitié du XIXème siècle s'inscrit dans un large mouvement de féminisation de la religion, amorcé sous la Restauration et qui s'épanouira au milieu du siècle avec par exemple l'arrivée des Soeurs de la Sagesse à Saint-Marceau en 1846, chargées des petites sourdes-muettes(). La religion tendit à devenir "une affaires de femmes" du point de vue :

- du catholicisme (les congrégations féminines et l'enseignement),

- des pratiquants (les femmes sont plus nombreuses à suivre les offices et à faire des dons à l'église que les hommes, encore qu'il faille relativiser cette seconde affirmation par le cas d'Henri Courtin, "bienfaiteur" de la paroisse pour avoir apporté les reliques de Saint-Marceau à l'époque du Second Empire()),

- de la piété, avec le culte marial et surtout celui rendu en l'honneur de la Pucelle d'Orléans, qui combattit sur le sol même de la paroisse (en 1817, un monument fut érigé à sa mémoire)().

 

L'ensemble des décisions prises par la fabrique tendait à un même objectif: assurer la décence du culte et de ses desservants en évitant au maximum les retards de paiement, qu'ils soient dûs aux familles ou aux confréries.

 

 

Carte postale du début du siècle représentant le monument érigé par la

municipalité le jour de la procession des fêtes johanniques le 8 mai

1817, sur l'emplacement du couvent des Augustins, non loin de

l'ancien fort des Tourelles.

 

 

La Restauration à Orléans marqua en effet une reprise du culte rendu à sa libératrice, concrétisée par cette croix, dite "Croix de la Pucelle", composée d'une colonne en marbre rouge (provenant de l'ancien jubé de la cathédrale Sainte-Croix) surmontée d'une croix de fer. Dressée à l'endroit où prend fin la traditionnelle procession du 8 mai, elle porte sur son piédestal une inscription destinée à rappeler et à perpétuer l'attachement de la population orléanaise envers son roi. D'ailleurs, lors des fêtes johanniques de cette même année, le premier aumônier de la maison royale et chanoine de Saint-Denis prononça le panégyrique de la Pucelle().

 

Inscriptions gravées sur le monument

 

Face Nord : "Le 8 mai 1817 cette croix a été élevée par les soins de M. de Drouin, comte de Rocheplatte, maire, MM. de Noury, le vicomte de Crémion et Hubert Crignon adjoints".

 

Face Sud : "En mémoire de Jeanne d'Arc, dite la Pucelle, pieuse héroïne, qui, le 8 mai 1429, dans ce même lieu, sauva par sa valeur, la Ville, la France et son roi".

 

3. ... afin d'assurer la décence du culte ...

 

 

a) Les dépenses nécessaires

 

Certaines dépenses étaient jugées urgentes : les fonds baptismaux devaient être réparés ainsi que les deux vases en cuivre argenté servant aux Saintes Huiles, couverts de vert-de-gris. Ces petits pots ne furent pas remplacés par des pots en argent, mais par d'autres en cristal, "pour ménager les fonds de la fabrique". On fit également l'achat de bouteilles afin de conserver le vin blanc servant aux messes, gâté auparavant car conservé en fût().

 

Des rideaux furent installés sur les croisées côté sud de l'église afin d'éviter une chaleur "extrêmement incommode aux enfants des Ecoles et même aux grandes personnes, à mesure que le soleil prend de l'élévation"().

 

Les chaises de l'église furent réparées et les ornements furent renouvelés: en 1822, la fabrique décida la confection de deux nouvelles étoles() afin de remplacer celles qui servent quotidiennement à l'administration des sacrements, tant usées "que l'on ne peut plus décemment s'en servir"().

 

La célébration du patron de la paroisse ne fut pas oubliée. Suivant "le voeu et le désir des paroissiens par l'organe de messieurs les marguilliers en exercice", la fabrique fit l'achat de plusieurs ornements nécessaires à la fête de Saint-Marceau, tous de soie moirée (avec des reflets changeants et chatoyants), pour un coût de plus de 2 600 francs, payable en trois versements(). Pour la bonne conservation de l'ensemble des objets de culte, un bureau et des armoires furent construits dans la sacristie.

 

b) La participation de laïcs dans les processions

 

Les soins de la fabrique envers le service divin touchèrent également le personnel attaché à celui-ci, quand cela était nécessaire. En 1821, le second bedeau était ainsi particulièrement apprécié car il vit son traitement augmenter du fait de sa compétence lors des offices. Sur le registre des délibérations, il est mentionné qu'il a rempli "les fonctions de sa place avec une intelligence, une décence et une honnêteté qui méritent des éloges"().

 

Le premier chantre moyennant la somme de 36 francs par an, se chargea par exemple d'enseigner le chant aux enfants de choeur, vu que ces derniers, n'ayant personne pour les former, "étaient souvent hors d'état de remplir leur devoir et qu'il en résultait de leur inaptitude à chanter une discordance désagréable"().

 

La qualité des célébrations fut améliorée aussi grâce à l'aide de personnes laïques de la paroisse. Des "personnes pieuses" firent don d'étoffes anciennes "mais propres", de pots d'encensoir, alors qu'une autre voulût bien se charger de la confection gratuite d'ornements(). En 1826, "deux personnes respectables" de Saint-Marceau restaurèrent à leurs frais les deux autels du Jardin des Oliviers et du Calvaire().

 

Un arrêté pris le 6 juillet 1817 autorisa la présence de tout paroissien à suivre derrière le dais la procession du Saint-Sacrement (aux premiers dimanches du mois ou à la Fête-Dieu). "Désirant contribuer, autant qu'il est en eux, à la majesté du culte", plusieurs habitants avaient souhaité assister à cette cérémonie, sans aucune dépense pour la fabrique car offrant de fournir à leurs propres frais la flambeau nécessaire pour suivre la procession(). Seize ans plus tard, les quatre personnes chargées de porter le dais à toutes les cérémonies, non rétribuées par la fabrique, se virent offrir quatre places dans les stables du choeur().

 

Les activités et les ressources de toute paroisse nécessitaient un apport substantiel de rentrées d'argent ou de dons afin de prolonger et d'améliorer les oeuvres entreprises. A la tête de la cure, l'abbé Foucher, assisté de deux vicaires, fit plus que montrer l'exemple de sa compétence.

 

4. ... autour d'une poignée d'hommes pieux ...

 

 

a) L'abbé Foucher

 

Grâce à diverses sources, nous sommes en mesures de mieux cerner la personnalité du curé Foucher. Ancien curé réfractaire, il devint vicaire à Saint-Marceau en 1803, puis curé de la paroisse treize ans plus tard. Cette continuité lui a sans doute permis de mieux diriger la cure, ayant une bonne expérience et une bonne connaissance des habitants (cas unique dans l'histoire de la paroisse durant la période étudiée, les autres curés venant à Saint-Marceau après avoir exercé ailleurs leur vicariat). Nous pouvons également remarquer que l'abbé Foucher, desservant d'une succursale jusqu'en 1829, pouvait être muté dans une autre paroisse. Pourtant, Christianne Marcilhacy() a démontré à partir d'enquêtes successives la relative amovibilité des desservants dans le diocèse d'Orléans : de 1802 à 1850, seules 16 paroisses changèrent dix fois de desservant, ce qui est peu. L'explication la plus plausible semble être dans le désir des évêques successifs de ne pas bouleverser davantage une réorganisation paroissiale, sortie affaiblie de la Révolution et confrontée à de multiples difficultés, la présence continue d'un seul pasteur facilitant la tentative de reconquête des esprits.

 

Jusqu'à son départ de Saint-Marceau en septembre 1835, époque à laquelle il fut nommé chanoine titulaire, il se dévoua pour le bien de sa cure. Il était doté de grandes qualités comme tend à la prouver un Etat du diocèse (registre de 167 pages), daté des années 1823-1839() destiné à l'évêque pour qu'il puisse connaître l'état intellectuel de son clergé. Pierre Antoine Foucher y est noté comme ayant "Du zèle, des moyens, de la dignité. Excellent curé".

 

Il devait également être doué pour la comptabilité et la gestion, puisqu'en 1819, devant l'absence et la maladie de plusieurs fabriciens lors de la séance de l'assemblée du trimestre d'octobre 1818() et le départ du trésorier Colas Desormeaux, il se chargea de remplacer ce dernier, malgré le règlement qui précisait que cette fonction devait revenir à l'un des trois membres laïcs du bureau (articles 16 et 19 du décret du 30 décembre 1809)(). Trésorier provisoire dans un premier temps, la bonne tenue de ses comptes rendus annuellement ("parfaitement justes" selon le procès-verbal du 4 avril 1830()) fut telle qu'il resta à ce poste jusqu'à son départ, en ayant toujours soin de dégager un excédent de recettes (ainsi la dernière reddition de ses comptes laissa en caisse 3 305 francs 53)().

 

Avec deux autres personnes de la paroisse(), il céda également à la ville un terrain estimé 6 000 francs destiné à la fondation de la maison des écoles des frères et fit en 1818 une fondation en faveur de l'école des filles (rente de 125 francs). On lui doit également plusieurs dons importants en faveur des pauvres de la paroisse et la construction dans la cour du presbytère d'une chambre "commode" pour les distributions aux pauvres de la paroisse().

 

Pendant 21 ans, l'abbé Foucher a rempli sa charge "avec zèle et succès" (les deux termes sont de son successeur, Jean-François Riballier, en réponse à une enquête envoyée par monseigneur Dupanloup à toutes les paroisses de son diocèse)(), assisté de vicaires souvent compétents et dévoués, tels que l'abbé Jean Denis François Poirée, né à Orléans en 1797, professeur au séminaire puis vicaire de Saint-Marceau pendant 8 ans (1821-1829), chanoine titulaire et vicaire général sous l'épiscopat de monseigneur Dupanloup avant de partir pour le Vatican où il termina son exceptionnelle carrière au poste de protonotaire() apostolique. Par cet exemple, nous pouvons nous rendre compte que Saint-Marceau n'eut pas à souffrir de l'incompétence et de l'ignorance de son clergé, comme dans certaines paroisses rurales ou d'Orléans().

 

A côté du personnel ecclésiastique, des laïcs firent preuve de générosité envers la fabrique, auxquels ils avaient souvent appartenus.

 

b) Les bienfaiteurs

 

Pierre Etienne Laurancin, propriétaire à Saint-Marceau, ancien fabricien de 1803 à 1810 (à l'époque du système des deux fabriques)() légua, par testament à la fabrique divers objets servant au culte : un calice d'argent() avec sa patène() et son étui, dix tapisseries de verdures() et un coffre pour les entreposer ainsi que deux autres tapisseries et un tapis pour le portail de l'église, le tout estimé 220 francs. L'enseignement ne fut pas non plus oublié par ce "notable" : une rente de 100 francs fut donnée au curé afin de l'employer à la tenue des écoles de filles de la paroisse et à la fourniture de livres classiques pour les petites indigentes (1817).

 

Il se chargea également de racheter le presbytère de Saint-Marceau avec deux autres personnes. Jusqu'en 1821, la fabrique était obligée de débourser annuellement plus de 300 francs de loyer afin de loger le curé et de pouvoir s'y réunir().

 

Saint-Marceau possédait bien un presbytère, mais comme dans beaucoup d'autres paroisses, il fut vendu le 26 prairial an IV (15 juin 1796) à un marchand orléanais qui le céda aussitôt (26 juillet) au directeur des contributions directes de Metz (!). Le fils de ce dernier (exerçant la même profession que son père) en hérita, mais sans doute gêné par ce bâtiment trop loin de chez lui (Epinal), il le vendit le 18 juin 1803 au fils du fabricien Colas Desormeaux (ce dernier était déjà membre en 1803), moyennant la somme de 4 000 francs fournie moitié par Laurancin et par Pierre Pilleboue. Ce dernier finit par en être le propriétaire et en 1821, il fit don du presbytère à la fabrique à charge de faire dire des messes à perpétuité pour le repos de son âme et de ses parents après son décès (survenu en 1837). Pilleboue constitua également une rente annuelle et perpétuelle en faveur des pauvres.

 

Enfin selon l'abbé Riballier(), il donna un retable en bois sculpté, "estimé des connaisseurs" (Riballier) et provenant d'un ancien couvent à l'est d'Orléans (Saint-Loup).

 

5. ... dans un contexte de difficile rechristianisation

 

 

a) L'arrivée de nouvelles générations

 

Ces laïcs, qui firent toutes ces actions charitables, ne doivent pas cependant nous induire en erreur sur la pratique religieuse de la population orléanaise, d'abord parce que plus aisés que la majorité de la population de Saint-Marceau, ils ne sont sûrement pas représentatifs de l'ensemble des fidèles() pour au moins une raison : ils avaient certainement connu l'époque d'avant 1789, le respect et l'obéissance dus au culte. Les fabriciens et "bienfaiteurs" après 1789 étaient souvent des personnes d'âge mûr() car pour siéger à la fabrique, il fallait être notable : se trouver dans une certaine aisance financière et matérielle était plus que difficile à Saint-Marceau en ces années de Restauration, et réservée à des négociants, des raffineurs, des vinaigriers, des jardiniers, des boulangers, tous propriétaires de leurs biens.

 

Leur progressive disparition entraîna quelque peu un vide au sein de la paroisse, les jeunes n'ayant pas une pratique de la foi aussi forte qu'eux du fait de la Révolution. Ce phénomène était propre à tout le pays, selon Gérard Cholvy (professeur à l'université de Montpellier), que nous citons :

"De longues années après le Concordat et même la Restauration du "roi très-chrétien", les conséquences de la crise révolutionnaire se font sentir. Ceux qui avaient dix ans en 1793 ont eu une initiation religieuse fort perturbée, et après eux, des générations entières. Or ceux-là ont trente ans à partir de 1813. Ils forment des cohortes d'adultes, de parents, qui ignorent le religieux prescrit. Sans doute est-ce aux alentours de 1830 que l'ignorance religieuse de la masse des Français a été la plus profonde (...)"().

 

b) L'échec des missions

 

Nous comprenons mieux ainsi l'action épiscopale sous la Restauration, et plus particulièrement celle de monseigneur de Beauregard (1823-1839), qui tenta de redresser la situation morale de son clergé (établissement des conférences ecclésiastiques - cours d'instruction et de théologie - et réorganisation du séminaire afin de former une nouvelle génération de prêtres) et des fidèles. Pour ces derniers furent organisées de grandes missions (elles avaient été interdites sous l'Empire) comme celle de 1824. Ouverte le 7 mars par les Jésuites, elle fut marquée par des sermons(), des conférences, des pénitences et se clôtura par la plantation d'une croix géante (29 avril) et une procession composée à la fois des pouvoirs civils (la magistrature, le préfet et ses conseillers, la municipalité, le recteur d'Académie), militaires (l'ensemble des officiers en garnison à Orléans, la garde royale et nationale) et religieux (séminaristes, clergé de toutes les paroisses accompagné des serviteurs du culte et des bannières des confréries).

 

Le bilan de ces missions fut loin d'être globalement positif. Certains prêtres en furent même contrariés car "mécontents de voir des étrangers, venir s'emparer de l'esprit de leurs paroissiens, et vouloir les convertir, comme s'ils eussent été incapables de le faire aussi bien qu'eux"(). Toujours selon Lottin, des hommes se plaignaient de voir leurs femmes et leurs filles quittant la maison pour la mission "abandonnant mari, enfants et ménage"().

 

Pour Paul Guillaume, la mission de 1824 resta "superficielle" car "étant organisée sous la protection du gouvernement"(). Et il est vrai que cette collusion entre royauté et religion choqua plusieurs personnes, surtout parmi la bourgeoisie et le peuple qui ne firent plus de différence entre les deux, les rejetant ensemble().

 

La preuve en fut donnée six ans plus tard, lors de la Révolution de Juillet et de l'avènement de Louis-Philippe, lorsque la même population qui avait suivi la mission réclama la disparition de la croix monumentale(). Le constat de l'abbé Guillaume est sans appel et a le mérite d'être parfaitement pertinent sur le résultat définitif de l'action du clergé orléanais sur la population sous la Restauration.

"Il manquait à ce peuple une solide instruction religieuse, une formation chrétienne qui ne s'improvise pas en quelques semaines, et auxquelles ne pouvaient suppléer une mission à caractère théâtral"().

 

Toujours est-il que le prêtre desservant Saint-Marceau, ancien réfractaire, attaché à la cause des Bourbons comme la majorité du clergé du diocèse(), conserva naturellement son poste après 1830(). Il avait eu également la satisfaction de voir érigée la succursale en cure de seconde classe (ordonnance royale du 17 décembre 1828), ce qui permit une amélioration de son sort par le doublement de son traitement().

 

Le 23 juillet, monseigneur de Beauregard avait envoyé une lettre au ministre des Affaires ecclésiastiques, exposant les raisons justifiant selon lui cette érection : une paroisse composée de petites gens principalement avec comme pasteur un homme tout à fait digne d'éloge du fait de ses qualités religieuses et "politiques" (refusant les idées révolutionnaires, il était parti à l'étranger).

 

" Monseigneur,

Les bontés de Votre Excellence envers mon Diocèse m'inspirent la confiance de vous demander une nouvelle grâce.

Il y a dans un des Faubourgs d'Orléans une succursale appelée Saint-Marceau, composée de plus de 5 000 âmes(), cette paroisse quoique populeuse est d'un très modique revenu à cause du nombre bien grand de pauvres cultivateurs qui la composent.

Ne serait-il pas possible à Votre Excellence d'ériger cette Succursale en Cure de seconde classe, je n'ose pas vous demander en Cure de première classe ?() Cela me serait agréable. Cette érection ne coûtera pas beaucoup, l'Ecclésiastique très recommandable qui en est le Desservant est déjà sexagénaire(), elle sera une récompense pour lui qui a été le confesseur de la foi pendant la Révolution et un nouveau titre à ma reconnaissance"().

 

c) Les dernières actions de la fabrique sous la présidence du curé Foucher

 

Le baptème d'une cloche

 

Une petite cloche ayant été brisée en novembre 1834, la fabrique souhaita en rétablir une autre, mais supérieure aux deux autres de l'église "sur la demande des paroissiens éloignés, qui souvent ne sont pas fixés par le son des cloches, lorsque les vents sont contraires"(). L'état de la caisse permettait cette dépense et le 12 août 1835, Marguerite fut baptisée et bénie par le doyen de la cathédrale et vicaire général, en présence des deux vicaires de la paroisse, d'un prêtre, d'un sous-diacre et des membres de la fabrique().

 

Un nouveau cimetière pour Saint-Marceau

 

L'antique cimetière paroissial, situé au pied de l'église était devenu vétuste et illégal, car non fermé il était contraire à un article du décret du 12 juin 1804 relatif aux cimetières, ordonnant la clôture de ces derniers. Sur réclamation de la fabrique, la municipalité acquit, après ordonnance royale, un terrain appartenant à une particulière afin de faire transférer le cimetière (avril 1834).

 

Le chemin menant au nouveau cimetière ayant besoin de réparations (écoulement des eaux et consolidation de la chaussée pour le passage des convois), les inhumations continuèrent à se faire dans l'ancien cimetière jusqu'en mai 1835. A cette date, l'ouverture du nouveau cimetière clos de murs et une ordonnance épiscopale() enjoignirent la désaffection du cimetière situé rue Saint-Marceau.

 

En raison de l'éloignement de l'église au nouveau cimetière, la fabrique accorda aux vicaires 20 francs par an afin de se procurer un chantre aux inhumations des pauvres de la paroisse si nécessaire().

 

D'après la législation de 1809, la fabrique pouvait toucher un revenu sur les produits spontanés situés sur le terrain servant de cimetière(). Moyennant la somme de 60 francs par an, Guillaume Verger se chargea d'être le fossoyeur et de prendre le fermage des deux cimetières, le produit des récoltes en herbes devant lui revenir. Il exerçait déjà les fonctions de sacristain-sonneur depuis 1806 en plus d'être adjudicataire des places de l'église().

 

Le 21 septembre 1835, nommé chanoine de Sainte-Croix, l'abbé Foucher en séance extraordinaire, fit sa dernière reddition de comptes. Six jours plus tard, un nouveau prêtre était installé à la cure de Saint-Marceau.

 

Bien qu'ayant exercé cinq ans après le changement de régime politique en France, Pierre Antoine Foucher reste le type même du curé orléanais de l'époque de la Restauration, attaché à la royauté d'autant plus qu'il suivait son évêque dans cette démarche. Participant aux missions comme l'ensemble du clergé de la ville, il fut aussi un homme généreux ayant le souci d'aider à la fois les pauvres gens nombreux sur sa paroisse et les religieux chargés de l'enseignement. En un sens, il annonce ce milieu du XIXème siècle qui vit fleurir toutes sortes d'oeuvres et d'associations fondées par des ecclésiastiques ou des laïcs.

 

 

"Vue prise à la Croix Saint-Marceau à Orléans"

par Adrien de Bizemont, 1819()

 

 

Point de liaison entre la rue Dauphine, la rue Saint-Marceau, la rue de la Mouillère, la route d'Olivet et la rue de la Cigogne, le carrefour de la Croix Saint-Marceau fut et reste encore aujourd'hui le véritable centre du quartier, en même temps qu'une des entrées de la ville.

 

A l'extrême gauche du lavis à l'encre de Chine exécuté par Bizemont, on distingue l'extrémité de la rue Dauphine, aménagée en promenade avec sa rangée d'arbres. Près de ces derniers, à droite, un des quatre bureaux d'octroi installés à Saint-Marceau (les autres se situaient dans le secteur de la rue Tudelle à l'ouest, près de la caserne Saint-Charles à l'est, et à l'entrée du pont aux Tourelles) et chargés de percevoir les droits sur les marchandises venues du sud de la France (route royale n°20 Paris-Toulouse, de nos jours RN20). Au fond, rue Saint-Marceau, le clocher de la vieille église du XVIème siècle domine tout le quartier.

 

Le dessinateur a indirectement représenté le caractère de religiosité des habitants de cette partie d'Orléans : tandis que deux personnes qui ressemblent par leur tenue à des ecclésiastiques traversent la petite place, une femme prie agenouillée au pied de la Croix Saint-Marceau. Renversée sous la Révolution, remontée puis déplacée en 1805 pour l'aménagement de la rue de la Mouillère, reconstruite en 1846, ce monument n'est pas le souvenir d'une mission rendue en l'honneur des mariniers lors de la crue de 1846, et ce malgré une tradition bien ancrée dans la mémoire des Saint-marcellins et des journalistes locaux d'aujourd'hui.

 

Le registre des délibérations du conseil de fabrique explique d'ailleurs les deux dates 21/8/46 - 18/9/46 gravées sur son chapiteau et source de cette confusion:

"Par une circonstance fortuite, résultat de l'inondation du 21 8bre [octobre] dernier, la croix dite de Saint-Marceau, sise à l'angle de la Rue Dauphine et du faubourg, a été abattue par les eaux et par les soins généreux de M. Gorrand, propriétaire à Saint-Marceau [rue de la Mouillère] et membre du bureau de bienfaisance en mémoire de la perte douloureuse qu'il fit la 18 9bre [novembre] suivant par la mort de Mme Fougen sa fille, il a été relevé et inauguré une nouvelle croix qui le 28 mars écoulé a été bénie et brisée, en commémoration des rameaux, d'autre part le tout au compte de M. Gorrand"().