TROISIEME PARTIE : 

A L'EPREUVE DU TEMPS (1835-1880)

 

 

A. 1835-1880 : un seul curé pour Saint-Marceau

 

 

L'arrivée d'un nouveau prêtre en 1835 représenta pour Saint-Marceau un rajeunissement et un renouvellement certain de son personnel ecclésiastique().

 

 

1. Jean-Michel Riballier, "vétéran du sacerdoce"

 

 

Le 27 septembre 1835, lors d'une grandiose cérémonie(), fut installé à la cure de Saint-Marceau Jean-Michel Riballier, jeune prêtre âgé de 37 ans qui devait rester dans la paroisse plus de 45 ans ! Cet homme fort expérimenté était doté de grandes qualité et put représenter et défendre les intérêts de sa paroisse auprès des autorités civiles et religieuses.

 

a) Son parcours avant d'être nommé à Saint-Marceau

 

Né le 2 mai 1798 à Orléans, Jean-Michel Riballier était issu "d'une famille profondément chrétienne qui eut l'honneur insigne de donner à l'Eglise trois prêtres et une religieuse", selon sa nécrologie parue dans les Annales religieuses et littéraires du diocèse d'Orléans(). Un de ses frères le seconda même comme vicaire de Saint-Marceau de 1835 à 1842 et de 1859 à 1863(). Il entra jeune au Petit-Séminaire et lors de ses études, avait pour camarades "les enfants des plus honorables familles". Ordonné prêtre le 16 juin 1821, il fut successivement vicaire de quatre paroisses (dont celle de Gien) et curé de Lorris avant d'être nommé au sud de la Loire. D'après les Annales religieuses,

"la confiance de mgr de Beauregard, son évêque, l'appela à l'importante cure de Saint-Marceau, en la place du vénérable M. Foucher que l'âge et les fatigues d'un laborieux ministère avaient porté à solliciter un repos bien mérité.

C'est là que dans l'exercice d'un zèle infatigable il a donné pendant près d'un demi-siècle les preuves d'un caractère ferme et bon, toujours emprunt d'une dignité parfaite qui lui attirait le respect de tous".

 

b) Un prêtre compétent et d'une grande piété

 

Les nécrologies sont le plus souvent laudatives et il est difficile de connaître la vraie personnalité du défunt. Les archives diocésaines nous apportent cependant quelques éléments susceptibles de cerner les qualités du curé de Saint-Marceau.

 

En 1873, à la demande de l'évêque, fut rédigé un recueil relatif à l'état-civil et à la carrière de tous les prêtres de son diocèse() (malheureusement interrompu dans les années 1880). Pour chaque ecclésiastique, des observations générales sur ses capacités sont fournies. Jean-Michel Riballier est jugé comme ayant un esprit "très bon", un talent "au-dessus de l'ordinaire", un jugement "très droit" et d'une grande piété. "Bon et calme", il est cependant "très froid et très peu communicatif".

 

Un homme fidèle au devoir, représentatif de son temps

 

La nécrologie dont nous tirons la majeure partie de nos données sur le père Riballier fut rédigée par Eugène Jarossay, vicaire de Saint-Marceau de 1867 à 1880, ayant donc bien connu le curé de Saint-Marceau. Né presque un demi-siècle après ce dernier (en 1843), il écrit à propos du défunt qu'il était

"un des derniers représentants de cet ancien clergé français qui avec des habitudes un peu différentes des nôtres, possédait si éminemment le sentiment de la grandeur et de la vertu sacerdotale. Il en avait la gravité, la régularité des habitudes, avec la simplicité de vie, la candeur du coeur, la droiture du jugement".

Pour Jarossay, son mérite fut de se montrer pendant 45 ans "toujours semblable à lui-même, pieux et dévoué".

 

C'était d'abord un homme très pieux. Tous les jours, il se levait à cinq heures et partait prier un demi-heure dans l'église avant la première messe.

"Et l'hiver, lorsque les ténèbres prolongeaient la nuit, n'était-ce pas un spectacle bien édifiant que de voir ce bon prêtre priant Dieu, seul, dans le sanctuaire silencieux, à la clarté d'une faible lumière, tandis que tout reposait encore autour de lui ?".

Il ne fait pas de doute que l'exercice du culte était correctement rendu :

"En tout ce qui avait rapport aux cérémonies, à la discipline intérieure, aux exercices du culte divin, il apportait le même soin et la même exactitude".

Le curé de Saint-Marceau, par sa très grande piété devait illustrer en 1880 le type ancien du curé soucieux de l'observance de la règle, condition nécessaire de son sacerdoce(). C'est à ce titre que monseigneur Dupanloup présida ses obsèques célébrées dans la cathédrale en juin 1880().

 

Dans un contexte difficile de manque de piété des populations du diocèse d'Orléans, le curé Riballier se soucia de l'éducation religieuse de ses paroissiens. Selon son ancien vicaire, lors de ses sermons, sa parole, toujours bien préparée, simple mais manquant de chaleur, "avait pour ses auditeurs un charme persuasif; on l'écoutait avec autant de plaisir que de fruit". Nous étudierons plus particulièrement son action envers la population dans la partie consacrée aux oeuvres et autres enseignements de secours et de charité développés sur la paroisse.

 

Son rôle au chapitre de Sainte-Croix

 

A partir de 1835, le père Riballier fut chanoine honoraire de Sainte-Croix. Ce titre, purement honorifique, lui permit peut-être de pouvoir siéger aux côtés d'autres chanoines comme assesseur() du tribunal chargé de la discipline ecclésiastique (l'officialité), rétabli par monseigneur Dupanloup dès son accession au siège en 1849. A ses côtés comme greffier, l'abbé Rabotin, avait été un très éphémère vicaire de Saint-Marceau (pendant deux mois en 1841). Ses grandes facultés intellectuelles l'avaient appelé en fait vers d'autres horizons.

 

c) A ses côtés, des vicaires parfois remarquables : le cas de l'abbé Rabotin, devenu secrétaire de monseigneur Dupanloup

 

Destinés à seconder le curé dans ses tâches pastorales, des prêtres ayant exercé leur vicariat à Saint-Marceau furent en effet promis à de brillantes carrières, comme celle de Jean Poirée, étudiée précédemment(). Trois des vicaires du curé Riballier furent ainsi nommés au secrétariat de l'évêché. Louis-Alexandre Rabotin en demeure le plus illustre.

 

Né en 1814, vicaire de Gien puis de Saint-Marceau, professeur au séminaire, il fut remarqué par l'évêque Fayet qui en fit son secrétaire général. En 1849, monseigneur Dupanloup le conserva à ce poste. Son "puissant esprit d'organisation" lui permit d'être à la fois secrétaire général, greffier de l'officialité, secrétaire de la caisse diocésaine et du bureau d'administration du séminaire, membre de quatre commissions (dont celle de la fabrique de la cathédrale). Il fut aussi successivement archidiacre de Montargis, d'Orléans extra-muros et de Pithiviers.

 

Pour Christianne Marcilhacy, qui le qualifie de "bourreau de travail"(), sa très grande intelligence, sa précision et son esprit de synthèse complétaient admirablement le caractère parfois impulsif de Félix Dupanloup. Reconstituant les archives du diocèse d'avant 1880, il accompagnait aussi l'évêque dans toutes ses visites pastorales. A la fin de l'épiscopat de monseigneur Dupanloup, le chanoine Rabotin se chargeait pratiquement de toutes les affaires diocésaines, devenant "le Colbert de Dupanloup"(). Jusqu'à son départ de Saint-Marceau en 1880, le curé Riballier possédait ainsi le grand avantage d'avoir comme principal interlocuteur un homme exceptionnel ayant le mérite d'avoir approché de près comme ancien vicaire la paroisse. Outre l'atmosphère de confiance et les bonnes relations que cela pouvait entraîner entre la fabrique et l'évêché, les intérêts de la paroisse avaient plus de chance d'être défendus et pris en considération par l'autorité épiscopale (ce qui fut le cas lorsqu'il s'agit de reconstruire l'église).

 

d) 45 ans de présence au sud de la Loire

 

Exemple parfait de l'inamovibilité du curé concordataire car resté 45 ans à Saint-Marceau, l'abbé Riballier connut cinq évêques() et vit successivement passer à Saint-Marceau une dizaine de vicaires sous quatre régimes politiques différents: la Monarchie de Juillet, la Seconde République, le Second Empire et la Troisième République.

 

Ces bouleversements politiques n'ont peu ou pas eu d'influence sur la vie de la paroisse et de sa fabrique. Nulle part il n'est fait mention de "démission forcée" de ses membres pour raison politique, cette dernière n'ayant rien à faire au sein d'une administration paroissiale. Bien au contraire, l'ensemble de son personnel était le plus souvent réélu à l'unanimité et sans aucun changement, sauf une nouvelle répartition des fonctions. Cette inamovibilité dans les faits était tolérée par le règlement général de 1809 sur les fabriques(). Dans le registre des délibérations de la fabrique, il n'est pas rare de lire des procès-verbaux d'élections comme suit :

"Au terme du Décret sur les fabriques, la promotion des membres du Conseil d'administration & du Bureau des marguilliers a dû subir une nouvelle élection : à l'unanimité le conseil a manifesté le désir de se maintenir composé & par lui-même & par son Bureau dans l'état actuel, si toutefois des causes de droit ou de motifs particuliers ne nécessitaient un changement dans l'administration. Rien ne s'étant opposé à l'état existant, le Conseil & le Bureau resteront constitués comme les années précédentes"().

 

2. Une fabrique très fragilisée;

courte embellie avant l'orage (1835-1849)

 

 

Les premières années de sacerdoce du curé Riballier ne sont marquées d'aucun événement majeur, la situation financière de la fabrique étant toujours aussi médiocre.

 

a) Des problèmes d'argent chroniques

 

Un mois après l'arrivée de leur nouveau président, il fut décidé en conseil "de faire afficher dans l'Eglise au-dessus des bénitiers, que les retardataires à la fabrique tant pour les places à l'Eglise, que sépultures & autres engagemens eussent à verser entre les mains du trésorier ce dont ils sont encore redevables; les besoins de la fabrique commandent impérieusement cette demande [souligné par nous]"().

 

La fabrique dut également renoncer en 1837 à la succession d'un notable de la paroisse, Pierre Pilleboue, pourtant "bienfaiteur" car ayant cédé le presbytère à la fabrique(). Selon cette fondation, une trentaine de messes annuelles (15 pour le repos de l'âme de Pilleboue et 15 autres pour ses parents) devaient être dites à l'église, entraînant nécessairement des dépenses supplémentaires en cire, en vin et davantage de dégradation des ornements. "Malgré l'ordre, l'économie et la prudente administration", les comptes de l'année 1837 n'avaient permis aucun excédent de recettes. Une lettre de renonciation signée par tous les membres fut adressée au notaire de la succession car cette dernière "laisserait à la fabrique déjà faible en ressources des charges surpassant sa donation et grèveraient les intérêts d'une fabrique peu avancée"(). Si peu avancée que cinq ans plus tard, le curé Riballier avança 3 000 francs à la fabrique pour acquittement de ses charges. La fabrique, dont le but était d'assurer la décence du culte, arrêta la pose d'un orgue à neuf jeux (coût 6 000 francs, auquel il fallut ajouter les travaux de construction de la tribune)().

 

Dans un souci de compassion et de charité, la fabrique se chargea de la sépulture de deux petites filles de la paroisse, victimes innocentes d'un déséquilibré() :

" Le conseil de fabrique assemblé extraordinairement relativement à l'événement arrivé le 24 juillet précédent, sur deux jeunes enfans de la paroisse Saint-Marceau (...), toutes deux âgées d'environ 12 ans, enlevées à leurs familles par une mort violente & inopinée & trouvés dans un bois à 7 lieues d'Orléans. Leurs restes ont été retirés le 3 courant & enterrés le jeudi 5, dans le cimetière de ladite paroisse en présence du clergé, des familles des dits enfans, des membres de la fabrique, des autorités judiciaires & la gendarmerie; enfin un concours nombreux d'habitants d'Orléans de toutes les classes; tous voulant donner un témoignage réel du regret éprouvé par un malheur inouï.

Le conseil désirant prouver aux parens la part qu'il prend à la perte cruelle qu'ils viennent de faire, a à l'unanimité arrêté qu'une quête serait faite incontinent dans toute la paroisse, à l'effet d'élever un monument à la mémoire de ces jeunes innocentes, dont la vie sage augmente les regrets de ceux qui les ont connues. Le surplus sera versé entre les mains de m. le curé pour subvenir aux besoins des parens peu fortunés. Une inscription simple sur le monument indiquera l'époque de son érection & en consacrera le souvenir (...)"().

 

b) En 1843, une timide amélioration...

 

D'après le registre des délibérations du conseil, 1843 amena une relative amélioration de la situation financière, manifestée par l'augmentation de 50 francs du traitement des deux vicaires, "sur la proposition de m. le curé & vu la position améliorée de la caisse de la fabrique"().

 

Une église du Loiret ayant été durement frappée et endommagée par la foudre, les fabriciens décidèrent d'assurer l'église et le presbytère par deux compagnies d'assurances, l'une pour la partie mobilière et l'autre pour l'immobilier (les deux maisons situées place de la Bascule appartenant à la fabrique avaient déjà été assurées), sur une estimation de 40 000 francs pour l'église et de 10 000 francs pour son mobilier().

 

La grosse cloche de l'église, depuis trop longtemps fêlée, fut remplacée au meilleur marché et bénie en décembre 1844 à l'issue de la messe, en présence de l'archidiacre(). Comme en d'autres occasions, la cloche eut comme parrain et marraine deux notables de la paroisse de Saint-Marceau : un ancien négociant et l'épouse d'un "manufacturier", dirigeant d'une importante teinturerie établie rue Saint-Marceau().

 

En 1843, la fabrique de l'église Saint-Marceau pouvait à juste titre espérer enfin une stabilisation de sa position financière et matérielle. Trois années plus tard, la première des trois grandes crues catastrophiques allait anéantir cet optimisme mesuré et replonger Saint-Marceau dans de nouveaux malheurs.

 

c) ... mise à mal par l'inondation de 1846 : le temps des destructions

 

Suite à une rupture des levées destinées à protéger les riches terres du Val, le débordement des eaux des 20 et 21 octobre 1846 toucha Saint-Marceau de plein fouet. L'eau pénétrant dans l'église détruisit le carrelage, le mobilier (dont une cinquantaine de chaises) et des ornements renfermés dans l'église et la sacristie, indispensables au culte. Une grande partie des murs du presbytère furent renversés par la violence des flots et tout le rez-de-chaussée envahi par de la boue. La porte d'entrée et les murs emportés, le nouveau cimetière laissé à découvert devint la proie des pillards.

 

La fabrique décida aussitôt de faire faire une quête à domicile, ses ressources étant bien trop insuffisantes pour réparer les pertes. Mais "dans une contrée qui n'offre plus de ressources à ses habitants pour réparer de son côté les pertes trop considérables (...)"(), elle n'hésita pas à adresser une supplique à la "Reine des Français", Marie-Amélie, duchesse d'Orléans et épouse de Louis-Philippe, par l'intermédiaire de son Secrétaire des Commandements, dans l'espoir qu'elle daigne les secourir : un don de 100 francs fut ainsi adressé à la fabrique(). Pour subvenir aux besoins les plus urgents, les acacias de l'ancien cimetière furent adjugés pour 161 francs.

 

Malgré cela et la générosité de quelques personnes(), la fabrique se trouvait gravement atteinte, l'inondation épuisant ses ressources "par la gêne actuelle des habitants de cette paroisse en bonne partie ruinée par les conséquences de l'inondation"(). Dans le but d'indemniser les sinistrés, un état approximatif du budget de l'exercice d'avril 1846 à avril 1847 fut réclamé par la municipalité. En effet, le décret du 30 décembre 1809 sur les fabriques stipulait qu'en cas d'insuffisance des ressources de la fabrique pour pourvoir à des dépenses obligatoires, toute commune dût y suppléer(). Les recettes et les dépenses étaient parfaitement équilibrées, mais la fabrique ne pouvait plus espérer le recouvrement rapide d'un arriéré de 3 700 francs dûs par les paroissiens pour divers services (sépultures, location des places, etc), ses ressources ayant été "anéanties par cette occurrence fâcheuse"(). Après examen du budget par le conseil municipal puis avis de l'autorité épiscopale, le préfet arrêta d'après devis le montant des réparations: elles s'élevaient à plus de 2 700 francs(), prises en charges par l'autorité civile, la fabrique se chargeant du renouvellement des ornements et des objets nécessaires à l'exercice du culte (objet de son existence).

 

Plus d'un an après l'inondation, la fabrique endettée et totalement incapable de réparer l'église et le presbytère fut indemnisée sur le montant des secours alloués à la ville d'Orléans par le gouvernement.

 

3. Les premières années houleuses

d'une cure de première classe (à partir de 1849)

 

 

Par arrêté du 28 mars 1849, le comte de Falloux, ministre de l'Instruction publique et des Cultes, érigea Saint-Marceau en cure de première classe, le traitement de son desservant atteignant 1 500 francs(). Bien que n'atteignant pas le chiffre de 5 000 âmes nécessaires à cette opération(), nous pensons que la catastrophe de 1846, reconnue désastre national, toucha les autorités au point d'essayer d'améliorer la situation précaire de la fabrique du sud de la Loire, la seule à Orléans à avoir été complètement sinistrée (directement par les dégâts occasionnés à ses biens et indirectement par le "manque à gagner" au niveau des rentrées d'argent du fait de la relative pauvreté de la population).

 

a) Saint-Marceau victime d'une injustice ?

 

En janvier 1850, les affaires relatives aux enterrements occupèrent la fabrique sur deux niveaux : le cimetière et la répartition du produit des pompes funèbres.

 

Avec l'aménagement du cimetière, la multiplicité et la trop grande largeur des allées avaient entraîné une situation scandaleuse. Les sépultures occupaient presque la même surface que les concessions (ces dernières étaient rares à Saint-Marceau, du fait de la situation précaire de ses habitants) et il ne restait plus que la moitié du cimetière pour les inhumations ordinaires. En conséquence, le secrétaire de la fabrique note que "souvent on lève les corps avant qu'ils soient entièrement consommés"(). Afin d'éviter cela ainsi que "les plaintes réitérées des paroissiens", une lettre fut adressée au maire.

 

Beaucoup plus importante fut la réclamation faite à l'autorité épiscopale relative à la répartition du produit des pompes funèbres(). Cette dernière se faisait de la manière suivante :

1. sur le total du bénéfice net du produit, prélèvement de 1% en faveur de l'église protestante.

2. ce prélèvement opéré, une somme fixe de 6 000 francs était allouée à la cathédrale.

3. les autres fabriques recevaient ensuite de la somme restante :

Saint-Paul, Sainte-Paterne : 1/8ème

Saint-Aignan, Saint-Pierre-le-Puellier : 1/10ème

Saint-Donatien, Saint-Laurent, Saint-Marceau : 1/12ème

Saint-Vincent, Saint-Marc, Les-Aydes : 1/14ème

Ces sommes ainsi réparties, il restait 1/420ème de la somme à partager entre les 11 fabriques. Cette somme était allouée à une ou plusieurs paroisses selon la volonté de l'évêque.

 

Ce système de répartition n'avait pratiquement pas été modifié depuis 1809, date à laquelle les fabriques avaient reçu le monopole des pompes funèbres. L'accroissement de la population mais surtout la cure de 1846 amenèrent les fabriciens de Saint-Marceau à s'adresser à monseigneur Dupanloup (installé à Orléans en 1848), s'estimant victime d'une injustice. Nous avons reproduit cet intéressant document dans l'annexe de la présente étude.

 

Saint-Marceau, la seule paroisse d'Orléans a avoir souffert en totalité de l'inondation de 1846, fut touchée comme le reste d'Orléans par la poursuite du marasme économique, même après la Révolution de 1848() ("d'autres circonstances fâcheuses pour l'industrie de Saint-Marceau sont encore survenues depuis"). Le déclin de la navigation entraîna aussi une augmentation du paupérisme chez les habitants des bas-quartiers de la ville. Il semblait donc juste aux fabriciens de réviser le mode de répartition en faveur de Saint-Marceau, qui ne pouvait plus être comparée aux autres paroisses de la ville, pourvues de moins d'habitants et moins étendues.

 

Désirant prouver leur bonne foi, la fabrique avait également répondu aux multiples demandes de l'évêché tendant à augmenter le traitement des vicaires pour les mettre à niveau avec ceux du reste d'Orléans, et ce malgré une situation financière aléatoire.

 

La requête des fabriciens n'eut pas de véritable suite, l'épiscopat se contentant à partir de 1853 d'ajouter 10 francs dans la part allouée à Saint-Marceau. Il fallut attendre 1879 et le départ de Félix Dupanloup pour qu'un mode de répartition plus équitable soit proposé par la commission des pompes funèbres (composée de fabriciens représentant les onze paroisses) et approuvé par le nouvel évêque Coullié.

 

Miné par la crue de 1846, le presbytère nécessitait des travaux de réparation et d'agrandissement. Les revenus annuels de la fabrique étant absorbés par les dépenses ordinaires (frais de célébration du culte et traitement des serviteurs de l'église par exemple), décision fut prise de vendre les deux maisons vétustes que la fabrique avait recouvré au début du siècle (les frais de grosses réparations étaient trop importants et leur réédification impossible pour une fabrique endettée de trois ans) et de demander 1 500 francs au ministre des Cultes pour suppléer aux ressources de l'établissement. Devant son refus et celui de la ville, le projet relatif au presbytère fut abandonné(). La situation étant devenue insupportable, la fabrique à court d'argent() dut constituer au profit d'une paroissienne une rente viagère de 120 francs consentie moyennant 1 000 francs reçus en espèces(). Malgré cet emprunt, le budget rendu en avril 1853 présentait encore un déficit de plus de 40 francs. Diverses mesures d'économie furent prises:

- réduction pour une période de 10 ans du traitement des deux vicaires qui passa de 800 à 700 francs,

- suppression des gratifications accordées au bas-choeur,

- suppression des bougies.

Les revenus annuels ne suffisaient à peine aux dépenses ordinaires. La précarité de la caisse aboutit en 1859 à la crise interne la plus grave que la fabrique ait jamais connu durant tout le XIXème siècle.

 

b) La crise de 1859 : la fabrique menacée d'implosion

 

Lors de la séance du conseil du 1er mai 1859 où fut discuté et arrêté le budget de l'exercice 1860, deux graves observations furent faites par deux fabriciens au sujet des finances de la fabrique, l'une sur la cire et l'autre sur les impositions des portes et fenêtres. Les deux accusateurs quittèrent la séance sans signer le procès-verbal, ni celui de la séance suivante du 2 octobre. Qui étaient-ils?()

 

Les responsables

 

Pierre Desse, fabricien élu en 1850, pépiniériste de Saint-Marceau et conseiller municipal, avait été de 1849 à 1852 l'un des cinq conservateurs du Jardin des Plantes mis en place par le maire pour en améliorer la situation financière. Avec deux de ses collègues, il démissionna de son poste, n'ayant pu remplir cette tâche. Nous pouvons aussi noter à son propos qu'il fut membre des commissions de charité et de secours aux pauvres, plus particulièrement lors des inondations de 1846 et de 1856.

 

Léon Testu nous est moins connu. Le recensement de la population de 1861 nous apprend seulement que cet ancien principal de lycée venu du département de la Seine() s'installa rue Dauphine. Le précédent recensement de 1856 ne le mentionnant pas, nous concluons que son installation à Saint-Marceau était récente, sa nomination à la fabrique en 1858, confirme cette assertion.

 

En 1859, ces deux notables, tous deux âgés de 47 ans() se trouvèrent réunis dans une même dénonciation relative à la manière dont les comptes étaient rendus et des abus supposés être en faveur du curé de Saint-Marceau. Sur le registre des délibérations du conseil, les deux hommes exposèrent leurs griefs, motifs de leur démission de la fabrique, ayant reconnu "que le bien y est impossible et le mal peut-être irréparable"() Quelles étaient les raisons de cette virulente protestation?

 

Les accusations portées à l'encontre de la fabrique

 

La première accusation portait sur le produit de la cire et de sa répartition. Selon le décret du 26 décembre 1813 sur la cire employée dans les services funèbres, tous les cierges portés par les membres du clergé devaient leur appartenir. Les autres cierges placés autour du corps, à l'autel ou dans toute autre partie de l'église étaient répartis entre la fabrique et le clergé. La partie revenant à la fabrique était alors pesée et revendue au fabricant de cierge(). Afin d'éviter d'éventuelles frictions entre la fabrique et le curé mais surtout pour donner à ce dernier un supplément à son traitement (1 000 francs jusqu'en 1849), le conseil avait pris en 1838 la décision de céder la part des cierges qui revenait à l'abbé Riballier, "considérant les dépenses faites et à faire par m. le curé les jours de fêtes et de réception, conformément à l'usage établi dans les paroisses de la ville (...)"().

 

Testu et Desse accusèrent la fabrique d'avoir concédé au curé, "sur ses instances", le produit de la cire revenant à la fabrique par la loi, la délibération de 1838 étant selon eux "de nul effet, attendu que l'on ne détruit pas une loi par voie de délibération".

 

La seconde accusation portait sur la contribution des portes et fenêtres du presbytère. Depuis 1835, date de l'arrivée du curé Riballier, la fabrique payait cet impôt à la place du desservant. "Attendu que la caisse de la fabrique ne doit s'ouvrir uniquement que pour les besoins de l'Eglise et du Culte", l'administration avait eu "l'incroyable imprévoyance de payer au lieu et place du curé ses impositions", se mettant ainsi dans l'illégalité la plus complète ("il n'y a de légal que ce qui est selon la loi, et il n'y a aucune loi qui prescrit le payement de ces impositions par les fabriques"). La fabrique fut également accusée d'avoir payé plus qu'elle n'aurait dû le faire les impositions d'une maison qui avait été cédée à la ville pour agrandir l'école des Frères.

 

Le traitement d'un second vicaire voté par la fabrique "sur la demande de m. le curé" fut jugée inutile et dispendieuse. Selon les deux fabriciens, la comptabilité était négligée en laissant un arriéré de compte des chaises et droits de fabrique sur les services funèbres avec une perte de 500 francs. En définitive, l'incompétence de la fabrique et l'influence du curé avait fait perdre plus de 3 500 francs en 24 ans.

 

Les conclusions des observations transcrites par Desse sur le registre étaient très graves puisqu'elles visaient directement la moralité et la bonne foi de l'ensemble de la fabrique. Son président, en l'occurrence le curé était particulièrement touché : il était accusé d'avoir en 24 ans (1835-1859) "touché induement et illégalement une somme de 2 400 francs" (cire et imposition des portes et fenêtres).

 

Enfonçant le clou, Testu et Desse n'hésitèrent pas à remettre en cause le travail de leurs collègues, totalement aux ordres du curé selon eux :

" L'administration ou plutôt m. le curé, qui est à lui seul toute l'administration, a par une négligence coupable compromis gravement la caisse (...)".

" Comment s'étonner maintenant des souscriptions, des emprunts, pour faire face aux dépenses (...) Ces emprunts montent déjà à la somme de 6 000 francs. Si l'exactitude des chiffres n'était pas tout à fait rigoureuse, il faudrait l'attribuer au trésorier, qui n'a pas, au mépris de la loi, donné une seule fois l'état de l'actif et du passif de sa caisse qu'il doit présenter tous les trois mois".

 

Deux moyens radicaux étaient proposés pour sortir la fabrique de la crise:

- "la restitution des sommes payées induement ou compromises par le fait d'une mauvaise administration".

- la suppression des concessions et d'un vicaire, nécessaire à l'amortissement de la dette (économie estimée à 800 francs).

Confrontés selon eux à l'immobilisme de l'administration de la fabrique, ils choisirent finalement de se retirer, impuissants "à accomplir cette noble tâche, dans l'état actuel des hommes et des choses".

 

La réponse de la fabrique et de l'épiscopat

 

L'affaire était trop grave pour rester en l'état. Le curé de Saint-Marceau écrivit aussitôt à une revue de jurisprudence, le Bulletin des lois civiles ecclésiastiques (Paris) pour avoir son avis sur les actes d'accusation portés par les deux anciens fabriciens. Les réponses étaient souvent incertaines du fait de la grande approximation de la législation concordataire confrontée à la multitude de cas particuliers et à des coutumes locales survivantes de l'Ancien Régime() :

"la solution de cette question dépend uniquement de l'état des finances de la fabrique" ou "quoique l'on ne trouve point de délibération spéciale à ce sujet : nous pensons qu'il en est ainsi, puisque l'on ne peut aller contre ce qui est consigné au budget et aux comptes"().

 

La réponse de l'autorité épiscopale vint par le biais du vicaire général officiel et archidiacre d'Orléans qui présida la séance du conseil du 6 décembre 1859(). Son but fut de détruire systématiquement les accusations des deux ex-fabriciens.

 

"A la suite de dissentiments" survenus entre Testu, Desse et leurs collègues, les deux hommes avaient démissionnés après avoir rédigé "en dehors de toute réunion" une note explicative de leur conduite accusant les fabriciens "mais en particulier m. le trésorier et m. le curé d'avoir trahi les intérêts de la fabrique". Pour le vicaire général Desbrosses, Desse, en tant que secrétaire de la fabrique, n'aurait jamais dû utiliser le registre à titre personnel, ce dernier ne devant servir qu'à consigner les procès-verbaux des séances. Cette première observation suffisait pour rendre illégale l'action des deux plaignants, mais il était nécessaire d'avancer des arguments sensés afin de démonter les accusations portées contre la fabrique. Desbrosses trouva simplement comme justification le poids des traditions, l'usage courant allié à l'infaillibilité épiscopale.

 

Le conseil en prenant à sa charge la contribution des portes et fenêtres du presbytère, loin de se faire abuser, exprimait au contraire :

"la volonté positive de continuer les traditions de leurs prédécesseurs, et d'imiter, sous ce rapport, la plupart des conseils de fabriques de la ville, qui sont dans l'usage de faire cette gracieuseté à mm. les curés".

 

La même raison fut appliquée au sujet de l'abandon de la cire. Selon la conclusion de l'archidiacre et de la fabrique, la protestation des deux réclamants était d'autant plus "inqualifiable" qu'elle remettait indirectement en cause le travail du bureau de l'évêché :

"(...) l'approbation de l'autorité diocésaine apposée tous les ans au budget est un titre pleinement suffisant pour que m. le curé ait pu, en toute conscience, jouir de cette faveur, et qu'il soit impossible de lui rien réclamer".

 

La proposition de suppression d'un deuxième vicaire fut également jugée sans fondement , "puisqu'il est notoire que la paroisse Saint-Marceau a toujours eu deux vicaires depuis la restauration du culte".

 

En ce qui concerne l'accusation d'avoir payé les impôts d'une maison cédée à la ville, il apparut que la fabrique, sur erreur des contributions directes, l'avait prise à son compte deux ans seulement, "ce dont ces messieurs auraient pu acquérir la preuve, s'ils eussent voulu prendre la peine de vérifier les faits".

 

Après étude des comptes, il fut prouvé que l'arriéré estimé 500 francs par Testu et Desse n'avait pas dépassé 150 francs (dus à des créances portant sur des débiteurs insolvables). Admettant que la reddition des comptes du trésorier fut irrégulière et non conforme à la loi, le vicaire Desbrosses note qu'"elle s'est toujours faite au moins une fois par an, et qu'il n'aurait tenu qu'aux réclamants de la mettre en demeure de le faire plus souvent".

 

Enfin sur l'accusation portée à l'encontre du curé d'être à lui seul toute la fabrique, l'examen du registre des délibérations et du livre des recettes et dépenses prouva que tous les membres, par leur signature, prenaient "une part convenable à l'administration".

 

Jugeant qu'il était de son devoir "de réduire à néant un acte entaché d'une illégalité flagrante", après avoir reçu l'avis des fabriciens, l'abbé Desbrosses arrêta la radiation du registre des délibérations de la protestation des ex-fabriciens Testu et Desse. "Pour réparer autant que faire se peut l'injure qui en résulte pour chacun des membres du conseil", l'arrêté fut transcrit intégralement sur le registre et la minute (écrit original) déposé à l'évêché.

 

La décision du ministre des Cultes

 

L'affaire Testu et Desse, à l'origine strictement locale, fut en fait prise en main et réglée par monseigneur Dupanloup sur les conseils du ministère. Par une lettre adressée à l'évêque d'Orléans, que nous reproduisons en annexe, le ministre des Cultes rappela les éléments du dossier et proposa à la fabrique de recouvrer tous ses droits selon la législation en vigueur, tout en admettant l'exagération des accusations. Contrairement à la décision épiscopale rendue par le biais du vicaire Desbrosses, les deux notables n'étaient donc pas totalement désavoués par l'autorité ministérielle : c'est plus la façon d'agir et la violence des propos que les motifs (en partie justes) qui furent condamnés.

 

Une remise en question finalement salutaire

 

La brève mais intense crise interne de 1859 eut un effet bénéfique pour la fabrique, victime malgré elle de sa trop grande générosité envers son curé, mais cela n'était-il pas mérité ? Chose assez extraordinaire, la fabrique et le curé pardonnèrent le geste de Pierre Desse() puisqu'en 1867 il fut réélu membre de la fabrique. Président du bureau en 1886, puis du conseil à partir de 1889, il devait rester à ce poste jusqu'à sa mort survenue en 1901, à l'âge de 89 ans ! Il était ainsi resté à la fabrique de 1850 à 1859, puis de 1867 à 1901, soit 43 ans de présence.

 

Il semble qu'après 1859, la situation financière de la fabrique se soit améliorée() au point de pouvoir réduire son endettement et de dégager annuellement des bénéfices de plus en plus importants, grâce à la générosité croissante de personnes de la paroisse en donations et fondations. A partir de 1870, plus de 3 000 francs annuels purent ainsi être dégagés() et placés en titres de rentes sur l'Etat. Tout cet argent n'avait d'autre but que la restauration de la vieille église, minée par les crues et devenue dangereuse pour ses fidèles.

 

c ) Une église "à bout de souffle"

 

La reconstruction des voûtes de l'église

 

En 1855, le conseil de fabrique, devant l'urgence de la situation décida de réparer les voûtes des trois nefs de l'église. Le rapport de l'architecte chargé d'examiner l'état des voûtes était éloquent :

" (...) Nous avons remarqué que les voûtes en bois de la dite église sont en très mauvais état, qu'en plusieurs endroits les arceaux ont besoin d'être renouvelés, que les planches mal jointes ne garantissent plus du froid et de l'humidité, que même, dans certaines parties, elles sont sur le point de tomber, ne tenant plus qu'au moyen de fils de fer: ainsi il y a urgence à refaire les dites voûtes (...) Les murs sales et dégradés dans plusieurs endroits ont besoin d'être enduits"().

 

Les travaux se montant à plus de 5 300 francs, la fabrique décida d'ouvrir une souscription pour cinq ans destinée à financer la reconstruction des voûtes. En avril, 2 500 francs environ avaient été recueillis. La demande d'un secours de la mairie fut abandonné, nous ne savons pas pourquoi. La fabrique, prévoyant peut-être une future reconstruction totale de l'église, ne souhaita pas demander de l'argent à la ville à l'occasion d'une réparation partielle. Le conseil traita plutôt le travail avec l'entrepreneur chargé des travaux : la construction de la voûte des deux basses nefs fut retardée de deux ans "et si la fabrique ne peut pas payer à cette époque elle servira les intérêts à raison de 4% jusqu'à remboursement de la somme totale"().

 

En 1857 (un an après une nouvelle crue destructrice), ne pouvant effectuer le dernier paiement des travaux, la fabrique emprunta 1 300 francs à plusieurs personnes dont des membres de la famille d'un ancien fabricien de Saint-Marceau (en poste de 1821 à 1850), remboursable en 1860().

 

 

Trois images de l'ancienne église Saint-Marceau

à la fin du XIXème siècle

 

 

- Photographie du clocher et de la façade occidentale (côté rue Saint-Marceau)

(collection particulière)

 

- Aquarelle de Paul Dauveur ou de Charles Pensée (son professeur), 1890 (B.M.O.)

 

- Photographie de la nef (Collection particulière)

 

Ces trois illustrations permettent de se représenter l'aspect de l'édifice reconstruit au XVIème siècle, plusieurs fois réparé et disparu aujourd'hui. Desservant un des faubourgs d'une ville de plus de 50 000 habitants, cette petite église d'aspect champêtre était devenue dangereuse pour la sécurité de ses fidèles : le temps et les inondations successives ayant fait leur oeuvre, des étais furent placés dans la nef (photographie) afin d'empêcher l'effondrement des voûtes. L'unique but de la fabrique et de la paroisse Saint-Marceau toute entière fut dès lors de construire une nouvelle église moderne et décente pour la population.

 

Réparations d'urgence et autres restaurations partielles

 

La crue de la Loire de 1866 amenant de nouvelles dégradations, des secours furent réclamés à la mairie. Le budget de la paroisse ainsi que le compte des dépenses et recettes furent adressés à la municipalité afin d'accorder un supplément d'argent à la fabrique. La construction d'arcades en ogive fut envisagée en 1869 après accord de l'épiscopat et de la municipalité.

 

A partir de cette date, plusieurs mesures furent prises par la ville, en attendant une "restauration" de l'église (il n'était encore pas question d'une reconstruction totale) :

" Bien que le rapport des experts qui ont examiné ces jours-ci l'état de solidité de l'Eglise de Saint-Marceau, exprime l'avis que l'édifice ne présente pas en ce moment de danger, le conseil municipal, auquel j'ai communiqué hier soir ce document, a décidé que de nouveaux étais seraient posés, pour donner plus de sécurité (...)"().

En 1873, le curé de Saint-Marceau fit état au maire de la grande dégradation de la nef sud de l'église. Au nom de "l'intérêt de la sécurité publique", le père Riballier fut prié de faire interdire à ses fidèles l'accès à cette nef().

 

Un an plus tard, décision fut prise par la fabrique d'offrir 20 000 francs à la mairie "pour la reconstruction de la plus grande partie de l'église". Cette somme sera versée en deux paiements égaux; le premier lorsque le travail sera exécuté à moitié et le second lorsqu'il sera entièrement fini(). Monseigneur Dupanloup, qui connaissait bien l'état de vétusté de l'église (en décembre 1868, il y célébra la confirmation et demandait déjà la consolidation de l'édifice), accorda à la fabrique sur le produit des pompes funèbres 1 000 francs par an pendant dix ans().

 

Il était toujours question de "reconstruction partielle", de restauration, mais l'église était dans un tel état qu'il fallait mieux prévoir sa reconstruction totale. La fabrique et des particuliers de Saint-Marceau en étaient conscients(). Les travaux d'urgence destinés à assurer la sécurité des personnes (pose d'étais, consolidation des voûtes) se multipliaient en augmentant inutilement les dépenses et sans régler à long terme le problème : l'église de Saint-Marceau était irrécupérable. En attendant une subvention de l'Etat, le maire d'Orléans consacra en 1875, 80 000 francs à sa restauration.

 

Les choses en restèrent là (la reconstruction ne commença qu'à partir de 1888). Le curé Riballier ne vit donc jamais l'oeuvre qu'il avait si ardemment souhaité. Ses successeurs se chargeraient de continuer son travail, de recueillir toujours plus d'argent dans un seul but : donner à Saint-Marceau un édifice cultuel neuf et décent.

 

d) Le départ de l'abbé Riballier

 

Au début de l'année 1879, le nouvel évêque d'Orléans Pierre Coullié (1878-1893) fit la visite canonique de la paroisse, se félicitant de la bonne tenue de la fabrique et de son clergé().

 

Doyen de promotion de tous les membres du chapitre, administrateur des Hospices et du bureau de bienfaisance d'Orléans à partir de 1876, Jean-Michel Riballier quitta en décembre 1879 la paroisse qu'il avait administrée pendant 45 ans, l'évêque l'ayant nommé chanoine titulaire de sa cathédrale. Il devait décéder six mois plus tard en juin 1880, à l'âge de 82 ans, dans des circonstances dignes de celles d'un saint, selon son ancien vicaire Jarossay().

 

Les longues années de sacerdoce de l'abbé Riballier à la cure de Saint-Marceau furent également marquées par un renouveau de la piété (comme le retour des reliques du saint patron par exemple) et la fondation d'oeuvres de charité ou d'établissements d'enseignement tenus par des laïcs ou des ecclésiastiques. Grâce à une documentation fournie (surtout à partir de 1850, avec les enquêtes de Félix Dupanloup), nous pouvons à présent étudier la pratique religieuse de la paroisse Saint-Marceau au milieu du XIXème siècle.

 

B. L'encadrement de la population : religion et charité

 

 

1. Le diocèse d'Orléans : une terre déchristianisée

 

 

En décembre 1849, Félix Dupanloup s'installait à la tête d'un diocèse en "faillite", au point d'avoir hésité un instant à accepter cette nomination.

 

A la différence des autres régions telles que l'Ouest de la France, celle du Bassin Parisien était devenue une "immense zone d'indifférence" dont les angles étaient les départements de l'Eure, des Ardennes, de la Côte-d'Or et de l'Indre-et-Loire(). Les diocèses entourant Paris, cet "astre froid" pour reprendre l'expression de Pierre Pierrard, avaient subi progressivement la vague de déchristianisation venue de la capitale. Selon Gabriel le Bras : "En 1789, il y avait déjà bon nombre d'incrédules et de "libertins" dans Paris. Et dans la banlieue de Paris, il y en avait aussi un certain nombre. Puis après la Révolution, le cercle de la non-pratique s'étendit un petit peu plus loin. On ne pratiquait déjà plus beaucoup dans le diocèse d'Orléans (...)"().

 

 

a) La poursuite d'une lente dégradation

 

La déchristianisation du diocèse remontait bien avant la Révolution française, et ce malgré l'avis de curés ayant la nostalgie d'un prétendu âge d'or sous l'Ancien Régime. La Révolution française accéléra plutôt ce phénomène de déchristianisation liée en partie à la corruption du clergé (l'exemple était venu d'en-haut, en la personne de l'évêque Jarente d'Orgeval)(). La Restauration n'arrangea certainement pas la situation, la collusion entre le pouvoir royal et le clergé majoritairement légitimiste éloignant de la religion une grande partie de la population. La petite bourgeoisie, soutenue par la Monarchie de Juillet, éloignait davantage la population des campagnes d'un discours religieux devenu incapable de s'occuper des problèmes de son temps. La Révolution de 1848 donna "le coup de grâce à ce qui, dans le diocèse, survivait des pratiques religieuses de l'Ancien Régime et consomma le divorce entre le clergé et le peuple partout où les notables ne pesaient pas en faveur du premier"().

 

Le court rapport de synthèse présenté en 1852 par le vicaire général Valgalier à monseigneur Dupanloup illustre cette lente dégradation :

" Depuis la Révolution de Février, la foi des populations tend à un visible et déplorable affaiblissement. La fréquentation des sacrements devient plus rare, surtout parmi les hommes, les Eglises sont désertes, principalement à l'époque des récoltes malgré le zèle persévérant des Pasteurs et leurs plus louables efforts (...)

Aux chef-lieux de Canton, surtout, ce qu'on appelle la bourgeoisie échappe complètement à l'action du Ministère Ecclésiastique. Cette classe orgueilleuse cache, sous quelques formes de respect extérieur, le plus profond mépris de la Religion et de ses ministres (...) "().

 

b) L'état de la pratique religieuse à Orléans en 1850

 

Confronté à une tâche immense, monseigneur Dupanloup devait d'abord connaître l'état spirituel et matériel des paroisses de son diocèse.

 

Au début de 1850, il lança une vaste enquête intitulée par lui Statistique diocésaine. Chaque curé reçut un questionnaire ne contenant pas moins de 138 questions. Cette extraordinaire source a permis à l'historienne et sociologue Christianne Marcilhacy de réaliser un important travail sur le diocèse d'Orléans au milieu du XIXème siècle en prenant pour objet d'étude la psychologie des différentes classes sociales aux alentours de 1850(). Son étude porte sur l'ensemble du diocèse, à l'exception malheureusement de la ville d'Orléans, et donc de la paroisse Saint-Marceau, en raison d'une trop grande pauvreté de la documentation ("le silence des textes a commandé le nôtre (...)"()). Selon elle "les curés d'Orléans bâclant leurs réponses à l'Enquête de 1850, répondent par monosyllabes ou par quelques phrases dépourvues d'intérêts (...)"(). Ce jugement nous parait sans doute un peu exagéré, car si toutes les réponses des curés d'Orléans ne sont peut-être pas à la hauteur de nos espérances, elles permettent pourtant de dégager l'état matériel et surtout spirituel des paroisses de la ville.

 

Ce dernier n'était guère brillant et la plupart des prêtres en étaient conscients.

 

Au nord de la Loire

 

Comme le résume le curé de Notre-Dame-de-Recouvrance à propos de sa paroisse "tout est comme avec la ville d'Orléans, les gens aisés sont réguliers, les pauvres ne pensent qu'à leur misère, les marchands qu'à leur commerce et peu à Dieu"(). A Saint-Laurent, paroisse voisine, les offices sont peu suivis par une partie des femmes, "peu d'hommes y assistent, l'indifférence et la débauche empêchant le plus grand nombre"(). L'impact des missions, dont celle entreprise en 1824() avait disparu depuis longtemps, emporté avec la Révolution de 1830. Les curés des paroisses populeuses (bas-quartiers) et semi-rurales (faubouriennes) rencontraient les mêmes difficultés, que l'on retrouvaient dans la plupart des réponses faites au questionnaire de 1850 : l'indifférence, l'ignorance et la pauvreté. Qu'en était-il à Saint-Marceau ?

 

A Saint-Marceau

 

Comme tous les curés de la ville et du diocèse, l'abbé Riballier répondit au questionnaire de monseigneur Dupanloup. En 1850, la population de Saint-Marceau se composait ainsi "des deux tiers de jardiniers et d'un tiers d'ouvriers. Parmi les premiers, un certain nombre assiste aux offices, mais les autres n'y viennent pas"().

 

c) Le curé de Saint-Marceau confronté à une apparente indifférence de ses ouailles dans une paroisse peu fortunée

 

Un état dressé quatre ans plus tôt à l'occasion de l'inondation de 1846 nous renseigne plus précisément sur le niveau de fortune des Saint-marcellins(). Juste après la crue, plusieurs commissions furent instituées par arrêté préfectoral dans le but d'estimer les pertes afin d'indemniser les sinistrés (distribution d'argent ou remise d'impôt). Afin de faciliter les travaux de recensement (visite de toutes les habitations), le quartier fut divisé en quatre sections() :

1ère section : zone nord-est (secteur du Coq)

2ème section : zone sud-est (secteur Mouillère-Montées)

3ème section : zone sud-ouest (secteur Cigogne)

4ème section : zone nord-ouest (secteur Tudelle)

 

Chaque foyer était rangé selon son niveau de richesse dans une des huit catégories déterminées par les Contributions directes (de très indigent à très riche). Dans un souci de simplification, nous les avons regroupé en trois grandes classes dans le tableau ci-contre, en précisant également la part des propriétaires et des locataires.

  1ère section 2ème section 3ème section 4ème section

TOTAL

%

Indigents

48

31

45

55

179

23,34

Malaisés

fortune médiocre

87

75

68

256

486

63,36

Riches ou aisés

34

37

20

11

102

13,3

TOTAL

169

143

133

322

767

100

Propriétaires

71

96

76

146

389

48,59

Locataires

111

60

57

182

410

51,31

TOTAL

182

156

133

328

799

100

 

 

 

Nota : La différence de résultat du nombre total des foyers (767 et 799) tient au fait que les commissions avaient parfois omises de mentionner dans certains cas la qualité de propriétaire ou de locataire.

Saint-Marceau au milieu du XIXème siècle est encore une paroisse composée en majorité de petits jardiniers peu aisés, propriétaires de leur terre mais qui, face aux difficultés économiques et aux aléas climatiques, n'ont que peu d'argent à consacrer à l'entretien de leur église. Les riches bourgeois sur lesquels pouvait compter le curé dans l'exercice de son apostolat étaient trop peu nombreux : à peine le quart de l'ensemble des foyers. Les première et quatrième sections, correspondant aux bas-quartiers proches de la Loire (rue Tudelle - rue du Coq) regroupaient 64% de la population totale du quartier, composée le plus souvent de locataires indigents entassés dans de misérables taudis.

 

Selon un recensement effectué en 1847() par le bureau de bienfaisance, 461 foyers, soit 1 419 personnes (le tiers environ de la population totale de la paroisse) étaient inscrites comme indigentes et recevaient des secours en nature (pain, vêtements, charbon, etc). Moyennant un salaire de misère (deux francs environ pour le mari, moitié moins pour la femme), toute cette population était employée aux fabriques de coton, d'épingles ou de couvertures du quartier Saint-Laurent ou dans des entreprises familiales installées sur Saint-Marceau :

 

- Une fabrique de limes, établie depuis octobre 1820 rue Tudelle et de renommée nationale puisque selon Lottin, concurrençant les Anglais dans ce domaine, "elle retint en France des sommes immenses que ces insulaires industrieux enlevaient continuellement du royaume. Ce succès fut encouragé par le gouvernement, qui décerna des médailles et des mentions honorables"().

 

- Une bonneterie spécialisée comme plusieurs autres établissements orléanais dans la fabrication des calottes (ou fez) destinées à l'exportation vers les pays orientaux. Située près du pont, au début de le rue Dauphine, elle avait été fondée par un homme originaire de Tours, puis reprise par l'un de ses fils, un autre de ses enfants installant rue Saint-Marceau une faïencerie (notons que la mère de ce dernier fut la marraine d'une cloche de l'église bénie en 1844).

 

- Un des établissements horticoles du quartier, comme celui de la rue Dauphine, qui employait quinze personnes indigentes comme ouvriers-jardiniers. Ces pauvres gens pouvaient aussi travailler pour des particuliers (jardinier chez un rentier par exemple) ou comme journaliers à des petits métiers suffisant juste pour survivre (en 1858, le prix d'un kilogramme de pain était de 50 centimes, et le salaire journalier d'une femme ne dépassait pas le franc).

 

Afin d'occuper toute cette population, les municipalités successives ouvrirent à chaque début d'hiver des ateliers de charité. Après la Révolution de Février 1848, des ateliers communaux fonctionnèrent à Orléans jusqu'en juillet afin d'employer les chômeurs. Selon un état récapitulatif conservé aux archives municipales(), 1 073 ouvriers dont plus d'un centaine domiciliés à Saint-Marceau y furent employés, principalement dans les travaux d'exhaussement des levées, d'aménagement du Jardin des Plantes au sud de la Loire et de la démolition des remparts de la ville. Les journaliers, terrassiers, limiers, menuisiers, maçons, charpentiers et couverturiers étaient les professions les plus rencontrées parmi les ouvriers de Saint-Marceau travaillant sur les chantiers. Il faut noter enfin que sur les 118 enfants (moins de 18 ans) employés aux ateliers communaux en 1848, on trouvait 23 Saint-marcellins (19,5% du total des enfants).

 

Cette population ouvrière ainsi qu'une partie des jardiniers de la paroisse ne semblait pas assister régulièrement aux offices. L'abbé Riballier y voyait trois raisons principales : "l'indifférence, l'ivrognerie et le travail du dimanche sont cause que les offices sont peu suivis eut égard à la population"(). Afin de remédier à ces problèmes, soutenu par l'évêque Dupanloup, il exerça sur la paroisse une action importante en direction des deux sexes, jeunes ou moins jeunes,assisté par des religieux et des laïcs. Dans le cadre du concordat, tout prêtre devait être en effet le gardien de la moralité publique.

 

2. L'action pastorale de Félix Dupanloup

par le biais du prêtre et des religieux de la paroisse

 

 

Afin de former de futurs bon chrétiens, il était nécessaire de les prendre dès l'enfance.

 

a) Priorité à l'enfance

 

Le catéchisme et la première communion (souvent la dernière)

 

Dès l'âge de 7 ans, les enfants vont se confesser (quatre fois par an pour les petits, plus souvent pour ceux qui se préparent à la première communion). D'une durée de deux ans, le catéchisme préparatoire à la première communion a lieu deux fois par semaine dans l'église et la sacristie, de la Toussaint à Pâques et tous les jours de Pâques à la première communion. En raison de l'éloignement des habitations, on ne le faisait pas en hiver le dimanche. Généralement assuré par les vicaires en ville selon Pierre Pierrard(), le catéchisme à Saint-Marceau était dispensé par le curé comme dans toute paroisse rurale.

 

Fixée à 11 ans pour les garçons et 10 ans pour les filles, la première communion n'était pas une simple cérémonie. Elle marquait en réalité "un rite de passage de l'enfance à l'âge adulte, par la coïncidence entre la fin de l'école et l'entrée dans le monde du travail"(). Souvent après la première communion restait la dernière, l'homme considérant la pratique religieuse comme incompatible avec son travail. Comme dans toute la France(), le curé Riballier fut confronté à ce problème :

"Depuis le Carême jusqu'à la Toussaint les enfants qui ont fait leur première communion sont engagés à assister au catéchisme de persévérance, ou aux instructions de la confrérie de la Sainte-Vierge [établie depuis 1823]; mais peu s'y rendent exactement par négligence indifférente"().

 

Pierre Pierrard a dégagé plusieurs causes pouvant expliquer ce phénomène: si à la campagne, l'exode rural et la distance du bourg peuvent être des obstacles à la poursuite de la pratique religieuse, en ville, "l'existence cahoteuse des ouvriers et de leur famille" (enfants au travail), le manque d'encouragement et de soutien des parents et peut-être aussi la médiocrité d'un enseignement religieux inadapté pouvaient amener cette désaffection de la classe populaire.

 

Il faut aussi remarquer que le système d'abonnement des places en vigueur à cette époque n'améliorait pas la piété des nouveaux venus dans la paroisse. Le curé de paroisse était confronté à un double problème : améliorer la position de la fabrique en augmentant le tarif des places de l'église, mais écarter de ce fait une grande partie de la population, incapable de payer sa place en raison d'un salaire trop modique (le salaire moyen d'un ouvrier sous le Second Empire était de 2 à 3 francs et le prix moyen d'une place de chaise de 10 à 15 centimes, ce qui était très élevé).

"Pour éviter la paiement de la taxe, certaines personnes apportent leur chaise du dehors; d'autres pour être mieux placées déplacent à leur guise leur chaise. Les abonnés (payent pour l'année entière) accaparent les meilleures places, marquent leurs chaises de leurs noms ou de leurs initiales; nul n'ose y toucher, lorsqu'ils sont absents, dans la crainte de leur arrivée à l'église. Si un nouvel habitant de la paroisse se présente dans la nef, il ne sait, en apercevant des noms inscrits sur une multitude de chaises, où il pourra entendre avec sécurité la grand-messe ou le sermon. Inquiet de son sort, il se déterminera à se réfugier dans les bas-côtés, ou dans un lieu retiré de l'église, ou il sortira"().

 

Une autre source de désaffection avait trait aux honoraires du clergé. L'insuffisance du traitement du clergé avait entraîné le rétablissement du casuel, ce supplément de traitement obligatoire et tarifié à l'occasion des messe d'obsèques ou de mariages. Dans toutes les églises comme à Saint-Marceau, un tarif gradué selon plusieurs classes (suivant l'importance de la pompe que la famille souhaitait accorder) était affiché dans la nef. Nous avons reproduit en annexe les tarifs en vigueur à Saint-Marceau au XIXème siècle après accord de l'autorité diocésaine et ministérielle. Le théoricien socialiste Pierre Joseph Proudhon (1809-1865) critiquant ce système injuste, parlait d'un "Dieu monnayable" : tout s'achetait même les sacrements. L'église dispensait ainsi ses prières et ses bienfaits selon la fortune de chacun. Le casuel fit un très grand tort aux prêtres, et malgré leur protestation, fut maintenu durant tout le régime concordataire, en raison de l'insuffisance chronique du budget réservé aux cultes voté par les gouvernements successifs.

 

Le catéchisme de persévérance

 

Conscient de la grande désaffection des fidèles après leur première communion, un catéchisme dit "de persévérance" était implanté sur la paroisse. Essentiellement fréquenté par les femmes, il avait pour but de les occuper le dimanche, afin de leur éviter le travail et la fréquentation "des bals et des cafés chantants"(). Entre chaque messe, une petite bibliothèque de "bons livres" installée chez les soeurs ainsi que des jouets prêtés par le curé permettaient à ces jeunes filles de recevoir "dans leur âmes des semences de vertu" selon les termes de l'époque. D'après un rapport dressé par l'archidiacre d'Orléans, il semble qu'en 1865, ce type de catéchisme ait rencontré un certain succès auprès des jeunes filles de la paroisse().

 

Plus de 12 ans après l'arrivée de Félix Dupanloup à la tête du diocèse, il semble pourtant bien qu'il y ait eu toujours autant d'indifférence de la part de certains adultes dans la paroisse du curé Riballier. En visite à Saint-Marceau pour les confirmations() des enfants, l'évêque d'Orléans note à ce sujet dans son cahier:

"Très bien comme chant et cérémonie et recueillement =

amélioration véritable =

Pas de parens, pas un père = Pas même de mère =

les gamins et curieux du quartier"().

 

b) Le soin des âmes au seuil de la mort

 

L'autre grand souci du prêtre avait trait aux derniers moments de la vie. Auprès d'un mourant, il devait recevoir sa confession générale, lui administrer l'extrême-onction ainsi que le saint-viatique (la dernière communion), mais dans les villes et dans beaucoup de régions rurales déchristianisées, l'extrême-onction était devenue "un sacrement de luxe". Pierre Pierrard donne le chiffre de 30 à 35% de défunts du diocèse d'Orléans mourant sans sacrement en 1853(). Par indifférence, le prêtre, averti trop tard, ne pouvait que bénir un cadavre. La paroisse de Saint-Marceau fut à cet égard semblable à la situation du diocèse. En 1850, le père Riballier, en réponse à l'enquête demandée par monseigneur, écrit qu'"ordinairement les malades reçoivent les Sacrements, mais souvent on est obligé de se présenter sans avoir été appelé par la famille"().

 

Durant ses 45 années de sacerdoce à Saint-Marceau, il n'a eu de tâche d'assister dans la religion ses paroissiens arrivés au seuil de la mort :

"Jamais il ne s'est rebuté de le durée des maladies, ni de la longueur du chemin à parcourir pour visiter ses paroissiens dans leurs souffrances. Jusque dans ces derniers temps où ses forces affaiblies répondaient plus difficilement à l'énergie de sa volonté, nous l'avons vu, plusieurs mois durant, faire régulièrement et quelquefois deux visites chaque jour pour préparer à la réception de derniers sacrements des âmes qu'il voulait sauver. Il parlait peu dans ces circonstances, mais ses paroles étaient bonnes et douces; jointes à l'influence de sa vertu, elles parvenaient presque toujours à vaincre les résistances d'un coeur éloigné de Dieu depuis bien des années peut-être"().

 

c) L'abbé Riballier : la charité faite homme

 

A une époque où religion et charité étaient étroitement mêlées, le prêtre, assisté de religieuses et de laïcs secourait les indigents de sa paroisse. Comme l'ensemble des curés d'Orléans, l'abbé Riballier prenait à sa charge les frais de chauffage, l'achat de livres et autres fournitures nécessaires aux écoles des Frères en leur donnant 400 francs par an (estimation du curé)().

 

D'après l'abbé Jarossay, son dernier vicaire, Jean-Michel Riballier était la personnification même de la charité, mais contrairement à d'autres personnes (des notables), il n'en tirait pas de glorification personnelle. Voici quelle fut l'action "édifiante" du curé de Saint-Marceau entre 1835 et 1880 relatée dans sa nécrologie() :

" Sa charité était inépuisable, et c'est là une des vertus qu'il nous plaît davantage à montrer dans ce prêtre si modeste. Car il savait si bien cacher les aumônes qu'il versait abondamment dans le sein des pauvres que beaucoup ont pu en ignorer.

S'il est bon et juste qu'un pasteur des âmes soit charitable, il est bon et juste aussi que sa charité soit manifestée, sans ostentation assurément, mais en toute vérité, pour l'édification commune.

M. Riballier donnait aux pauvres de Saint-Marceau tout ce qu'il recevait. Lui-même nous a affirmé que ce qui lui revenait dans l'année de sa paroisse, y retournait intégralement dans le cours de la même année; nous l'avons vu assez à l'oeuvre pour qu'il ne soit pas permis de douter de la véracité de sa parole.

Cet esprit de charité éclatait dans toute sa personne et même dans le milieu où sa vie se passa : dans son mobilier, dans ses vêtements, dans sa tenue, dans ses habitudes. Il se restreignait sur tout pour pouvoir donner davantage. A qui donc n'a-t-il pas rendu service, discrètement, mais de bon coeur, ayant toujours peur de paraître trop ? Car non seulement il avait l'humilité du présent qui cache le bien qu'il fait; mais il avait encore l'humilité du passé qui oublie de se souvenir du bien qu'il a fait. Maintenant qu'il n'est plus, les preuves de sa générosité se manifestent de toutes parts, et chaque jour nous apporte un nouveau récit d'un bienfait ignoré. Que de loyers il a payé ! Que de pièces d'argent il a laissées comme par oubli sur la table du pauvre malade, qui n'osait demander ! Que de convalescents il a réconforté par une large aumône ! Que de vieillards dont il a adouci les privations ! Que de veuves dont il a séché les larmes ! Que d'argent il a donné ! Tout y a passé, jusqu'à son modeste patrimoine que l'on croyait conservé intact, et dont, après sa mort, on n'a plus retrouvé que d'honorables débris !"().

 

En 1850, il existait environ 500 familles pauvres sur Saint-Marceau, secourues par le curé, les soeurs et les Dames de charité ainsi que par le bureau de bienfaisance, comme dans le reste des paroisses de la ville. Sous la direction du curé, les Soeurs de la Sagesse distribuaient des secours, "des remèdes de leur pharmacie" et visitaient les malades à domicile().

 

d) Les écoles

 

L'encadrement religieux en matière d'enseignement semblait assez fourni. On note pour 1850() :

- Une école payante et une gratuite tenues par les Soeurs de la Sagesse (revenues à Saint-Marceau en 1804).

- Une école de garçons tenue par les Frères des Ecoles chrétiennes (depuis 1808) (1869 : une école primaire et un externat).

A cette date, les écoles de garçons étaient, selon le curé Riballier, fréquentées par environ 180 enfants et celles des filles par 150.

 

Une "concurrence" : les écoles laïques

 

A côté des écoles tenues par les religieux, les parents pouvaient également envoyer leur progéniture dans des établissements tenues par des laïcs : une pension de filles ainsi qu'une salle d'asile. Cette dernière, ouverte en 1846 était destinée aux enfants de moins de sept ans. Il nous a semblé intéressant et instructif de reproduire en annexe le procès-verbal de son inauguration retranscrit dans le registre du conseil de fabrique, tant il reflète le discours paternaliste des notables du XIXème siècle, qui soulageaient les pauvres tant par souci de la religion que par volonté de maintenir l'ordre et la tranquillité à leur seul profit.

 

Nous possédons très peu de documents sur les relations entre ces établissements laïcs et ceux dirigés par les frères ou les soeurs, en raison quelquefois de l'absence de réponses données aux multiples questionnaires réclamés par monseigneur Dupanloup. Pourtant, grâce à une lettre d'un vicaire de Saint-Marceau adressée à l'évêché en 1864 ou en 1865, nous sommes en mesure d'estimer le petit conflit existant à cette date entre le laïc et le religieux(). En réponse à l'évêque d'Orléans, le vicaire expose la situation financière de l'externat dirigé par les frères ainsi que la "politique" de l'instituteur laïc du quartier :

"Il est absolument vrai que l'instituteur laïc de Saint-Marceau promet aux parents d'habiller leurs enfants des pieds à la tête, s'ils les mettent à son école - il tient à sa parole - il donne de plus un pain tous les 15 jours à quelques familles, plus nécessiteuses, toujours dans le même but".

Toujours selon le vicaire :

"(...) l'année dernière, tout secours a été refusé à la 1ère communion aux enfants des frères et des soeurs, sous le prétexte faux que les curés ne s'occupant point des enfants de l'instituteur laïc, la Mairie à son tour ne voulait point s'occuper des enfants des instituteurs congréganistes ".

Terminant sa lettre, l'abbé note cependant trois motifs de consolation :

"- nous avons de très bon Frères.

- l'élite des enfants de la paroisse.

- les meilleurs élèves de l'instituteur ont émigré chez nous".

 

En plusieurs occasions, Félix Dupanloup dans le seul but de reconquérir les indifférents adressa aux curés de son diocèse des questionnaires relatifs à la propagation et à la surveillance des écoles primaires dans leurs paroisses. Les archives épiscopales, très fragmentaires à ce sujet, nous ont cependant permis de connaître la situation des écoles de Saint-Marceau pour l'année 1869(). A cette date les rapports entre le curé et les instituteurs semblaient être bons, d'autant que ces derniers assuraient l'instruction religieuse. Afin de montrer son autorité face à l'instituteur et aux autorités laïques, tout curé du diocèse d'Orléans était tenu par son évêque de visiter les écoles : ainsi le curé Riballier les visite-t-il "de temps en temps". Les curés de sept paroisses d'Orléans prirent la peine de répondre à ce questionnaire, mais seul celui de Saint-Marceau suivit les instructions épiscopales en répondant distinctement par colonnes pour chaque établissement. Certains curés se contentaient de répondre par "impossible de répondre à toutes ces questions" (Saint-Paul) ou "je l'ignore".

 

Dans la tourmente de 1870

 

Avant d'étudier les oeuvres établies à Saint-Marceau, il nous faut seulement rappeler qu'à l'occasion de la guerre franco-prussienne de 1870, 25 ambulances destinées à soigner les militaires blessés furent organisées dans toute la ville. Une des trois premières ambulances ouvertes à Orléans était installée chez les soeurs de Saint-Marceau(), ces dernières faisant preuve de beaucoup de courage comme leurs prédécesseurs en 1814. Selon les registres de catholicité de la paroisse, 113 soldats venus des ambulances de la caserne Saint-Charles et de l'école des soeurs furent inhumés dans le cimetière de Saint-Marceau entre novembre 1870 et janvier 1871(). Dans la plupart des paroisses, les religieux étaient bien vus de la population car ils l'assistaient dans des domaines encore négligés par la municipalité.

 

3. Grandeur et déclin des "bonnes oeuvres"

 

 

L'exemple de la paroisse Saint-Marceau reflète généralement l'action entreprise par Félix Dupanloup et son clergé envers la jeunesse, par le biais du catéchisme jugé très important par l'épiscopat et de l'enseignement religieux destiné à former de futur bons chrétiens. Mais son action, ne se limitant pas aux jeunes, devait atteindre toute la population du diocèse, au travers de multiples formes de charité destinées plus particulièrement aux femmes et aux pauvres. Paroisse à la fois urbaine et rurale de par sa proximité avec la ville et la campagne, Saint-Marceau s'incrivit dans une vaste politique de reconquête des esprits. Orléans conservait un niveau relativement satisfaisant de pratique religieuse au milieu d'un véritable "désert spirituel"(), il fallait porter l'effort sur la ville pour l'étendre ensuite aux terres froides. Pour Jean Vassort, "la politique de la tâche d'huile est en effet une des caractéristiques de la méthode pastorale de Dupanloup : atteindre les mauvais pays à travers les bons, les campagnes à travers les villes, les hommes à travers les femmes, le peuple à travers les notables (...)"().

 

a) Un seul but : réconcilier la classe ouvrière avec la religion

 

Sous l'action de Dupanloup, des oeuvres de tout type allaient se multiplier durant tout le Second Empire. Dirigées par des ecclésiastiques avec l'appui des notables de la ville (déjà à partir de 1830, les légitimistes chassés du pouvoir s'étaient tournés vers les actions de bienfaisance), elles étaient destinées aux diverses victimes de la pauvreté. Gérard Cholvy, dans son ouvrage sur la religion en France, en dégage les grandes composantes : "l'enfance (oeuvre des layettes, crèches, orphelinats, salles d'asile, écoles, patronage des apprentis précédant celui des écoliers), la femme (oeuvre des servantes, ouvroirs, oeuvre du trousseau, refuges pour les prostituées), les malades, les indigents, les prisonniers, les aliénés..."(). Selon un rapport du vicaire général Gaduel, il existait sur Orléans en 1854 plus de 25 établissements de bienfaisance rangés sous diverses catégories:

Oeuvre de charité

- oeuvres charitables d'éducation : orphelinats, instituts spécialisés (sourds-muets) et colonies agricoles.

- oeuvres charitables d'assistance : visite des prisons, des malades, réhabilitation des mariages, bibliothèque de bons livres (une à Saint-Marceau).

Oeuvres de zèle : moralisation et sanctification des classes ouvrières.

 

Destiné à la persévérance et à la bonne conduite des classes populaires, ce dernier type d'oeuvre était celui dans lequel s'impliquaient le plus fortement les ecclésiastiques et les notables : l'église catholique soutenue par le pouvoir entre 1850 et 1880 (Second Empire et Ordre moral) souhaitant avant tout maintenir l'ordre social et éviter à tout prix les explosions populaires comme celle de 1830 et de 1848. Le conservatisme trouvait un écho favorable auprès des grands bourgeois successeurs des aristocrates légitimistes après 1830. Dans chaque paroisse, le clergé prenait appui sur un noyau de personnes pieuses formées par les soeurs pour développer les oeuvres. Qu'il nous suffise de citer le vicaire général autour d'un rapport sur les oeuvres adressé à son évêque en 1859. Il y exprime entre autres la raison principale de l'existence de toutes les oeuvres de charité et de bienfaisance établies dans le diocèse et surtout dans les villes : "entamer les masses ouvrières" afin de les détourner d'idées jugées subversives (dont le socialisme) :

" Quelle douleur, Monseigneur, de voir où en sont les classes ouvrières par rapport à la Religion ! Qu'est-ce que les oeuvres d'ouvriers même les plus nombreuses à côté de cette multitude qui ne connaît rien à la Religion, ne va jamais à l'église, et vit et meurt sans Dieu ! Ce n'est pas seulement une immense douleur pour l'Eglise, c'est un danger terrible pour la société. On l'a bien compris, et c'est ce qui explique les efforts plus multipliés que jamais que la charité catholique, cette grande sauvegarde de l'ordre social, a fait, depuis quelques années surtout, pour atteindre l'ouvrier, le disputer à la poursuite ardente et comme à l'étreinte des sociétés secrètes, et l'arracher à la révolution par la religion.

Dans ce but elle a créé une admirable combinaison d'oeuvres qui prennent l'homme du peuple, par le patronage, dès l'école primaire, le suivent pendant la période périlleuse de l'apprentissage, lui ouvrant encore leur asile quand il est devenu ouvrier libre et père de famille, et cherchent même à mettre la main sur le patron pour arriver à ce résultat si désirable, fonder des ateliers chrétiens (...)"().

Les ouvriers d'Orléans étaient ainsi invités à se rendre le soir aux cours de persévérance installés chez les frères. Le succès de ces oeuvres fut très relatif puisqu'en 1859, toujours selon le rapport du vicaire général, 300 adultes seulement y assistaient, Orléans comptant 10 000 ouvriers sans religion(). Comme son évêque, le clergé orléanais ne comprenait pas les problèmes des ouvriers : le paternalisme et la charité de la religion alliée de la classe dirigeante ne suffisait plus.

 

A Saint-Marceau, fut établie par un vicaire de la paroisse une oeuvre dite Société de Saint-Joseph (rattachée à celle fondée par l'abbé Tabouret)(). Son but était d'organiser des réunions pour les jeunes ouvriers de la paroisse. Comme beaucoup d'oeuvres établies à cette époque, elle disparut à la fin du Second Empire, du fait peut-être d'une crise de recrutement et du départ en 1867 de son créateur, devenu curé desservant. Plus intéressante fut l'expérience tentée par un ecclésiastique orléanais qui fut à lui seul le type même du saint-prêtre, l'homme d'oeuvres attaché aux idées charitables développées chez les classes dirigeantes de la ville à partir de la Restauration().

 

b) La grande figure de l'homme d'oeuvres sous le Second Empire : l'abbé Tabouret

 

Un prêtre aux conceptions paternalistes issu de la classe populaire

 

Né en 1805, prêtre à 25 ans et professeur au Séminaire de 1828 à 1839, Magloire Dominique Tabouret avait fondé en 1839, conjointement avec le seul noble qui voulut y participer, la conférence de Saint-Vincent-de-Paul destinée aux "membres de la classe élevée" afin de leur donner "le bienfait de la fraternité chrétienne et leur confie la sainte mission de se montrer les protecteurs, les amis, les pères du pauvre (...)"(). Cette oeuvre fut cependant mal acceptée par l'évêque d'Orléans monseigneur Fayet, prédécesseur de Dupanloup, et par les notables royalistes car elle comprenait parmi son personnel une part trop importante de roturiers.

 

De 1841 à 1844, trois autres oeuvres furent fondées par l'infatigable abbé, destinées aux militaires mais surtout aux jeunes ouvriers : la société de Saint-Joseph devait les diriger "afin que le dimanche, jour de sanctification, ne soit pas pour eux un jour de débauches"(). En 1844 fut ouvert dans une ancienne raffinerie de sucre de la paroisse Saint-Pierre-le-Puellier un orphelinat (appelé Nazareth), toujours par l'abbé Tabouret, afin de recueillir les enfants âgés de 9 à 10 ans ("pas plus tard pour éviter le malheur de recevoir des enfants corrompus"). Saint-Marceau, de par sa position intermédiaire entre ville et campagne et peut-être grâce à la qualité de son clergé() reçut sur son sol deux établissements fondés par l'abbé Tabouret.

 

Son action à Saint-Marceau

 

A une époque où la ville commençait à supplanter la campagne (exode rural), l'église avait beaucoup de difficulté pour s'adapter aux nouveaux problèmes liés à ce phénomène. Dans un désir peut-être de retour à la terre ou plutôt dans une volonté d'atteindre la campagne déchristianisée à partir de la ville, l'abbé Tabouret expérimenta sur Saint-Marceau une colonie agricole, ancêtre religieux en quelque sorte de l'actuelle école d'horticulture établie sur le quartier. Seul le rapport sur les oeuvres de 1854 nous renseigne sur cet établissement horticole destiné aux enfants pauvres qui n'avaient pas le goût de l'industrie et tenu par des laïcs soucieux de la religion :

" Etablissement horticole de Sainte-Marie à la Mouillère,

faubourg Saint-Marceau

Il y a dans cet établissement 20 enfants de 14 à 17 ans.

Comme la pension ne se paye que jusqu'à 15 ans, presque tous sont gratis.

Les enfants sont employés à des travaux d'horticulture.

Ils sont présidés et surveillés par deux laïcs, MM. Séjalon, oncle et neveu.

M. l'abbé Boulard, vicaire de Saint-Marceau est chargé de la confession de ces enfants, qui a lieu tous les mois.

Les exercices de piété journaliers consistent dans la prière du matin suivie d'une lecture; deux dizaine de chapelets et la prière du soir accompagnée aussi d'une lecture.

Les enfants assistent aux offices de la paroisse"().

 

L'abbé Tabouret avait cependant des vues plus larges : les oeuvres fondées devaient être dirigées par des religieux compétents : les Frères de la Sainte Famille. Avec l'autorisation de monseigneur Dupanloup, un noviciat destiné à former ces frères fut implanté également à la Mouillère, dans la propriété d'un particulier qui y avait fait construire une chapelle domestique. L'établissement de la Mouillère avait comme tâche ambitieuse de former des frères pour l'orphelinat Nazareth, pour les colonies agricoles (dont une près de Vierzon), pour les écoles de campagne et pour remplir, s'il y avait lieu, les fonctions de chantres et de sacristains dans les paroisses. Comme il était précisé dans le règlement, dont nous en reproduisons en annexe les premiers articles ainsi que le règlement du noviciat, les frères ayant fait voeu de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, accomplissaient pendant un an leur noviciat, partagé entre les exercices spirituels, les classes et le travail manuel. Leur contact avec le reste de la population était très limité, puisque seules les sorties jugées d'une extrême nécessité par le supérieur étaient autorisées.

 

Les obstacles

 

Les quelques renseignements fragmentaires issus des rapports des oeuvres du diocèse ainsi que d'un maigre dossier sur les Frères de la Sainte Famille témoignent des difficultés rencontrées par Tabouret. Ayant souhaité quitter son poste d'économat au Séminaire afin de mieux se consacrer à ses oeuvres et au noviciat de la Mouillère, il se trouva confronté à deux obstacles majeurs :

- Le manque d'argent : dans une lettre adressée à l'épiscopat en 1853, il écrit que "le public a de la sympathie pour l'oeuvre; cette sympathie se manifeste par des paroles bienveillantes, mais cela ne suffit pas (...)"().

- Le besoin de prêtres afin de remplacer les laïcs employés aux oeuvres : Tabouret se plaignit d'être obligé de payer des gens qui souvent ne faisaient "pas grand-chose"(). Le clergé du diocèse d'Orléans était trop peu nombreux et de médiocre valeur (Marcilhacy). Le travail de monseigneur Dupanloup fut à la fois de recruter et de former les prêtres. Mais la pénurie était telle que l'évêque ne cessa de réclamer des prêtres aux évêques des diocèses plus "chauds" comme ceux de l'ouest du pays ou même ceux d'Irlande. La crise des vocations dans le diocèse d'Orléans provoqua une migration intérieure assez importante : d'après Pierre Pierrard, Dupanloup ordonna 30% de séminaristes venus de l'extérieur().

 

Une expérience sans lendemain consacrée par l'échec d'une reconquête des esprits

 

Comme la grande majorité des oeuvres établies dans le diocèse, la colonie horticole et le noviciat de la Mouillère ne survécurent pas à leur fondateur. Le brouillon d'un "rapport sur l'état des bonnes oeuvres", daté de 1867(), en recense moins d'une dizaine, souvent frappées de dépérissement par manque de recrutement et de ressources. Les oeuvres fondées par Tabouret ont toutes disparues à cette époque. Nommé chanoine honoraire en 1850, il décéda à Orléans 9 ans plus tard comme premier aumônier des Hospices de la ville. Sa mort marquait la fin d'une époque().

 

Les dernières années de l'épiscopat de Félix Dupanloup furent en effet assombries par une rechute de la pratique religieuse revenue à son niveau de 1850. Pour Christianne Marcilhacy, la faiblesse doctrinale ainsi que la pauvreté de la pensée théologique du bouillant évêque avaient contribué à compromettre son action envers les couches populaires. Estimant la religion comme gardienne de l'ordre moral et social(), considérant l'aumône et la résignation comme seuls palliatifs à la misère, son hostilité envers les organisations ouvrières et les grèves lui avaient mis à dos la classe ouvrière ainsi que l'apparition démocratique grandissante. André Nouschi et Antoine Olivesi notent qu'en ce qui concerne le diocèse d'Orléans :

"la pratique pascale, en regain jusqu'en 1868, baisse dix ans plus tard. Elle est inférieure à 15% chez les hommes dans la plupart des cantons et oscille entre 10 et 50 chez les femmes dont la superstition l'emporte le plus souvent sur la foi profonde (...)"().

 

Contrairement aux multiples oeuvres dirigées par des laïcs et des religieux et disparues avec la chute du Second Empire, une "oeuvre charitable d'éducation" indispensable installée à Saint-Marceau perdura jusqu'à nos jours : l'institution des sourdes-muettes d'Orléans.

 

c) L'institution des sourdes-muettes : une présence indispensable et reconnue

 

Fondé en 1835 par les Soeurs de la Sagesse dans la paroisse Saint-Paul, "l'Oeuvre des Sourdes" comprenait au début sept enfants recueillies dans le but de les instruire et de les préparer à gagner leur vie. Soutenues par la ville et le département, les soeurs vinrent s'installer à Saint-Marceau en 1846, afin d'agrandir leur établissement. Treize ans plus tard, selon un rapport sur les oeuvres, une trentaine d'enfants y étaient hébergés(). Les bourses de certaines pensionnaires étaient payées par la ville et le département. L'augmentation des pensionnaires (jusqu'à 82 en 1896) nécessita l'agrandissement successif des locaux de la rue Saint-Marceau par l'acquisition de propriétés contiguës. Un enseignement religieux et pratique y était dispensé par les religieuses, le curé ou les vicaires de Saint-Marceau venant pour les communions ou pour dire la messe dans la petite chapelle installée dans l'établissement.

 

Dans l'annexe de la présente étude, nous avons reproduit l'extrait d'un rapport du vicaire général pour l'année 1854 ainsi que deux lettres de la supérieure de l'institution relatives à la guérison de l'une des pensionnaires() suite à l'un des premiers pèlerinages organisés collectivement à Lourdes en 1872(). Ces documents nous renseignent sur ce que pouvait être la vie d'une jeune sourde-muette à Saint-Marceau au XIXème siècle. Aux côtés du curé et des religieux, des laïcs tentèrent eux-aussi d'améliorer la situation matérielle et spirituelle de la paroisse Saint-Marceau.

 

4. Charité collective et piété individuelle des laïcs

 

 

Afin de soulager la misère des indigents, des personnes pieuses de la paroisse offraient à la fabrique et au bureau de bienfaisance de la ville le legs de rentes destinées quelquefois à l'achat de vêtements pour les jeunes filles pauvres de la paroisse ou de pain à distribuer à l'issue des grandes fêtes religieuses.

 

a) L'activité sociale des notables : l'exemple de la Société Alimentaire

 

La municipalité, désireuse de venir en aide aux ouvriers frappés par la cherté des vivres (en viande surtout), fonda en 1855 une "Société Alimentaire" destinée "à fournir à ses membres, au prix de revient, des aliments préparés à son siège (place du Martroi), et qui pourront être soit emportés à domicile, soit consommés dans des réfectoires disposés à cet effet"(). Ce type d'établissement fonctionnait déjà dans plusieurs autres villes françaises telles que Lyon, Strasbourg, Grenoble et Marseille.

 

Les membres de la Société Alimentaire, moyennant la somme de 10 centimes par mois pouvaient venir s'y restaurer, à condition d'éviter toute discussion politique et religieuse dans les réfectoires. Plus de 3 400 personnes souscrivirent à cette société, dont 124 habitant Saint-Marceau, pour des durées allant de 1 à 12 mois selon le niveau de fortune. Leurs professions étaient diverses: jardiniers en majorité, mais aussi menuisiers, charpentiers, cordonniers, limiers, boulangers, employés d'octroi, ouvriers ou journaliers.

 

Par soutien, les personnes respectables de la paroisse apportèrent leur obole en souscrivant pour un an : leurs noms ne nous sont pas inconnus puisque l'on y comptait trois membres de la fabrique comme Testu et Desse, mais aussi les négociants du quartier (vinaigrier, fabricant de limes, bonnetier-teinturier) ainsi que le médecin de Saint-Marceau, le directeur du Jardin des Plantes et le propriétaire du château de Guignegault, tous membres d'au moins une des trois commissions de secours aux inondés établies en 1846, 1856 et 1866. Les indigents de la paroisse étaient ainsi encadrés dans tous les domaines de leur vie par le même petit nombre de gens attachés à la bienfaisance. Le caractère paternaliste était d'autant plus accentué quand l'ouvrier (un tailleur de limes par exemple) était "assisté" par son patron, membre du bureau de bienfaisance et d'autres oeuvres de charité.

 

En 1857, confrontée à des difficultés financières, la Société Alimentaire dut fermer ses portes. Après cette date, elle fut reconstituée par des particuliers, mais ne dépendant plus de la municipalité, les archives nous font défaut à son sujet.

 

b) La pratique religieuse à Saint-Marceau : indifférence réelle ou relative? Le cas des jardiniers

 

Des jardiniers et des notables groupés au sein de sociétés d'encouragement telles que la Société d'horticulture (fondée en 1839 pour le développement des cultures maraîchères et pépinières) et la Société horticole (fondée en 1874) prodiguèrent régulièrement une aide financière au bureau de bienfaisance. Sur la paroisse, des personnes charitables enseignaient le catéchisme aux enfants ne sachant pas lire et se disposant à la première communion().

 

En 1869, cinq confréries étaient implantées sur la paroisse() : des oeuvres de piété :

- La confrérie du Saint Sacrement

- la confrérie de la Sainte Vierge

- la confrérie des enfants de Marie

Ces deux dernières témoignent de cette piété mariale stimulée à partir de 1854 par le pape Pie IX (1846-1878) qui définit le dogme de l'Immaculée Conception (la Vierge échappa au pêché originel). L'époque était à la construction de sanctuaires (tels que la basilique de Fourvière à Lyon) et aux apparitions de la Vierge (à Lourdes en 1858)().

- la confrérie de Saint Vincent pour les vignerons

- la confrérie de Saint Fiacre pour les jardiniers

Cette dernière avait le privilège d'avoir depuis 1850 sa chapelle particulière.

 

Une preuve de dévotion : la chapelle Saint Fiacre

 

Un négociant de la paroisse ayant construit dans l'église une chapelle consacrée à Sainte Cécile, il était prévu selon son testament qu'au jour anniversaire de sa mort, il y soit célébré annuellement une messe solennelle pour le repos de son âme et de son épouse, moyennant une rente annuelle et perpétuelle de 25 francs au profit de la fabrique pour que cette dernière entretienne la chapelle. Le légataire universel du défunt refusant les dispositions testamentaires fut sommé par la justice de s'exécuter.

 

Onze années s'étaient déjà écoulées depuis le décès du testateur. En 1850, le légataire universel en faillite ne pouvait plus servir à la fabrique la rente destinée à la chapelle Sainte Cécile. Les fabriciens adressèrent une requête à monseigneur Dupanloup (fut acceptée) en vue de transformer la chapelle,

"qui par le fait, entre dans le domaine de la fabrique, sous la dénomination maintenant et invocation de Saint Fiacre, patron de nos nombreux jardiniers, pépiniéristes et maraîchers de cette grande paroisse dont ils forment la généralité des habitants de Saint-Marceau".

Le principal argument invoqué était leur dévotion particulière rendue au saint patron de la corporation :

"Cette classe de cultivateurs active et laborieuse, tient essentiellement à ses devoirs religieux et chôme tous les ans, à la fin d'août, la fête de Saint Fiacre, depuis un temps immémorial (...)"().

Cette dernière affirmation semble être en contradiction avec ce qu'écrivait le curé Riballier qui la même année, répondit à l'Enquête sur sa paroisse en regrettant une trop grande indifférence de la population().

 

Des éléments d'explication

 

Faute d'archives quantitatives qui auraient pu nous indiquer le niveau de pratique parmi la population saint-marcelline et plus particulièrement chez les jardiniers, nous pouvons seulement émettre des hypothèses en se basant sur le travail de Gabriel le Bras. Ce sociologue renouvela totalement l'historiographie religieuse en France en essayant, par un travail d'enquête de classer les chrétiens en trois grandes catégories (ou cohortes)() :

- "conformistes saisonniers", dont la famille tient aux solennités du baptème, de la première communion, du mariage et de la sépulture (les "rites de passage").

- "observants" (ou pratiquants), soumis aux devoirs périodiques, à savoir la communion pascale ("pascalisants") et la messe dominicale ("messeux" ou "messalisants").

- dévots qui communient souvent, fréquentent les petits offices, appartiennent aux associations pieuses.

 

Pour nous, la majeure partie de la population de Saint-Marceau, à l'exception de quelques personnes réellement attachées à la religion au point d'assister à plusieurs offices quotidiens et hebdomadaires, doit être classée dans la catégorie des conformistes saisonniers. L'abbé Riballier y voyait de l'indifférence, Le Bras y voit plutôt une forme particulière de dévotion, sans doute très répandue dans le diocèse d'Orléans :

"Parmi les conformistes saisonniers, il y a des dynasties d'indifférents ou même d'opposants, que l'on a portés aux fonts baptismaux, qui se laissent conduire à la table de la première communion et au prie-Dieu nuptial, dont le cercueil sera juché sur les tréteaux funèbres, sans qu'ils aient jamais eu de véritable croyance ni le moindre souci de défendre l'Eglise ni, au fond, le respect consenti des usages de leur lignée. En revanche, des hommes, des femmes qui jamais ne répondent à l'appel des cloches nourrissent une croyance ferme ou la dévotion aux coutumes (...)"().

 

Les jardiniers de Saint-Marceau n'allaient peut-être pas non plus aux offices en raison du travail et des soins de tous les instants réclamés par leurs plantations, et cela même le dimanche (la culture de la terre est incompatible avec le repos dominical). Enfin dans leur manuel, André Nouschi et Antoine Olivesi posent le vrai problème toujours actuel et inhérent à toute tentative d'explication du comportement de l'homme devant la religion :

"Peut-on mettre en parallèle pratique et dévotion, étude quantitative et sentiment religieux individuel ?"().

 

Si certains Saint-marcellins étaient plutôt "conformistes", la paroisse sud d'Orléans connut sous le Second Empire grâce à un laïc l'un des plus importants et des plus solennels événements de son histoire sous le régime concordataire : le retour des reliques de son saint patron.

 

c) Henri Courtin, le bienfaiteur de Saint-Marceau

 

Avant d'étudier la translation des reliques de Saint-Marceau à Orléans, il nous a paru utile de présenter ce martyr et d'expliquer l'origine de l'implantation de son culte à Orléans.

 

Saint Marcel, diacre et martyr de Chalon-sur-Saône

 

Les renseignements relatifs à Saint Marcel proviennent de l'ouvrage écrit par Henri Courtin (donateur de ses reliques en 1859) à l'occasion du dix-septième centenaire de la mort du saint. Cet homme, nourrissant une très grande piété, avait voulu par ce livre "ajouter un nouvel hommage à l'accomplissement d'un voeu de famille et exprimer [sa] reconnaissance personnelle pour ce grand saint"().

 

Marcel, un des premiers martyrs de l'Eglise de France, était romain d'origine. Il vint en Gaule dans la deuxième moitié du IIème siècle. Vers 175, sous le règne de l'Empereur Marc-Aurèle éclata la première persécution contre des chrétiens de Gaule. Ayant pu s'échapper de la prison de Lyon, Marcel remonta le cours de la Saône et s'installa à Chalon afin de l'évangéliser. Arrêté par le gouverneur de la ville, il refusa d'adorer les dieux païens et fut supplicié : après avoir été suspendu aux branches de deux arbres pour être démembré, il fut enterré vivant et mourut le 4 septembre 177(). Saint Marcel était donc martyr de Chalon-sur-Saône. A partir de quelle époque fut-il vénéré à Orléans ?

 

Eglise Saint-Marceau

Statue du saint patron, diacre et martyr de Chalon-sur-Saône.

 

Son culte à Orléans

 

L'explication remonte au temps des Mérovingiens. La conception franque selon laquelle le royaume était un patrimoine privé pouvant se partager à chaque héritage aboutit à des divisions successives du Regnum Francorum entre les enfants, puis les petits-enfants de Clovis (482-511). Le partage de 561 entre ces derniers aboutit entre autres à la formation d'un royaume de Bourgogne ayant pour capitale Orléans. Mieux placée car située au centre du royaume, Chalon-surSaône, ville de Saint Marcel, fut choisie comme lieu de résidence du roi Gontran. La carte ci-dessous permet de se représenter l'étendue de ce royaume en 561.

Le royaume de Gontran en 561 (Bourgogne et Orléans)

(carte extraite de l'ouvrage dirigé par Jacques Debal, Histoire d'Orléans et de son terroir,

Tome I : des origines à la fin du XVIème siècle, Horvath, Roanne, 1983, 552 pages, page 193)

 

Jusqu'à sa mort en 592, Gontran n'eut de cesse de propager le culte du saint martyr de Châlon, considéré par lui comme le défenseur de son royaume. Selon la tradition, il semble que l'église de Saint-Marceau d'Orléans doive sa fondation à ce roi qui visitant Orléans en 585, dut y introduire le culte de Saint Marcel ("Marceau" est une forme locale de Marcel employée à Orléans et à Paris).

 

Natif de la paroisse Saint-Marceau d'Orléans(), Henri Courtin, éditeur parisien et bibliothécaire, écrit dans son ouvrage que l'église du sud de la Loire possédait les reliques de son saint patron jusqu'au XVIème siècle, époque à laquelle elles furent pillées et brûlées par les protestants(). Malgré cette disparition, le culte rendu à Saint-Marceau restait très vivace. En 1772, un vicaire de la paroisse composa un office pour la fête et l'octave() du saint patron, resté en usage durant tout le XIXème siècle(). Pour Henri Courtin, "jamais population n'a fêté avec plus d'amour et de zèle la gloire de son saint patron".

"La piété des habitants de Saint-Marceau est traditionnelle (...) Malgré l'affaiblissement de la foi, cet empressement s'est encore soutenu et renouvelé jusqu'à nos jours. Nous avons vu, dans notre jeune âge, l'église remplie de fidèles en habits de fête, dès les cinq heures du matin, accourus pour assister à la bénédiction et aux matines chantées à trois nocturnes, suivies de laudes et de primes"().

 

Afin de rehausser la dignité du culte, le retour des reliques du saint patron était jugé indispensable par Courtin, qui rejoignait en cela son arrière grand-père:

"(...) Heureux témoin de ces pieuses solemnités, nous conservions au fond de notre coeur la tradition d'un voeu fait par notre vénérable bisaïeul paternel, qui n'avait pu l'accomplir avant sa mort et que le malheur des temps avait successivement retardé"().

 

La translation des reliques de Châlon à Orléans

 

Le 28 janvier 1857, Henri Courtin arriva à Châlon et après avoir obtenu l'autorisation de l'évêque d'Autun, Châlon et Mâcon, rapporta par chemin de fer les précieuses reliques (un os de l'avant-bras et cinq vertèbres) à Orléans, où elles furent placées dans une chasse dessinée et exécutée par lui. Par acte du 18 juillet 1859 passé devant notaire, la chasse et les reliques étaient offertes à la fabrique de Saint-Marceau, moyennant l'entière acceptation des conditions imposées par le donateur(), et approuvées par l'évêque.

 

Suivant les indications de Courtin, la chasse venue de Châlon fut déposée dans l'église de Notre-Dame-de-Recouvrance. Le 11 septembre 1859, jour de l'octave de Saint-Marceau, eut lieu la translation solennelle. Le clergé de la paroisse présidé par les vicaires-généraux délégués par monseigneur Dupanloup, les membres de la fabrique ainsi qu'"un nombre considérable de pieux fidèles de cette paroisse"(), se rendirent en procession à Notre-Dame-de-Recouvrance pour recevoir les reliques, puis revinrent de la même manière par les quais, la rue Dauphine et la rue Saint-Marceau. La chasse, portée par quatre habitants de la paroisse vêtus de rouge selon les souhaits du donateur, fut déposée dans le choeur de l'église. L'archidiacre vicaire général Desbrosses monta en chaire pour féliciter les Saint-marcellins de la possession des reliques de leur saint patron et les exhorter "à recourir désormais à lui avec plus de religion et d'empressement dans tous leurs besoins temporels et spirituels"(). Dans cette même volonté de raffermissement de la piété populaire, Henri Courtin terminait son ouvrage par une supplication à Saint Marceau :

"Ranimez en moi et en tous ceux qui vous invoquent cette foi vive que vous avez établie au prix de votre sang sur ces belles rives de la Saône; ranimez-la dans cette portion chérie de vos enfants d'Orléans, et que tous nous puissions un jour vous voir dans la céleste patrie!"()

 

En 1893, par le don fait à la fabrique d'une créance de 6 000 francs sur une imprimerie, Courtin assura la célébration solennelle à perpétuité de l'office et de l'octave de Saint Marceau, et après sa mort (survenue un an plus tard en son château de Haute-Marne) celles des cultes de Saint Valérien (compagnon de Saint Marcel), des Morts, du Sacré Coeur et de l'octave de Pâques, toujours selon "ses pieux et saints désirs". Devant tant de libéralité un des successeurs de l'abbé Riballier et les fabriciens de Saint-Marceau le nommaient en 1893 "Bienfaiteur insigne de la nouvelle église de Saint-Marceau" pour avoir "fait revivre la foi et la piété des anciens jours dans sa chère église"().

 

Henri Courtin reste le représentant type du pieux laïc qui sous le Second Empire, secondait pécuniairement le clergé dans son rôle d'assistance spirituelle et matérielle. Si la déchristianisation des campagnes du diocèse d'Orléans semblait consommée dans les premières années de la IIIème République, la paroisse Saint-Marceau demeurait l'exemple même de la bonne paroisse, peut-être grâce à l'action de Courtin. Les observations transcrites par le successeur de Félix Dupanloup() sur le registre du conseil de fabrique, à l'occasion de la visite canonique de la paroisse faite dans les premiers mois de son épiscopat, sont à cet égard révélatrices :

" Le 19 janvier 1879, Nous avons eu la consolation de faire la visite canonique de la paroisse Saint-Marceau d'Orléans; Nous avons constaté avec joie la tenue régulière des registres de la Fabrique et Nous exprimons ici notre satisfaction à Messieurs les Marguilliers. L'assistance aux offices de ce jour a été vraiment convenable et la tenue religieuse très édifiante. J'appelle sur le vicaire Doyen et sur les bons prêtres, ses vicaires, toutes les bénédictions de Dieu et Je demande aux chers paroissiens de garder avec fidélité les traditions de foi qui ont conservé à cette paroisse une excellente réputation.

Pierre Ev. d'Orléans"()

 

L'encadrement de la population par des laïcs et des religieux avait pu se manifester au grand jour à l'occasion des trois grandes crues de la Loire du milieu du XIXème siècle qui frappèrent durement Orléans, en particulier la paroisse Saint-Marceau.

 

C. Dans la tourmente des grandes crues décennales

(1846, 1856, 1866)

 

 

Sans la Loire, la paroisse de Saint-Marceau ne serait pas ce qu'elle est devenue : un grand centre de cultures de la terre, un espace couvert de jardins. Les alluvions des inondations successives enrichissaient en effet ce territoire coincé entre le fleuve et son affluent, le Loiret, couvert par les eaux plus d'une centaine de fois depuis le VIIIème siècle().

 

La toponymie de certaines rues du quartier est, à cet égard, révélatrice:

- la rue de la Brèche près de l'ancien couvent des Ursulines de Saint-Charles (souvenir d'une ancienne rupture de digue en 1733, avant l'aménagement des quais conjointement à la construction du pont Royal),

- la rue de la Mouillère, aménagée en promenade à partir de 1805 dont la dénomination renvoit ,selon Jacques Soyer, à un endroit marécageux et fangeux(). Cette voie fut le théâtre de scènes de sauvetage très périlleuses lors des grandes crues de 1846, 1856 et 1866 du fait de la présence sur son tracé d'un sillon naturel par où s'engouffrait les eaux de façon torrentielle().

- la rue de Barbotte, au nom plus qu'évocateur.

 

1. Pourquoi ces crues furent-elles si catastrophiques ?

 

 

Face au régime capricieux de la Loire et pour empêcher les destructions, divers travaux d'endiguement avaient été entrepris depuis le Moyen-Age et poursuivis jusque sous le règne de Louis XV (protection de la rive gauche par de nouvelles levées afin de régulariser le cours de la Loire). Cette politique de protection du Val par des obstacles continus censés être insubmersibles répondait à deux soucis majeurs de la part des classes dirigeantes d'Orléans.

 

a) Protéger les propriétés bourgeoises

 

Roger Dion note qu'au XVIIème siècle, le roi Louis XIII, craignant déjà une rupture de levée catastrophique, avait essuyé le refus catégorique de la part des bourgeois de la ville, s'opposant au projet de constructions de déversoirs chargés d'écouler le trop-plein d'eau (fut abandonné). Possédant des vignobles et des maisons de campagne dans la "riche banlieue"() du sud de la Loire (résidences d'été au bord du Loiret par exemple), ne pensant qu'à leurs seuls intérêts, les notables orléanais se réfugiaient ainsi aveuglément derrière une ligne continue de levées, oubliant la sécurité des faubouriens au profit de leurs terres. Cette politique perdura jusqu'au milieu du XIXème siècle. A chaque nouvelle crue, on se contentait de surélever les digues au niveau nouvellement atteint par les eaux.

 

b) Assurer la navigation ligérienne

 

L'autre versant de la politique de construction et de consolidation des levées avait comme souci l'amélioration de la navigation fluviale : le resserrement du lit de la Loire par des digues canalisait le fleuve et faisait disparaître des bancs de sable par l'augmentation du niveau des eaux. La position d'Orléans comme port fluvial et place commerciale ne souffrait d'aucune autre alternative pour les riches commerçants de la ville().

 

La position intransigeante de la classe dirigeante préparait à la catastrophe. Après les crues de 1789 et de 1790, la seule politique dictée par un excès de confiance avait été de consolider et de construire des digues plus hautes que la crue de 1790, considérée à l'époque comme le niveau maximum. La crue des 8 et 9 décembre 1825, bien qu'inondant une fois de plus les bas-quartiers, avait maintenu la population dans une trompeuse confiance : les digues avaient tenu. Les trois grandes crues catastrophiques du milieu du XIXème siècle allaient ruiner cette fragile assurance.

 

2. Entre Loire et Loiret, un territoire dévasté par les eaux

 

 

Les crues décennales de 1846, 1856 et 1866 ont marqué les esprits du fait de leur violence et du désastre qui a suivi chacune d'elles, après la rupture des levées. Elles surviennent soit en hiver et au printemps pour les crues océaniques (fortes pluies apportées par les vents d'ouest, gonflant les eaux dans le bassin de la Loire moyenne), soit en automne lorsque les précipitations touchent le sud-est de la France et le Massif Central (crues méditerranéennes). Exceptionnellement les deux types peuvent se conjuguer et produire une catastrophe comme en 1846.

 

La rupture des levées

 

Le 20 octobre, à la suite d'orages sur le haut bassin de la Loire, le fleuve creva les levées à hauteur de Sandillon (en amont de Saint-Marceau) et de Saint-Pryvé, envahissant tout le Val et détruisant des arches du pont de chemin de fer nouvellement construit. Dix ans plus tard, une crue encore plus désastreuse (on dénombra 160 brèches sur l'ensemble du tracé du fleuve) ravagea une fois de plus l'une des régions les plus riches de France. La crue d'octobre 1866 à peine plus violente que la précédente acheva le cycle de ces "grandes crues extraordinaires"() aggravées par l'action des hommes.

 

En effet, les populations du Val étaient coutumières de ces grandes inondations : à Saint-Marceau, la jonction des eaux de la Loire et de son affluent le Loiret() en était le témoignage concret. Avec la crue de 1846, les populations et les classes dirigeantes prennent conscience du danger et de la mauvaise politique qui avait consisté à "endiguer" la Loire. Comme le note fort justement Roger Dion les côtes extraordinaires relevées au pont d'Orléans() "n'indiquent pas autre chose que l'effet des resserrements artificiels du lit mineur ou des obstacles opposés au courant par les quais ou les ponts"(). A chaque rupture des levées, l'eau s'engouffrait brusquement en torrent destructeur, ajoutant le risque de noyades et de plus grandes destructions.

 

Les lettres de personnes ayant tout perdu et réclamant des secours à la municipalité apportent des précisions sur ce que pouvait être l'arrivée des flots après la rupture de la levée.

 

Des hauteurs d'eau inimaginables aujourd'hui

 

Certains secteurs de Saint-Marceau étaient particulièrement atteints, comme la rue Basse-Mouillère (situé à deux ou trois mètres en contre-bas par rapport au reste du quartier()) où l'eau monta jusqu'à 80 centimètres dans les greniers des habitations(). Un jardinier de la rue de la Brèche écrit que "l'écroulement des murs du côté du levant ayant donné passage au torrent dévastateur, l'exposant n'eut que le temps de se sauver lui, sa femme et sa nièce en se plaçant dans un cuvier à lessive qui les éleva jusqu'au plafond en quelques secondes et ils auraient infailliblement péri si l'exposant ne fut parvenu à pratiquer une ouverture au plafond par laquelle ils parvinrent dans le grenier de leur maison (...)"().

 

En 1866, dans certains secteurs de Saint-Marceau, les eaux dépassèrent les quatre mètres(). A chaque nouvelle crue, il fallait d'abord se charger de secourir les populations prisonnières de l'eau, restées sur le toit de leurs habitations.

 

a) Les sauvetages, le courage des mariniers

 

Ils étaient assurés conjointement par les sapeurs-pompiers, les gendarmes (occupés à patrouiller à travers la campagne afin d'éviter les pillages des maisons restées sans gardien) et de courageux particuliers(), regroupés au sein de la société des Sauveteurs-médaillés du Loiret, société de secours mutuels fondée en 1853 (on retrouvait souvent les mêmes personnes occupées aux sauvetages lors des crues, comme les sapeurs-pompiers, ou des mariniers).

 

 

"Scène de sauvetage à Orléans" [détail]

par V. Adam

"A Paris chez l'Editeur rue Vieille du Temple 147/Imp. Lemercier"

Lithographie. Châteauneuf-sur-Loire, M.M.L. 1250 A

 

 

A la suite de l'inondation de l'automne 1846, un appel à la bienfaisance publique fut lancé dans tout le royaume par les autorités. "Dans le but de contribuer à l'appel général des secours", un éditeur parisien lança la souscription d'une estampe, le produit recueilli devant alimenter les fonds des communes sinistrées.

 

Un prospectus publicitaire, reproduit ci-contre, fut adressé au maire d'Orléans Lacave afin que ce dernier favorise la générosité de ses concitoyens. Nous avons reproduit un détail de la lithographie de Victor Adam représentant la "scène si touchante" du sauvetage de Saint-marcellins par les gendarmes, les sapeurs-pompiers et les mariniers (la scène est censée se dérouler dans les quartiers de la rive gauche).

 

Suivant les endroits, l'eau pouvait atteindre les greniers (plus de deux mètres d'eau) ou même engloutir les habitations. Réfugiées sur les toits de leurs demeures, les familles espéraient des secours rapides, car sous la violence des flots, les murs en torchis et les toits en chaume des humbles maisons habitées par les petits jardiniers (majoritaires à Saint-Marceau en 1846) risquaient à tout instant de s'écrouler.

 

Les sauvetages n'auraient également sans doute pas pu se faire sans l'aide précieuse des pêcheurs et des mariniers, qui, ne l'oublions pas, résidaient dans les bas-quartiers de la ville (en raison de la proximité du fleuve et de la modicité des loyers()). Ne possédant pas de barques, la municipalité fit appel à ces hommes, ces derniers se prêtant d'autant plus au secours que les inondés étaient souvent leurs voisins. Embarquant à bord de leurs embarcations les équipes de secours, par leur adresse et leur bonne connaissance de la navigation, les mariniers facilitèrent les opérations de sauvetage et furent à l'origine de nombreux actes de bravoures. Durant les opérations, il étaient nourris et ravitaillés par la municipalité. Afin de les récompenser, les personnes participant aux sauvetages avaient soin de conserver leurs noms dans les rapports adressés aux autorités(). Le maire pouvait ainsi les proposer au gouvernement dans l'espoir qu'ils reçoivent des médailles pour actes de bravoure et de dévouement.

 

En fait, les crues furent l'occasion pour les mariniers de regagner l'estime des populations, car bien qu'habitant une paroisse qui s'était développée grâce à la Loire, ils avaient soin de ne pas se fondre dans le milieu des vignerons et des jardiniers de Saint-Marceau. Leur activité de navigation et leur goût pour l'aventure les distinguaient des paysans sédentaires farouchement attachés à leur terre et à leur désir de s'enrichir en cultivant et en agrandissant leur petit jardin(). A l'époque des grandes crues, la navigation ligérienne, concurrencée par le chemin de fer, était alors sur le déclin et les mariniers ne recouvreraient plus leur splendeur passée.

 

Pourtant leur souvenir reste encore présent dans le quartier Saint-Marceau, au point que la vieille croix installée au carrefour de la rue Saint-Marceau, de la rue Dauphine, de le route d'Olivet et de la rue de la Mouillère, plusieurs fois renversée et reconstruite, est abusivement dénommée "croix des mariniers", érigée en souvenir d'une hypothétique mission rendue en leur honneur en 1846. La réalité est toute autre comme nous l'avons expliqué à la page 118.

 

Davantage que les mariniers, certaines personnes trouvaient, à l'occasion de la catastrophe, une chance de retrouver une place dans la société. Les archives municipales nous renseignent en effet sur la conduite d'un homme digne du personnage de Jean Valjean, le héros des Misérables de Victor Hugo.

 

Parmi les sauveteurs proposés en 1856 pour être décorés par l'Empereur, le maire Genteur donna des observations sur un certain Adrien Durand, domicilié au Portereau Tudelle.

" Durand est un forçat placé en résidence à Orléans. Il s'y conduit de la façon la plus irréprochable. C'est un homme de coeur qu'il faudrait libérer de sa triste position non seulement pour lui, mais encore pour les consorts, afin de leur prouver qu'ils peuvent se réconcilier avec la société. Dans la première nuit de l'inondation, Durand est venu me dire qu'il voulait se racheter et qu'il demandait la poste le plus périlleux. Il l'a eu pendant deux jours et deux nuits et il a rendu de grands services. Lorsque j'ai voulu le payer de son salaire, il a refusé, puis comme je l'avais forcé à accepter une petite somme pour les enfants, il l'a versée en cachette dans la caisse de souscription pour les inondés. Si la réhabilitation est impossible, il faudrait lui accorder une médaille qui, du moins, l'encouragerait dans la bonne voie"().

Cet homme ne fut pas médaillé mais il dut sans doute recevoir une lettre de félicitations adressées au nom de Napoléon III par le Ministre de l'Intérieur.

 

Dans l'annexe de la présente étude, nous avons reproduit le rapport complet du capitaine des sapeurs-pompiers d'Orléans adressé au maire (le capitaine Janse était également président de la société des Sauveteurs-médaillés du Loiret). En 1866, il participa à plusieurs reprises aux sauvetages du quartier Saint-Marceau et des communes environnantes. Son témoignage est précieux car il rend parfaitement compte du travail des hommes chargés de secourir et de ravitailler les sinistrés. Grâce à eux, il n'y eut aucun mort à déplorer.

 

b) Les mesures de salubrité

 

Les jours qui suivaient la crue étaient occupés à évacuer les eaux qui envahissaient Saint-Marceau. Habituellement elles s'écoulaient par des fossés publics dits jurés, ancêtres du caniveau, mais ces fossés étaient le plus souvent obstrués par les propriétaires des terrains dans lesquels ils passaient, le dépôt de vase apporté par la Loire ne facilitant pas cette opération de salubrité. En effet, dans les jardins inondés, l'eau stagnante pourrissait les plantes et les légumes, exhalant une odeur insalubre.

 

Pendant que des particuliers plus fortunés pour posséder une pompe retiraient l'eau de leurs propriétés par leur propres moyens, des militaires réquisitionnés par la préfecture sur demande de la mairie furent employés aux travaux d'écoulement des eaux et au curage des fossés ensablés (50 soldats en 1866). En échange de ce travail fatiguant, la municipalité leur octroya un supplément de solde, afin de pouvoir s'acheter du vin, comme le souhaitait le général de brigade Anselme, commandant la place d'Orléans :

"(...) Lorsque nous faisons travailler nos soldats sur les routes en Afrique, nous leur donnons toujours un supplément de solde qui va quelquefois jusqu'à 0,50 c. et 0,75 c. par jour; sans cela ils ne pourraient pas avec leur faible ration, et sans vin, résister à la fatigue (...) Nos hommes n'ont habituellement que de l'eau, il n'y a qu'en route et en campagne qu'ils ont une ration de vin, eh bien il est évident qu'on ne peut pas travailler toute la journée dans les fossés en ne buvant que de l'eau (...)"().

 

En juin 1856, l'évêché d'Orléans étant propriétaire d'une pièce d'eau derrière l'église Saint-Marceau, la ville, après accord de Monseigneur Dupanloup, mit en communication un fossé-juré avec cette pièce afin de débarrasser le quartier des eaux qui continuaient à l'inonder, le menaçant de maladie. Un aqueduc souterrain fut construit afin de permettre cet écoulement (nommé "l'aqueduc Dupanloup" dans un mandat de paiement de 1856).

 

Les personnes qui avaient construit des petits ponts() sur les fossés-jurés pour entrer dans leurs propriétés furent également tenues d'élargir l'arche de ces ponts afin de permettre l'écoulement des eaux et des immondices (juin 1856).

 

Le traitement donné à la terre et aux cultures inondées

 

Aux côtés des militaires, des ouvriers jardiniers furent employés dans les jardins afin de retourner la terre où l'eau s'était retirée. Selon un rapport de la commission de secours chargée de la première section (quartier nord-est) en date du 8 juin 1856, les terres des maraîchers sont couvertes de plantes et de légumes (surtout des choux) "qui dégagent par leur putréfaction des gaz aussi très dangereux. Une quantité innombrable de vers est venue à la surface du sol, le couvre en certains endroits, et jette une odeur insupportable. Tous les habitants de ce quartier supplient l'administration de les tirer de cet état (...)"(). Il était en effet nécessaire d'enlever la boue et de retourner les champs afin de pouvoir préparer un nouvel ensemencement et un nouveau repiquage des plants de légumes. Ceux qui se mettaient tout de suite au travail reçurent gratuitement des plants et des graines.

 

Les travaux d'assainissement répondaient à deux préoccupations : activer le retour de la végétation et éviter le plus possible les épidémies du fait de la fermentation putride des cultures inondées. Mais parallèlement à ces mesures urgentes, il en était une autre qui n'attendait pas non plus : le secours des populations inondées. Etudions ce qu'il en fut à Saint-Marceau, le principal secteur sinistré d'Orléans.

 

 

Le Jardin des Plantes à Orléans. Inondation de la Loire en 1856

aquarelle de Beaujoint. M.H.A.O. 2844

 

 

Créé en 1640, le jardin botanique d'Orléans était installé dans le quartier Saint-Laurent, près des remparts. Lors de la destruction et de l'aménagement de ces derniers, il fut tranféré en 1835 sur la rive gauche de la Loire, au nord-ouest de Saint-Marceau.

 

Comme l'ensemble du quartier, le jardin fut touché par les grandes crues de 1846, 1856 et 1866 : les parterres, les serres et les cultures de l'école botanique furent engloutis sous près de deux mètres d'eau (l'aquarelle représente la grande serre envahie par les eaux).

 

En 1856, les dégâts étaient estimés à plusieurs milliers de francs (A.M.O. Inondation de 1856 : évaluation des pertes). Sur ordre du maire, le jardinier en chef du Jardin des Plantes d'Orléans, qui travaillait précédemment à celui de Paris, se rendit auprès de ses anciens collègues afin de ramener des échantillons de plantes perdues lors de la crue ou de nouvelles espèces. Le Jardin des Plantes de Paris, le Museum, les jardiniers du Bois de Boulogne et de l'école de Médecine ainsi que plusieurs horticulteurs de la capitale fournirent ainsi gratuitement à Orléans pour plus de 4 000 francs de plantes diverses (estimation du sous-chef des cultures du Jardin des Plantes d'Orléans au maire).

 

Dans le cadre de la commission de secours aux inondés, le conservateur du Jardin des Plantes, fort de son expérience, fut également l'un des responsables chargés du choix et de l'achat au meilleur marché des plants et des graines à distribuer aux jardiniers sinistrés.

 

3. L'organisation des secours

 

 

a) Des dons et souscriptions venues de toute la France

 

Bien avant les indemnisations, il était en effet nécessaire de venir en aide aux personnes qui avaient tout perdu lors de la crue(). Déjà en 1825, une quête à domicile en faveur des inondés indigents avait été faite par des membres du conseil municipal et de la chambre de commerce.

 

En 1846, un particulier muni d'une bourse des pauvres reçut l'autorisation de faire sur la rue Dauphine une quête pour les inondés. La rue Dauphine construite au XVIIIème siècle avec les remblais d'une ancienne île de la Loire, se trouve en surélévation par rapport aux rues voisines. Lors des inondations, elle était ainsi relativement épargnée par les eaux, offrant une protection à la population qui venait s'y réfugier. Deux troncs établis à la grille du pont (aux Tourelles, près du bureau d'octroi) et tenus par des soeurs de Saint-Marceau recevaient les offrandes de la charité publique. Des secours en vêtements, literie et mobilier étant indispensables, des voitures accompagnées d'un agent municipal circulaient dans la ville pour recueillir les objets. Un comité des dames, ayant pour présidente l'épouse du préfet, se chargeait également de cette tâche. En 1866, ces quêtes ne furent pas nécessaires, les Orléanais ayant suffisamment apportés leurs offrandes.

 

Aussitôt après les désastres, plusieurs organismes participèrent aux secours par des dons en argent ou en nature, comme par exemple le tribunal de première instance, l'école communale protestante, les sapeurs-pompiers et les employés d'octroi d'Orléans. En 1856 et 1866, des maraîchers de Paris, de Troyes et la société impériale d'horticulture envoyèrent des plants et des graines pour les jardiniers sinistrés. En 1846, la ville de Domrémy, qui avait vu naître Jeanne d'Arc, envoya le montant d'une souscription réalisée auprès des habitants. Des concerts et des représentations théâtrales furent données dont la recette devait revenir en faveur des inondés. Plus de 85 000 francs furent ainsi reçus par souscription volontaire à la date du 30 décembre 1847.

 

Dix ans plus tard, dans une lettre adressée au maire d'Orléans par son collègue de Versailles, le principal pâtissier de la ville offrait de se charger de l'apprentissage, de la nourriture et du logis pendant deux ans d'un jeune garçon de 12 à 13 ans orphelin par suite de l'inondation. Un jeune habitant de Saint-Marceau, dont le père avait été tué accidentellement en 1851 et qui avait été élevé par un oncle "jardinier expert" honoré pour ses constructions de bacs et bassins pour les jardins fut ainsi choisi sur recommandation d'un notable du quartier (propriétaire du château de Guignegault) pour partir à Versailles.

 

Il nous faut également citer le cas de ce cafetier qui, en 1866, envoya sa contribution. Sa lettre témoigne d'un anticléricalisme bon enfant mais qui est révélateur de la lutte continuelle entre l'église et le cabaret, lieu de déperdition selon l'enseignement religieux() :

" Je vous envoie trois francs pour les victimes des inondations; deux mots dans le journal de votre localité suffirait peut-être pour faire ouvrir les yeux à mes confrères. Vous devez savoir comme moi, monsieur le Maire, qu'il y a en France plus de Cafés qu'il y a d'Eglises; si mes confrères voulait m'imiter nous arriverions à un beau résultat (...)"().

 

Sous le Second Empire, les deux crues, considérées comme désastres nationaux, furent à l'origine de souscriptions à travers toute la France. Napoléon III souscrivit ainsi pour 100 000 francs et envoya sur place son aide de camp afin de constater l'étendue des pertes et d'évaluer les secours à apporter. Il laissa 6 000 francs pour aider Orléans à payer ses dépenses faites pour ses inondés et ceux des communes limitrophes recueillis par elle pendant l'inondation.

 

Dans le but de rétablir l'ordre public et de secourir les sinistrés, un système de commissions fut mis en place par la ville sur décision préfectorale, lors des trois grandes crues.

 

b) Commissions et sous-commissions : le travail des notables

 

Ces différentes commissions (chargées des épaves, des secours en nature, du constat des pertes), elles-mêmes divisées en sous-commissions (distribution du pain, coke, vêtements, graines aux jardiniers) afin de permettre une meilleure organisation des secours, travaillèrent lors des crues selon un même schéma et avec un personnel identique : les notables. Afin de n'oublier aucun sinistré, chaque commission se partageait en sections pour hâter et abréger le travail.

 

Une division du travail nécessaire

 

Les quartiers du nord de la Loire sur la rive droite furent divisés en une section amont et aval. Le quartier Saint-Marceau, davantage touché par les eaux et très étendu, fut réparti en quatre sections(). A la tête de chaque section, un président était élu parmi la dizaine de personnes composant ce groupe. Les réunions se déroulaient habituellement à son domicile ou à l'Hôtel de Ville lorsque l'ensemble des sections composant la commission locale présidée par le maire se retrouvaient.

 

 

Division en six secteurs des commissions locales placées sous l'autorité du maire d'Orléans et chargées des inondés de la ville lors des crues de 1846, 1856 et 1866. (Fond de carte : plan de 1885)

 

Dans le but d'accélérer les opérations de recensement des épaves, de distribution des secours et d'estimation des pertes, les commissions se divisèrent en six sous-commissions suivant autant de sections couvrant la totalité des bas-quartiers inondés : deux sections pour la rive droite et quatre pour le rive gauche, les habitants du quartier Saint-Marceau formant la grande majorité des inondés d'Orléans.

Ville

Première section : Aval

Quartier en aval du pont Royal limité à l'est par la rue Royale et au sud par les quais.

Deuxième section : Amont

Quartier en amont du pont, limité à l'ouest par la rue Royale et au sud par les quais.

Faubourg Saint-Marceau

Première section

Quartier limité au nord par le quai, à l'est par la rue de la Brèche (limites de Saint-Jean-le-Blanc), au sud par la rue de la Mouillère et à l'ouest par le rue Dauphine.

Deuxième section

Quartier limité au nord par la rue de la Mouillère, à l'est par la commune de Saint-Jean-le-Blanc, au sud par le Loiret et à l'ouest par la route d'Olivet.

Troisième section

Quartier limité au nord par la rue de la Cigogne, à l'est par la route d'Olivet, au sud par les limites d'Olivet et à l'ouest par les limites de Saint-Pryvé.

Quatrième section

Quartier limité au nord par la Loire, à l'est par la rue Dauphine, au sud par la rue de la Cigogne et à l'ouest par les limites de Saint-Pryvé.

 

Un personnel de notables

 

Les membres étaient choisis parmi les personnes considérées comme influentes dans le quartier, le plus souvent par leur fortune. Désignées par le premier magistrat de la ville, elles se retrouvaient quelquefois dans les diverses commissions formées en 1846, 1856 et 1866. Les mêmes hommes étant choisis, certains se faisaient excuser car étant déjà trop occupés.

 

Parmi la dizaine de lettres de refus ainsi reçues par le maire Vignat en 1866, celle que nous reproduisons est à cet égard exemplaire :

" J'ai le regret de vous informer qu'il m'est impossible de faire partie de la commission chargée de la constatation des pertes éprouvées par les victimes de l'inondation. Tout mon temps est pris par les soins à donner aux épaves, aux distributions de secours, au Jardin des Plantes, au Tribunal de Commerce et à mes affaires particulières qui ont éprouvé du retard et souffert de l'inondation (...)"().

 

Membres de l'aristocratie, mais surtout petits et grands bourgeois composaient ces commissions. Les listes successives établies en vingt ans (1846-1866) nous renseignent sur ces notables. Parmi eux, le maire, des magistrats (un conseiller à la cour royale en 1846, un juge de paix), un officier en retraite, le médecin du quartier (membre également de la société des Sauveteurs-médaillés du Loiret), l'administrateur des hospices civils, plusieurs négociants et propriétaires (vinaigriers, teinturiers, faïenciers), pépiniéristes, le directeur du Jardin des Plantes (chargés en particulier de distribuer les plants et graines à leurs collègues) et le curé de Saint-Marceau, occupé habituellement à secourir les pauvres de sa paroisse. Des conseillers municipaux et adjoints au maire résidant ou non sur le quartier les épaulaient dans leur travail (le futur préfet Alfred Pereira par exemple). Nous avons remarqué également que certaines de ces personnes avaient été, étaient ou seraient fabriciens de Saint-Marceau. Cela n'est pas surprenant, n'étant pas choisies parce que membres de la fabrique, mais parce que notables de la paroisse. Elles étaient mieux à même de connaître l'état de pauvreté de la population, certains indigents travaillant dans leur établissement (ouvriers-jardiniers).

 

Les difficultés d'une distribution équitable

 

Le travail de certains de ces commissaires n'était pas exempt de reproches, comme le démontre les quelques exemples suivants extraits des archives municipales.

 

En 1856, un jardinier propriétaire de sa terre, membre de la commission d'estimation des pertes se plaignit au maire de la manière dont le président de la troisième section opérait envers les jardiniers. Ce riche propriétaire semblait en effet ne pas comprendre la situation :

" (...) Il les fait venire chez lui, leur demande leur position devant plus de vingt personnes, ce qui n'est pas très agréable de se devulgué de vant ses confrère.

Je pense qui vaudrai mieux qu'il se transporte sur les lieu comme nous avons fait. Car il na personne pour le mettre au courant des perte éprouvé, au jardinier il fait perdre un temps bien presieux en se momen il sen vons bien mecontant et beaucoup, appres avoir atendu leur tour pendant 4 heure ou obligé de revenire. Plusieur parle de faire une petision (...)"().

 

Beaucoup plus grave fut la lettre anonyme envoyée au curé en décembre 1846 et transmise à la commission chargée des secours, insultant la soeur de l'un de ses membres (également fabricien), dame des pauvres depuis plus de trente ans ("justement détestée de tout le faubourg Saint-Marceau" selon la lettre). Après enquête, on découvrit que le concierge de la caserne Saint-Charles, exaspéré de n'avoir pas reçu un seul secours, ayant eu sa maison noyée sous deux mètres d'eau, avait envoyé cette lettre vengeresse, presque de désespoir. Le commandant de la caserne s'excusa aussitôt auprès de la commission et congédia sur le champ l'auteur de la lettre, "dont la raison est habituellement troublée par le vin"().

 

Il semble pourtant y avoir eu dans la répartition des secours quelques cas d'injustice, les secours allant à des personnes plus aisées que d'autres. Plusieurs lettres de réclamation adressées à la mairie révélaient la présence de petits conflits, de jalousies entre voisins, telle personne citant telle autre plus aisée se plaignant de n'avoir pas reçu autant qu'elle().

 

D'autres pauvres gens étaient véritablement oubliés. Juste après le débordement de la Loire de 1856, le maire d'Orléans, de passage à Saint-Marceau, avait promis la délivrance de secours aux personnes les plus démunies. Un particulier de la rue Saint-Marceau lui écrivit alors, exposant la situation d'une dizaine de terrassiers hébergés chez lui, dans le plus grand besoin. Malgré leur réclamation, aucun secours ne leur avait été donné, la personne déléguée ayant omis de les inscrire sur la liste des secourables, sachant pourtant pertinemment qu'ils manquaient de pain, car réduits au chômage comme le conclut la lettre :

" (...) vous savez malheureusement comme moi que ce ne sera pas demain qu'ils pourront aller gagner ce pauvre morceau de pain qui doit les soutenir dans leur fatigue (...)"().

D'un autre côté, certaines personnes malveillantes, malgré leur fortune réclamaient des secours ou revendaient les bons que la commission leur avait distribués.

 

Avec l'expérience passée, les membres de la commission locale eurent cependant le souci d'un juste partage des secours. En 1867, un commissaire écrit:

" Je n'ai reçu aucune réclamation des personnes qui n'ont pas été comprises dans la deuxième distribution. La commission a désigné particulièrement comme ayant droit au bénéfice de cette deuxième distribution les jardiniers fleuristes et maraîchers qui ont été le plus frappés par le fléau, le fruit de leur travail leur a été enlevé et ils se trouvent privés jusqu'au printemps prochain de ressources que leur procure leur industrie en temps ordinaire. Le choix fait par la commission a dû paraître équitable aux inondés en général, puisque, je le répète, aucune réclamation ne m'a été adressée (...)"().

 

c ) Trois grandes tâches : recenser, aider, indemniser

 

La commission chargée des épaves

 

A chaque nouvelle crue, les eaux déposaient dans Saint-Marceau une grande quantité d'objets, venus quelquefois d'assez loin lorsque les levées avaient cédées plus en amont (à Sandillon par exemple) et qui se trouvaient retenus par les obstacles formés par les constructions et les plantations.

 

Deux commissions (une pour la rive droite, une autre pour la rive gauche) furent formées par le maire afin de "diriger la recherche, la conservation ou la remise à qui de droit des objets apportés par les eaux"(). Ses membres, choisis parmi les personnes notables des quartiers inondés, étaient assistés par le garde-champêtre dans leurs démarches, consistant à visiter l'ensemble des propriétés et à recenser les divers objets éparpillés sur le sol (principalement des fagots de bois - cotrets ou cotrillons, des échalas et divers outils de jardinage).

 

Afin d'éviter les vols, les épaves furent déposées en un seul endroit, au clos des Capucins, près de Saint-Jean-le-Blanc (dans l'ancien couvent). Les véritables propriétaires des objets sauvés, munis d'une justification, pouvaient reprendre leurs biens. Quant aux pièces non réclamées, elles devinrent propriétés de l'Etat et furent vendues au plus offrant.

 

La commission chargée des secours

 

De loin la plus indispensable après chaque crue, elle était chargée de venir immédiatement en aide aux plus sinistrés. Les secours de la mairie étaient destinés exclusivement aux personnes dénuées de ressources ne pouvant attendre une future répartition des indemnités réglées d'après les états des pertes dressés par l'administration. Répartis en sous-commissions, les membres visitaient les domiciles afin de connaître les besoins urgents des inondés.

 

Le mode de distribution était le suivant : le maire faisait distribuer des bons par l'intermédiaire de la commission des secours. En échange de ces bons, un membre de cette commission allait chercher les fournitures chez les commerçants de la ville (ces derniers se faisaient rembourser par la mairie, sous la forme d'un mandat de paiement moyennant un mémoire des objets fournis à la commission des secours).

 

La commission chargée des secours d'urgence (logement, nourriture, vêtements, plantations, etc)

 

A des familles qui avaient perdu le peu qu'elles possédaient, les besoins étaient immenses, à commencer par le relogement (certaines habitations avaient été détruites par les flots ou se trouvaient trop humides et insalubres pour y demeurer dans l'immédiat).

 

Des centaines de sinistrés originaires de Saint-Marceau et des communes environnantes furent ainsi hébergées chez des particuliers (aubergistes), dans les casernes de la ville, des établissements d'enseignement (école normale, lycée), hospitaliers (141 lits à l'Hôtel-dieu en 1866) et religieux (évêché, grand séminaire, soeurs de Saint-Aignan et oeuvres offrant gîte et couvert).

 

Après la cure de 1846, un asile ouvert par l'évêque d'Orléans et entièrement à sa charge fut implanté à Saint-Marceau, afin de venir en aide aux petits enfants. Pendant au moins une année, ils seraient nourris, habillés, chauffés et élevés gratuitement "afin de donner à leur pauvres parens le tems de se reconnaître et de pourvoir par le travail, à leurs propres besoins"(). Le curé de la paroisse envoyait la liste des enfants pauvres au secrétariat de l'évêché pour le solliciter à les faire entrer à l'asile car c'est sur la seule présentation du prêtre qu'ils étaient admis. Ils devaient en outre posséder un extrait de naissance et de baptème ainsi qu'un certificat de vaccination (afin d'éviter les contagions, les enfants malades n'étaient pas acceptés)().

 

L'asile Sainte-Marie, tenu par les soeurs de la Sagesse, hébergea ainsi jusqu'à 105 enfants (décembre 1846), venus de tout le Val (22 communes dont Châtillon : 2 enfants; Châteauneuf : 1; Sully : 3; Gien : 8) mais le secteur sud d'Orléans ainsi que des communes proches y étaient majoritairement représentées: Saint-Denis-en-Val : 9; Saint-Jean-le-Blanc : 14; Saint-Marceau: 14; Saint-Pryvé: 11.

 

Pour les personnes sinistrées restées chez elles, les besoins étaient pressants. Il ne fallait d'abord pas mourir de faim. Durant plusieurs semaines, des milliers de kilos de pain (élément de base de l'alimentation) furent distribués par les membres de la commission, dont le curé (en 1846, 1 000 personnes reçurent deux kilos de pain par semaine durant 12 semaines soit 24 000 kilogrammes().

 

Des secours de toute nature furent distribués journellement :

- de la paille, afin de renouveler les paillasses pourries par le séjour des eaux et sur lesquelles couchaient les pauvres gens de la paroisse.

- des effets d'habillement (vestes, sabots, jupes, layettes, etc).

- des fagots de bois (ou "cotrillons") et du charbon (coke) afin de chauffer les habitations (mesure de salubrité en même temps que de première nécessité, à l'approche de l'hiver).

- le paiement du surcroît de travail des médecins exerçant à Saint-Marceau, visitant les malades du quartier ainsi que la fourniture de médicaments (tisanes et sirops). Nous avons reproduit en annexe la liste de ces produits distribués au curé en 1866. Déjà affaiblies par le manque de nourriture, les indigents étaient touchés par la maladie, surtout après une crue.

- fourniture aux frères des Ecoles chrétiennes et aux soeurs de la Sagesse de bois pour le chauffage des classes de Saint-Marceau et achat d'ouvrages perdus dans l'inondation (les parents étaient incapables, par suite de l'inondation, d'en faire la dépense).

- distribution de graines et de plants. L'ensemble des récoltes ayant été inondées et perdues, il était essentiel aux jardiniers de Saint-Marceau de pouvoir ressemer au plus vite. Il en dépendait de l'approvisionnement d'Orléans, comme le prouve une pétition adressée au maire Eugène Vignat par 48 maraîchers du quartier en 1866 :

" Les maraîchers de Saint-Marceau (...) ont l'honneur de vous informer qu'il on fait des pertes réelle en plants de légumes et graines potagères. Ils pensse, monsieur le maire, que comme en 1846 et 1856, l'administration municipal voudra bien venir à leurs secours sans distinction de fortunes comme cela ses fait présédemmment, à leur faire distribuer des plants et des graines, et cela dans l'intérêt de l'approvisionnement de la ville et des marchés qui se trouverons sans cette mesure dépourvus de légumes pendant l'hiver et le printemps prochain (...)"().

 

Des jardiniers délégués par la municipalité et réunis en comité se chargèrent de ces distributions afin de réensemencer les terres inondées une fois qu'elles avaient été retournées. Pour le rempotage, de la terre de bruyère fut délivrée gratuitement aux maraîchers et pépiniéristes après décision de l'inspecteur des forêts d'Orléans. Les jardiniers délégués retiraient des sommes d'argent à la mairie (part du produit de la souscription ou du secours octroyé par l'Etat) afin de pouvoir acheter les cultures au meilleur marché, conseillés en cela par le directeur du Jardin des Plantes (également sinistré car situé à Saint-Marceau)(). Venus de Paris, de sa région et des Pays de la Loire par le train (en 1846 : la maison Vilmorin-Andrieux située quai de la Mégisserie à Paris expédia pour 1 000 francs de graines), les sachets de graines et les plants étaient distribués entre les 700 maraîchers du quartier (chiffre donné pour 1866).

 

Enfin n'oublions pas les gestes de solidarité de plusieurs personnes, comme le président de la société impériale d'horticulture de Paris qui lança en 1866 un appel à l'ensemble des jardiniers en faveur de leurs confrères inondés de Saint-Marceau. En réponse, la société horticole, vigneronne et forestière de Troyes expédia par chemin de fer grande vitesse des colis de plants et de graines. Ces envois étaient précieux car les maraîchers, selon le maire d'Orléans "se trouvaient n'avoir aucun moyen d'existence même la faculté d'exercer leur industrie pendant la saison rigoureuse de l'hiver (...)"().

 

En définitive, Saint-Marceau fut le plus touché des quartiers d'Orléans et reçut lors des trois crues du milieu du XIXème siècle l'essentiel des secours distribués, les quartiers au nord de la Loire (cinquième et sixième sections : amont et aval) recevant une faible part du fait d'une moindre proportion d'indigents et d'une superficie plus limitée. A titre d'exemple, les archives municipales nous donnent les chiffres de la répartition à titre de secours en 1846 d'une somme de 32 897 francs entre les six sections inondées de la ville. La proportion allouée au quartier Saint-Marceau y est écrasante :

 

Montant des secours en francs

 

1ère section 7 385

2ème section 6 700

3ème section 5 021

4ème section 11 697

Saint-Marceau 30 803 soit 93,64% du total

 

5ème amont 1 444

6ème aval 650

2 094 soit 6,36% du total

32 897

 

Dans le projet de son budget, la commission de Saint-Marceau de secours aux inondés reconnut qu'à la date du 3 décembre 1846, 476 familles, composées de 989 personnes au dessus de 15 ans et de 559 enfants, soit au total 1 488 individus avaient pris part aux secours distribués. De plus, afin de passer l'hiver, des secours de toute nature devaient être continués pendant trois mois à 330 familles (soit 1 000 individus environ)().

 

Plusieurs années après les crues, les secours se poursuivaient encore : des sommes étaient fournies en 1870 afin d'aider des familles sinistrées en 1866. Les enfants fréquentant les écoles religieuses et la salle d'asile de Saint-Marceau (ouverte en 1846) furent secourus par la ville pendant une bonne partie de l'hiver 1866-1867 en vêtements et en chaussures().

 

En effet, des familles malaisées s'étaient retrouvées dans une position très précaire après les crues (l'hiver de 1846-1847 fut très rigoureux, entraînant une cherté des subsistances). Chez certains jardiniers, l'eau avait séjourné pendant plus de deux mois sur des pépinières, déposant une "espèce de lave" sur le sol (termes employés par un jardinier dans une lettre adressée au maire le 19 juillet 1847 afin de recevoir une indemnité). Chez d'autres, la fonte des neiges et le gel finirent par détruire les cultures. La lettre qui suit dont l'auteur est un des membres de la commission des secours chargé de la quatrième section (secteur de la rue Tudelle, une des rues les plus pauvres de Saint-Marceau) n'est que l'illustration d'une misère noire digne des romans d'Emile Zola. On notera l'état et la nature des secours donnés par les voisins de la famille consistant en paille pourrie et en un vieux lit. N'avaient-ils que cela à lui offrir, étant réduits eux aussi à l'indigence ?

 

" Monsieur le Secrétaire [de la mairie]

Ainsi que vous ma l'avez dit samedi, je me hate de finir le travail de recensement. Hier, j'ai marché toute la journée, aujourd'hui et demain je vais finir le plus loin (...)

L'inondation a fait faire de grands chagrins; il importe de visiter presque toutes les maisons (...)

[le commissaire a visité hier une famille, il en présente la situation actuelle]

Cette famille se compose de la mère, veuve qui ne parait pas jouir complètement d'une certaine intelligence, d'une fille de 22 ans qui elle-même a eu le malheur d'avoir une petite fille, c'est elle qui le dit, et ajoute-t-elle, d'avoir été trompée par un homme marié, d'un fils de 14 ans qui parait bien raisonnable et qui est peiné de voir une misère aussi grande (...)

[le garçon travaille comme domestique chez un conseiller municipal également membre de la commission des secours pour la troisième section, moyennant 75 centimes de gage, la fille est employée dans une bonneterie du quartier Saint-Laurent]

Le travail de la mère consiste à garder les deux enfants et à aller deux fois par jour à la porte de la caserne [Saint-Charles] chercher sa triste pâture, car chose inouïe, cette femme qui manque de tout a recueilli sur la voie publique un enfant abandonné; elle ignore qui il est, et d'où il sort; il est vrai que le pauvre petit malheureux aurait eu plus de chance d'être allé à l'hôpital.

Cette famille représente la misère à son comble et le dénûment le plus complet, leur mobilier consiste en trois bottes de paille pourrie que leur a fait présent une voisine qui a reçu une paillasse et de la paille fraîche; ils ont reçu d'une autre voisine un vieux bois de lit disloqué par l'inondation.

Hier quand j'y suis allé, le malheureux garçon attendait nu, que son unique lambeau de chemise séchât auprès d'un feu de paille pour l'endosser. J'ai été lui en chercher une à mon garçon ainsi qu'une vieille blouse et une casquette (...)

Pendant l'inondation ils ont logé à l'évêché et n'ont reçu, hors de là, aucun secours en quoi que ce soit. Il est vrai que leur taudis est au premier. Il serait bien de leur donner quelque secours, mais pas de l'argent. S'il est possible en attendant d'avoir quelques bons de pain, je les remettrai moi-même à l'un des boulangers de Tudelle qui m'ont dit en avoir encore quelques uns à présenter"().

 

En novembre 1867, 159 familles inondées un an plus tôt étaient considérées comme nécessiteuses : rive droite : 26 familles; rive gauche : 133 familles dont 64 rue Tudelle().

 

La commission chargée des indemnités

 

Parallèlement aux secours en nature à apporter aux plus démunis, il était nécessaire de connaître la situation de l'ensemble des victimes de l'inondation et d'assurer entre elles une répartition équitable des secours délivrés par le gouvernement et les particuliers.

 

Par arrêté préfectoral, une commission locale fut formée dans l'ensemble des communes sinistrées. En 1846 et 1856 elle était composée :

- du maire d'Orléans, président,

- du doyen des curés de la ville et du curé de Saint-Marceau (représentant la paroisse la plus touchée),

- des membres du bureau de bienfaisance ou des commissions temporaires de charité,

- de deux personnes désignées par le conseil municipal,

- du président de la société des secours mutuels,

- du percepteur receveur municipal, secrétaire.

52 personnes composaient ainsi cette commission en 1856. Chargés de constater les pertes, ses membres se répartirent la tâche en se divisant en sous-commissions afin d'aller visiter les habitations et recueillir sur des bulletins individuels fournis par la municipalité les diverses réclamations des personnes inondées. Ces dernières devaient être classées suivant une hiérarchie établie par la direction générale des contributions directes.

 

La désignation de la position des perdants se faisait selon quatre catégories (huit en 1846, simplifié par la suite en ce qui concerne 1856 et 1866) :

1 - individus que l'inondation jette dans une extrême détresse.

2 - individus souffrant beaucoup de l'inondation, mais conservant toutefois quelques ressources qui pourraient, avec un peu d'aide, leur permettre de se relever.

3 - individus auxquels l'inondation a fait éprouver des pertes sensibles, mais qu'ils peuvent supporter.

4 - individus pour lesquels les pertes sont insensibles, soit en raison du peu d'importance, soit en raison de la fortune des perdants.

Seules les personnes rangées dans les deux premières catégories étaient secourues pécuniairement. Les décisions de la commission dans la détermination de ce chiffre étaient essentielles car un perdant placé par erreur en troisième catégorie ne pouvait espérer être indemnisé.

 

Les tableaux dûment remplis étaient ensuite envoyés à une commission arrondissementale (sous la présidence du préfet), cette dernière vérifiant et corrigeant au besoin les résultats avant de les transmettre au ministère de l'Agriculture et du Commerce. Sur les fonds mis à la disposition du gouvernement, les perdants recevaient alors des indemnités en une ou plusieurs distributions faites par les membres de la commission locale, par émargement du bordereau contenant leurs qualités et l'état de leurs pertes.

 

Nous possédons l'état des pertes() suite à l'inondation de la Loire d'octobre 1846 dressé par la commission communale (ou locale). Les autres états qui durent également être remplis pour 1856 et 1866 n'ont malheureusement pas été conservés, empêchant toute comparaison; il semble cependant que plusieurs jardiniers ayant amélioré leur position en vingt ans, les perdants ont été moins nombreux a être indemnisés.

 

 Nature des pertes

Montant des pertes
 

Saint-Marceau

(4 sections)

Nord de la Loire

(2 sections)

bâtiments détruits et endommagés

97 007,05

2768,75

corrosion, ensablement de terrains

5078

-

récoltes, semences, arbres, légumes, fleurs, etc

154 446,43

-

bestiaux

8960

100

mobilier, linge, hardes, marchandises, etc

175 120,35

31 395,50

Total

440 611,83

34 264,25

 

 

Comme pour la distribution de secours en nature, le quartier Saint-Marceau concentre la majeure partie des pertes éprouvées par Orléans lors des crues.

 

Les trois grandes crues décennales devaient rester dans les mémoires comme les manifestations de la colère d'un fleuve dangereusement canalisé par des levées. Six ans après la fin du cycle infernal, un nouvelle crue, sans causer de dégâts cette fois-ci, toucha Saint-Marceau une fois de plus, mais aussi une fois de trop.

 

4. Après 1866, un choc psychologique salutaire

 

 

a) La prise de conscience des Saint-marcellins en 1872 : leur quartier doit être définitivement protégé

 

Suite à de fortes pluies sur le haut bassin, les eaux de la Loire atteignirent le maximum de 5 mètres 23 le 23 octobre 1872 (hauteur au dessus de l'étiage). Crue moins forte que les précédentes mais suffisante pour que le quartier Saint-Marceau soit de nouveau envahi par les eaux, et plus particulièrement dans le secteur de la rue Tudelle (nord-ouest).

 

Les eaux avaient en effet envahi l'aqueduc de la rue qui débouche sous la levée et s'échappaient avec furie dans la rue Tudelle, les fossés-jurés destinés à les contenir étant bien insuffisants. Déjà les habitants de la rue s'apprêtaient à déménager leur rez-de-chaussée. Transporté sur les lieux, le directeur des travaux municipaux, souhaitant chercher des moellons afin de colmater la bouche d'égout s'adressa aux riverains qui l'entouraient. Aucun ne voulut le suivre et prirent la fuite, pendant qu'un commerçant et des ouvriers refusaient de l'aider.

 

Assistant le directeur, un inspecteur fut copieusement insulté par un jeune ouvrier tailleur de limes demeurant rue Tudelle :

" (...) Il dit publiquement en me regardant que les voyer() et les architectes de la ville étaient un tas de propre à rien et ne faisaient que des bétises et cela rue Tudelle en partant de l'égout de cette rue à la Loire (...)".

Le travail avait été mal fait,

"que les ingénieurs étaient des cochons et des propres à rien, qu'il vaudrait mieux donner la croix() à des cochons que de la leur donner à eux et qu'enfin le pain qu'ils mangeaient était du pain perdu"().

Pour le garçon, tout ce qu'il disait était la vérité(). Un commerçant de la même rue tint également les mêmes propos aux inspecteurs, disant

"que l'administration faisait de la saleté et dépensait énormément d'argent pour rien (...) et qu'il avait intérêt à ce qu'on dépense le moins possible et que l'eau ne vienne pas dans ses magasins"().

 

Les propos excessifs de ces deux personnes devaient refléter la pensée de bon nombre de Saint-marcellins, furieux de constater une fois de plus que leur quartier était à la merci de la moindre variation de la Loire, six ans après la crue dévastatrice de 1866. Il était devenu inadmissible d'assister impuissant à de nouvelles inondations, les services municipaux ne pouvant que réparer provisoirement sans guérir le mal en attendant la crue suivante. comme aucune amélioration ne semblait avoir été faite depuis 1866, plusieurs habitants adressèrent le 1er novembre 1872 une pétition au maire en exprimant leur crainte de voir leurs maisons et leurs pépinières encore envahies par les eaux :

" Les soussignés, habitants et propriétaires du faubourg Saint-Marceau, ont l'honneur de réclamer votre bon concours afin que les demandes qu'ils ont adressées à diverses reprises à l'Administration dans le but de faire protéger le faubourg Saint-Marceau contre les crues et les inondations de la Loire aient enfin une solution.

Deux pétitions ont déjà été remises à M. le Préfet pour cet objet : l'une en 1866, à la suite de l'inondation de septembre, et l'autre, en 1867, afin de rappeler la première.

On a fait espérer aux soussignés que la murette qui longe la levée de la Loire, au nord du faubourg du côté du Portereau [Tudelle] et qui est dans un état déplorable, ainsi que cela vient d'être constaté par l'Administration elle-même qui y a fait exécuter des travaux de réparation pendant la dernière crue, serait reconstruite, mais rien n'indique que ce projet puisse avoir une prochaine réalisation et il est toujours à craindre qu'une nouvelle inondation ne vienne jetter de nouveau l'inquiétude et des appréhensions trop fondées parmi les habitants de Saint-Marceau qui se verront encore à la merci du fléau sans pouvoir le conjurer.

Les soussignés vous sollicitent Monsieur le Maire, connaissant votre dévouement aux intérêts de la ville d'Orléans, de vouloir bien prendre en mains leur cause,ils sont plein de confiance dans la pensée d'obtenir par votre intermédiaire le résultat qu'ils espèrent et ils vous prient d'agréer l'expression de leurs sentiments respectueux"().

[57 signatures]

 

Après la crue de 1866, le système d'endiguement continu fut condamné par l'administration des Ponts et Chaussées du fait du danger des rupture de levées. Un projet vite abandonné suggérait d'élargir le lit endigué afin de ne plus voir les eaux atteindre des hauteurs catastrophiques comme en 1856. Il aurait alors fallu reculer les levées de 500 à 600 mètres condamnant le quartier Saint-Marceau à la destruction(). Fut finalement retenue la construction de déversoirs le long de la Loire afin d'éviter les ruptures de digues. De 1878 à 1882, un déversoir fut ainsi aménagé à la hauteur de Jargeau, à une vingtaine de kilomètres d'Orléans, au niveau de la brèche par où s'étaient engouffrées les eaux en 1856. A partir de cette époque et jusqu'à nos jours, tout le Val fut protégé.

 

Saint-Marceau pouvait enfin voir son industrie horticole prospérer sans crainte de nouveaux débordements et accueillir sur son sol une bourgeoisie orléanaise maintenant rassurée.

 

Avant d'aborder l'ultime époque traitée dans notre étude, il convient de s'interroger sur les effets des grandes crues de 1846, 1856 et 1866. Avec un certain recul, furent-elles réellement pour Saint-Marceau un élément positif à moyen et long terme ?

 

b) Les crues de la Loire : chance ou calamité pour Saint-Marceau ?

 

Des indemnisations suffisantes

 

Les multiples témoignages de détresse que nous avons rencontrés lors des secours apportés aux inondés sont réels, mais dans un article sur le Loiret au milieu du XIXème siècle, Christianne Marcilhacy apporte une certaine nuance à la situation des inondés. Selon elle, ils furent bien indemnisés car beaucoup aidés par l'afflux des secours venus de toute la France. Afin d'appuyer son propos, elle cite un rapport de 1847 :

" (...) La solidarité nationale s'était émue, des secours avaient été très vite organisés et "si les pertes ont été grandes, trop réelles et sans indemnité pour la grande propriété et les riches, elles se sont fort atténuées" pour les pauvres : dons en nature, secours pécuniaires, dégrèvements, hauts salaires provoqués par l'appel de main d'oeuvre qu'exigent les travaux de réfection, leur permettent de rétablir la situation à tel point qu'ils deviendront un objet d'envie pour les populations des "communes forestières et solognotes" en 1847 : "Ah! si nous avions eu la chance d'être inondés, gémiront-elles"().

 

Une amélioration des cultures

 

Les crues, en détruisant les cultures, permettaient également l'amélioration des plantations et l'introduction à Saint-Marceau de nouvelles espèces afin de stimuler la principale industrie du quartier et de lutter contre la concurrence, ainsi que l'explique en 1846 un rapport des jardiniers délégués chargés de l'achat des plants et des graines pour les jardiniers inondés :

" (...) Il convenait de profiter de cette circonstance pour que cette nature de secours eut, en même temps l'avantage de renouveler des espèces dégénérées et d'introduire des espèces inconnues à Orléans, quoique depuis longtemps cultivées dans les environs de Paris. Ils pensent que c'est un moyen de stimuler cette industrie bien arriérée dans notre contrée, de renouveler les espèces propres à la vente habituelle du pays généralement toutes abâtardies et d'y appeler les acheteurs parisiens, qui jusqu'ici vont plus loin parce qu'ils ne trouvent rien à Orléans"().

 

Le dépôt d'un limon fertile

 

De multiples témoignages rendent enfin compte du dépôt sur le sol des jardins après chaque séjour des eaux d'un limon fétide, sorte de vase supposée rendre la terre stérile. Pour les Saint-marcellins sinistrés, elle semblait devoir finir de les ruiner. Pourtant Roger Dion a expliqué qu'en définitive, "les submersions enrichissent plus les terrains qu'elles n'en détériorent"(). La terre déposée par les grandes crues de 1846, 1856 et 1866, riche en azote fut considérée comme un excellent engrais pour les sols du Val. En une crue, l'équivalent de l'engrais répandu en une année était ainsi déposé.

 

Loin de ruiner définitivement le quartier, les trois crues décennales furent pour beaucoup dans l'amélioration successive des cultures, permettant aux jardiniers de Saint-Marceau devenus maraîchers, pépiniéristes ou horticulteurs d'arriver à une prospérité jamais atteinte jusqu'alors. Les petits jardins si répandus en 1846 se transformèrent en vastes exploitations ouvertes sur le commerce national et international.