QUATRIEME PARTIE :

A LA CHARNIERE DE DEUX SIECLES,

LA MUTATION D'UNE PAROISSE (1880-1914)

 

 

A. Un début de redéfinition sociale du quartier

 

 

Traumatisés par les dégâts répétés provoqués par les grandes crues, les pouvoirs publics renforcèrent durablement les levées de le Loire au début de la IIIème République, permettant à Saint-Marceau de voir s'éloigner le spectre d'une nouvelle catastrophe et de se développer en toute sécurité.

 

 

1. L'accroissement de la population

 

 

Grâce aux recensements quinquennaux() de la population organisés par la municipalité, nous sommes en mesure d'évaluer l'accroissement de la population du canton sud d'Orléans, manifeste après le Second Empire.

1836 : 3 800 habitants

1841 : 4 453

1846 : 4 316

1851 : 4 486

1856 : 4 203

1861 : 4 307

1866 : 4 705

1872 : incomplet

1876 : 5 286

1881 : 5 147

1886 : 5 457

1891 : non fourni

1896 : 5 930

1901 : 5 915()

 

De 1836 à 1866, la paroisse a augmenté sa population de près de 900 âmes. Pour une même période de 30 années (1866-1896), la population s'est accrue de 1 200 individus. La légère baisse enregistrée en 1901 tient seulement à une diminution de la population éparse (hameaux, fermes) du canton sud, venue sans doute se regrouper dans le quartier(). La tendance à la hausse se confirma par la suite puisque en 13 ans, de 1901 à 1914, la population augmentait de près de 900 personnes().

 

Cet accroissement marqué de la population sous la IIIème République est la conséquence directe de la nouvelle destination du quartier Saint-Marceau appelée à durer jusqu'à nos jours : celle d'une "vocation résidentielle de qualité"().

 

2. Un enrichissement certain...

 

 

a) L'arrivée de nouvelles couches sociales : le cas de la rue Dauphine

 

Les dernières années du XIXème siècle sont en effet marquées par l'arrivée de rentiers, de petits bourgeois ou de fonctionnaires appréciant le calme et le côté champêtre du quartier, entre ville et campagne. Ce phénomène se retrouve au sein même de l'administration de la paroisse : aux côtés des jardiniers, un architecte-paysagiste, un comptable employé chez un horticulteur, un employé de banque ainsi que des rentiers dont l'un originaire du Pas-de-Calais furent nommés par leurs collègues administrateurs de la fabrique.

 

Au début du XXème siècle, des rues furent tracées sur d'anciens terrains vendus à la ville par leurs propriétaires, afin de construire de belles demeures patriciennes. En 1871, le bureau de bienfaisance d'Orléans possédait deux terres situées rue Dauphine, à la suite d'une donation faite par un ancien administrateur de l'établissement. Dès 1891, le vice-président proposait d'aliéner ces terres "car il s'élève, disait-il, chaque jour des constructions sur cette rue, et les terrains actuellement en culture ont acquis la valeur des terrains à bâtir". Finalement l'aliénation rapporta une somme considérable, car sur ces anciennes terres horticoles, une rue devait y être construite ainsi que la pose d'égouts destinés à assainir le quartier(). Cette fièvre de construction fut particulièrement marquée dans l'axe principal du quartier prolongeant le pont depuis le XVIIIème siècle : la rue Dauphine. Située en surélévation par rapport aux rues voisines (afin de respecter l'alignement avec le pont Royal, elle avait été construite sur les déblais d'anciennes îles de la Loire), cette rue aménagée en promenade dès le XVIIIème siècle comprenait très peu d'habitations jusqu'au milieu du XIXème siècle (7 en 1846). De 17 en 1861, leur nombre doubla pratiquement en 1876 (33) pour arriver finalement à 56 numéros en 1891(). A cette date on pouvait encore rencontrer des journaliers parmi les habitants de cette rue.

 

Vingt ans plus tard, le recensement() nous indique que 76 foyers étaient installés dans cette rue, soit en 20 ans la construction d'une maison par an en moyenne (ou de la division de parcelles). Promue avenue en 1905, la rue Dauphine était alors bordée d'hôtels particuliers et de maisons bourgeoises. Sur ces 76 foyers, 24 seulement étaient tenus par une personne native d'Orléans ou de sa proche banlieue (Saint-Jean-le-Blanc ou Olivet par exemple). La mobilité sociale était assez importante, mais restait régionale (Sologne, Beauce, Val) à part quelques personnes originaires de Paris, d'Angers, de Lisieux, de Vichy, de Nice, de Vesoul et même de Rome pour un officier retraité. Quelques commerces de proximité y étaient représentés (débitant de tabac ou de boissons, pharmacien, photographe, patron de bazar, négociant en vin) mais les rentiers propriétaires étaient majoritaires aux côtés d'un docteur, d'un architecte, d'un entrepreneur en maçonnerie (il travailla à la nouvelle église Saint-Marceau), d'un industriel, d'officiers et sous-officiers, du directeur de la Mutuelle Régionale, d'agents d'assurance, de quatre conseillers à la cour et du procureur général. L'ancienne fabrique de fez avait émigré et à la place des habitations s'étaient construites.

 

Trois personnes remarquables ont habité l'avenue Dauphine :

- Le baron Harold Portalis (1841-1917), originaire de Vesoul (Haute-Saône), frère du directeur du journal Le XIXème siècle. Avant de s'installer rue Dauphine, il résidait déjà à Saint-Marceau, au château des Montées avec famille et domesticité (institutrice pour les enfants, cocher, valet de chambre, cuisinière et concierge). Entré au conseil municipal en 1890, il fut maire d'Orléans de 1898 à 1905().

- Le comte Maurice O'Mahony, ancien conseiller de préfecture, candidat monarchiste battu aux législatives de 1889 par un radical, cet avocat s'était particulièrement manifesté lors des fêtes johanniques du 8 mai 1907. Autorisés par Clémenceau, ministre de l'Intérieur, les Francs-Maçons avaient pu ce jour-là défiler à travers une ville désertée par les grands bourgeois et les monarchistes, sauf avenue Dauphine où le comte O'Mahony attacha des casseroles aux volets clos de son hôtel particulier, afin de ridiculiser les Francs-Maçons et de les passer symboliquement à la casserole. "Tout ce qu'Orléans comptait d'ecclésiastiques intégristes, de douairières et de chaisières s'était joyeusement esbaudi à cette insolente manifestation d'humour guépin"().

- Fernand Rabier, natif de Beaugency mais qui habita Saint-Marceau à partir de 1892 et rue Dauphine de 1898 à 1909. Avocat franc-maçon, élu au conseil municipal en 1884, député de 1912 à 1919, puis sénateur de 1920 à sa mort en 1933, ce radical-socialiste fut de tous les combats contre l'institution ecclésiastique, en particulier dans le domaine scolaire().

 

Au sein de la population de Saint-Marceau, les opinions politiques pouvaient être extrêmes et antagonistes : dans la même rue Dauphine habitaient le "blanc" (comte O'Mahony) et le "rouge" (Fernand Rabier), mais comme l'écrit justement Jacques Debal, "chacun connaît son voisin et l'estime au plan professionnel. S'il y a rivalité, c'est à qui cultivera le plus beau jardin"().

 

Population traditionnelle de la paroisse, les jardiniers allaient en effet trouver la voie d'une prospérité inégalée.

 

b) Saint-Marceau, centre mondial de l'horticulture

 

Parallèlement à l'arrivée des bourgeois et des rentiers venus s'installer au sud de la Loire, les professionnels de la terre, horticulteurs et pépiniéristes essentiellement purent faire construire des demeures bourgeoises et moderniser leurs entreprises pour faire de la culture des fleurs et des arbres "l'industrie" de Saint-Marceau.

 

En 1901, la majeure partie des horticulteurs-fleuristes d'Orléans était implantée sur Saint-Marceau(), dont la terre avait été enrichie par le limon fertile déposé par les inondations successives jusqu'en 1866. Symbole de leur puissance, le Syndicat professionnel horticole du Loiret (1890) fut fondé par plusieurs horticulteurs du quartier, parmi lesquels Jules Gouchault, beau-père du pépiniériste Eugène Turbat, futur maire d'Orléans. Les professionnels de l'horticulture durent être aussi bien pris en compte par la municipalité de 1896 à 1898 puisqu'un des leurs, Paul Transon, "pépiniériste devenu "propriétaire" selon l'idéal social de l'époque"(), était à sa tête.

 

Les visiteurs de passage à Orléans furent particulièrement frappés par le caractère laborieux du quartier Saint-Marceau, couvert en grande partie de jardins. D'après un guide touristique de l'époque :

"Le grand faubourg d'Olivet [en fait le quartier Saint-Marceau], qui s'étend sur la rive gauche de la Loire jusqu'au Loiret, est une des curiosités d'Orléans. De nombreux pépiniéristes s'y sont installés, ils ont transformés la plaine alluviale en forêt de Lilliput. A travers les grilles des portails on aperçoit de longues allées bordées d'ifs bizarrement taillés, traversant des semis de jeunes arbres dont les teintes tranchées forment des damiers, comme les cultures au flanc des coteaux. Une dizaine de maisons ont pris rang dans le grand commerce et jouent un rôle considérable dans le monde des affaires. Quelques-unes, dirigées par des hommes d'une haute intelligence comme M. Transon, ont su se faire une place incontestée sur les marchés du nouveau monde, leurs chefs ont couru le globe entier à la recherche de plantes nouvelles; l'un d'eux qui appartient à la chambre de commerce, au conseil général et à la municipalité d'Orléans, a visité l'Asie centrale, les Etats-Unis et la Colombie britannique. Il en a rapporté des graines d'essences nouvelles; celles-ci, semées à Orléans, ont donné du plant renvoyé dans le pays d'origine pour y servir à la reconstitution des futaies (...)"()

Cette description pourrait faire croire que le quartier Saint-Marceau avait subi au tournant du siècle une métamorphose spectaculaire de sa population et de son paysage : il ne serait plus, qu'une terre de résidences bourgeoises et de pépiniéristes enrichis par un négoce d'ampleur souvent international. Elle dévoile seulement l'aspect flatteur de Saint-Marceau sans pouvoir être appliqué à tous les Orléanais habitant le sud de la Loire.

 

Eglise Saint-Marceau

Bannière de la confrérie de Saint Fiacre, patron des jardiniers.

 

3. ... malgré une pauvreté persistante

 

 

Près de la Loire, les anciens secteurs populaires (les Portereaux Tudelle et du Coq) ne s'effacèrent pas sous la IIIème République. Si les mariniers avaient disparu, des ouvriers, des employés, tout un petit peuple d'ouvriers agricoles les avaient remplacés.

 

Sur l'ensemble du quartier, les horticulteurs n'étaient pas majoritaires puisqu'ils ne représentaient en 1901 que 28% du total des métiers (commerces de proximité : 25%, artisans et commerçants : 47%)(). Ils étaient surtout implantés à l'ouest de la rue Dauphine et route d'Olivet, alors que la vieille rue Saint-marceau, avec ses quatre écoles (deux laïques et deux libres), et les rues proches du fleuve étaient occupées par les artisans (charpentiers, maçons, forgerons, tanneurs entre autres) et les commerces de proximité.

 

 

 Nombre Métiers
39 Horticulteurs
35 Commerces de proximité
65 Artisans et commerçants
139 Toutes professions

 

La répartition des métiers dans le quartier Saint-Marceau au début du siècle (Source : l'annuaire général d'Orléans, 1901)

 

Malgré une amélioration sensible des conditions de vie, il existait toujours des indigents à Saint-Marceau.

 

Dans un tarif du personnel ecclésiastique discuté en séance extraordinaire par le conseil de fabrique le 31 décembre 1880 et approuvé pour toutes les classes par décret présidentiel, une cinquième classe sans messe (la plus basse) pour les convois d'enfants en dessous de sept ans était ainsi jugée par le secrétaire du conseil :

"Cette classe est la même pour ceux qui paient et pour ceux qui ne peuvent pas payer : ces derniers forment à peu près le tiers de la population de Saint-Marceau. La fabrique paie le personnel à ses frais"().

 

Les tableaux de résultats du service extérieur des pompes funèbres à Orléans nous renseignent sur l'importance de la pauvreté à Saint-Marceau(). en 1878, 1880, 1881, 1884, 1887, 1903 et 1904, cette paroisse compte le plus grand nombre d'indigents de toute la ville (plus de 30 par an). En 1878, environ 115 convois avaient été payés à Saint-Marceau, autant que dans la paroisse Sainte-Croix, mais 40 indigents étaient inhumés dans la première et 17 dans la paroisse cathédrale. Bien qu'il y ait eu plus d'enterrements à Saint-Marceau (153) qu'à Sainte-Croix (137), le produit brut des pompes funèbres de cette dernière était supérieur à celui produit au sud de la Loire (Sainte-Croix: 10 383,75 francs; Saint-Marceau : 7 073,50 francs). Un nouveau mode de répartition du produit des pompes funèbres tenant compte davantage de la population des paroisses ayant été approuvé par l'autorité diocésaine en 1880, la part revenant à Saint-Marceau passa de 1 650 francs en 1875 à 2 500 francs en 1885, 3 000 francs en 1886 (cette année-là de toutes les paroisses d'Orléans, seule la part affectée à Saint-Marceau avait été augmentée), 4 500 francs en 1888, puis 5 000 francs de 1897 jusqu'à la disparition de la fabrique en 1906(). Cette augmentation continue des sommes allouées témoigne indirectement de l'importance de la pauvreté à Saint-Marceau conjuguée à l'accroissement de sa population : les pauvres gens étaient incapables d'assurer les frais d'inhumations, même ceux des dernières classes de convois. Le système de régie des pompes funèbres, en allouant une somme proportionnelle à répartir entre le personnel ecclésiastique, permettait d'éviter dans la mesure du possible un "manque à gagner".

 

La liste des indigents secourus par la municipalité de 1905 à 1907() donne le résultat suivant : 87 familles au total furent secourues dont :

20% à Saint-Marceau

13% à Notre-Dame-de-Recouvrance

8% à Saint-Laurent

6% à Saint-Donatien

4% à Saint-Paterne

2% à Sainte-Croix.

 

A Saint-Marceau, la rue Tudelle, véritable "rue de la misère" depuis des dizaines d'années, hébergeait la plupart des indigents secourus à cette époque (des veuves et des femmes abandonnées par leurs maris restées avec leurs enfants ou des familles dont le père journalier venait d'être débauché). Le contraste devait être saisissant entre l'avenue Dauphine toute proche et cette rue située en contre-bas immédiat() : en ces années de "Belle Epoque", la misère la plus noire côtoyait la richesse et l'opulence (derrière les hôtels particuliers, les taudis).

 

A l'aube du siècle, Saint-Marceau offrait ainsi un double visage : elle ne pouvait plus être rangée parmi les paroisses pauvres mais elle n'était pas encore véritablement devenue une terre de demeures bourgeoises. La paroisse était à la fois relativement riche et relativement pauvre, mais la volonté d'améliorer la situation matérielle se manifesta essentiellement dans ce qui devait rester comme le titre de gloire de la fabrique de Saint-Marceau : l'édification d'une nouvelle église consacrée à la libératrice d'Orléans.

 

B. Une nouvelle église pour Saint-Marceau :

dans le souvenir de Jeanne d'Arc

 

 

1. Une seule priorité : reconstruire !

 

 

a) Trois prêtres au chevet de leur temple

 

Succédant à Jean-Michel Riballier, un prêtre âgé de 59 ans fut nommé en février 1880 à la cure de Saint-Marceau. Né le 5 mai 1821 à Sully-sur-Loire, prêtre en 1845, puis professeur-économe au Petit Séminaire d'Orléans de 1845 à 1858, Alphonse Brague avait desservi deux cures avant de s'installer au sud de la Loire. Grâce à son autorité et à son intelligence pour multiplier les ressources() il avait pu restaurer les églises de ces deux paroisses. Il arrivait ainsi à Saint-Marceau pourvu de l'expérience nécessaire pour mener à bien les démarches à entreprendre pour la reconstruction de l'église.

 

En prévision d'un renouvellement du mobilier lorsque le nouvel édifice serait construit, le conseil de fabrique en 1881 vendit à un antiquaire douze vieilles tapisseries devenues inutiles dans l'exercice du culte(). La même année, par autorisation épiscopale indispensable à toute réunion extraordinaire, décision fut prise de faire dresser immédiatement un plan et devis pour une nouvelle église (aux frais de la fabrique), les travaux ne devant pas dépasser les 400 000 francs(). René Dusserre [Bourg-en-Bresse, 1837 - Nemours, 1901], l'architecte choisi par le conseil était également l'architecte diocésain chargé des travaux à exécuter aux édifices religieux. Venu s'établir à Orléans après la chute du Second Empire, il avait été nommé architecte départemental vers 1880().

 

En mai 1882, le curé de Saint-Marceau écrivait une lettre au maire d'Orléans, Charles Sanglier (1878-1887) dans laquelle il exposait l'état alarmant de son édifice :

"Monsieur le maire,

Par un sentiment de délicatesse que vous apprécierez, je me suis tenu à l'écart, tant que vos grands projets n'ont pas été décidés(); et pourtant, l'oeuvre de la reconstruction de l'Eglise de Saint-Marceau est l'une des plus urgentes. Je ne vous apprendrais rien en vous disant que cette pauvre église n'est plus qu'une ruine indécente, que ses murs menacent de s'effondrer, qu'elle est ouverte à tous les vents, que l'eau y tombe de toute part, et que mes paroissiens n'y entrent plus qu'en crainte (...)"()

 

De 1882 à 1884, année de sa mort, les dernières années du curé Brague devaient être celles d'un "condamné à mort"(). Miné par la maladie, il avait cependant pu préparer la voie à ses successeurs en recueillant les premières souscriptions nécessaires à la reconstruction de Saint-Marceau. Le prêtre qui lui succéda ne resta que deux années à Saint-Marceau. Ayant été auparavant professeur au Petit Séminaire avant d'en être le supérieur, Jean-Baptiste Despierre fut en effet nommé archiprêtre de la cathédrale Sainte-Croix en 1886, en raison peut-être d'un talent "hors ligne" et d'un jugement "très sain"().

 

Joseph Théodore Cornet, le nouveau curé installé en août 1886 allait pouvoir enfin concrétiser et mener à terme la "grande affaire" de la paroisse. Ce prêtre né à Sceaux (Hauts-de-Seine) en 1846, vicaire de Malesherbes de 1869 à 1872, enseigna comme ses deux prédécesseurs au Petit Séminaire de la Chapelle-Saint-Mesmin à partir de 1872, exerçant en même temps comme vicaire de la paroisse orléanaise de Saint-Paul. Nommé supérieur du Petit Séminaire et chanoine honoraire trois ans plus tard, il resta 26 ans à la cure de Saint-Marceau (1886-1912). Comme la majeure partie sinon la totalité des desservants de Saint-Marceau à l'époque concordataire, l'abbé Cornet était doté de grandes qualités : l'autorité diocésaine estimait son esprit "très bon", un talent "plus qu'ordinaire" doublé d'un jugement "très sûr"(). Sous son impulsion, les opérations préparatoires à la reconstruction de l'église allaient s'accélérer, d'autant plus urgentes que la vieille église menaçant de s'écrouler était devenue dangereuse.

 

b) Une situation devenue insupportable

 

Comme les années précédentes, le directeur des travaux municipaux() sur l'invitation du maire avait renouvelé la visite de l'église Saint-Marceau, de nouvelles dégradations étant survenues par rapport à 1886. La chapelle dite de la Vierge annexée à la nef latérale du côté sud était "dans un tel état de délabrement qu'il est vraisemblable de craindre que la chute de l'une quelconque de ces trois parties() consécutives de la dite chapelle ne vienne à se produire plus ou moins prochainement"(). Afin d'assurer la sécurité des fidèles, le directeur des travaux municipaux préconisait d'interdire l'abord de la chapelle au moyen de barrières placées entre les piliers "et cela jusqu'au moment où des consolidations suffisantes auront été exécutées : à moins toutefois que des mesures plus radicales ne soient prises pour le remplacement de cette annexe de l'ancienne église"(). Cette mesure aussitôt appliquée était nécessairement appelée à assurer seulement la sécurité publique mais en aucun cas l'église Saint-Marceau ne pouvait rester dans un tel état de délabrement, d'autant plus que la condamnation de la chapelle de la Sainte-Vierge (nef latérale) représentait une entrave à la liberté de l'exercice du culte : la nef latérale condamnée entraînait la perte de places pour 700 enfants de la paroisse().

 

La situation ne pouvant durer plus longtemps, les fabriciens adressèrent une demande de secours à la ville, à soumettre par le maire au conseil municipal. La situation de leur église était devenue réellement effroyable :

" Les soussignés membres du conseil de fabrique de la paroisse Saint-Marceau ont l'honneur de vous exposer que l'église de cette paroisse est dans le plus déplorable état;

que sur votre ordre et conformément au rapport de Mr le Directeur des travaux municipaux la nef latérale sud a été interdite au public;

que l'église ainsi restreinte est insuffisante aux besoins du culte; que les enfants sont placés dans les passages, jusque sur les marches de l'autel et qu'un grand nombre d'entre eux sont même obligés de rester sous le porche exposés au vent et au froid; que la population est effrayée et que plusieurs n'osent plus venir craignant une catastrophe (...)"()

 

Le décès brutal de Charles Sanglier le 12 mars 1887 n'empêcha pas la poursuite des opérations, l'abbé Cornet évoquant dans une lettre la situation de sa paroisse au nouveau maire, Xavier Robineau-Pineau, chargé de terminer pour un an le mandat du défunt maire :

" Permettez-moi de vous rappeler avant que vous ne fassiez votre voyage à Paris que le voeu de la population de Saint-Marceau est non pas la réparation mais la reconstruction de son Eglise et qu'elle regarderait comme de l'argent perdu la réparation d'une ruine à côté d'une masure;

qu'avec la somme que je vous offre et celles que vous pourrez réunir, on arrivera facilement à la reconstruction des quatre murs, laissant de côté le clocher et au besoin le sanctuaire. Une fois clos, couverts et en sécurité, les habitants de Saint-Marceau se chargeront du reste (...)

Persuadé que vous saurez mener à bonne fin l'oeuvre si urgente commencée par votre prédécesseur, je vous remercie à l'avance, Monsieur le Maire, et je vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments les plus respectueux.

 

Th. Cornet curé de Saint-Marceau"()

 

Le 5 septembre 1887, le conseil de fabrique réuni extraordinairement, vota un emprunt de 60 000 francs payable en 50 annuités() à contracter auprès du Crédit Foncier à 4,75%(). Cette opération nécessitait les avis conformes de l'évêque, du conseil municipal et du préfet, ainsi que le relevé des recettes et dépenses ordinaires de la fabrique pour les trois derniers exercices et un état certifié de ses dettes.

 

Le terrain choisi pour la construction de la nouvelle église situé juste au nord de l'ancienne église correspondait à une partie de l'ancien cimetière. En 1838, la fabrique avait échangé des arbres lui appartenant et rendus après la Révolution contre ce terrain, alors propriété de la ville. Le futur édifice devant revenir à cette dernière, la fabrique proposa l'échange de son terrain (l'ancien cimetière) contre celui où était construit la vieille église(). Cette opération avait le grand avantage de maintenir la pérennité de la paroisse : la nouvelle église n'étant pas construite loin du centre ancien de la paroisse, le recentrage de cette dernière était exclu et d'éventuels conflits avec les fidèles évités. Deux parcelles contiguës devaient donc changer de propriétaire dans l'intérêt de tous.

 

c) Le vote favorable de la municipalité : les travaux peuvent débuter

 

L'ensemble des pièces nécessaires ayant été envoyé à la mairie, le conseil municipal, dans sa séance du 16 décembre 1887, put délibérer sur le projet de reconstruction de l'église. Plusieurs fois ajournée en raison d'une situation financière difficile (Orléans avait dû payer un lourd tribut financier lors de la guerre de 1870-1871), la reconstruction de l'église était pourtant devenue inévitable en 1887. D'après le rapporteur du projet,

"il ne s'agit pas ici d'une dépense de luxe ni d'agrément, l'état des finances de la Ville ne le permettrait pas. Le sentiment religieux même n'est pas à évoquer; vous avez à obvier à un danger public (...)"()

Après examen du projet de l'architecte Dusserre, le conseil municipal vota à l'unanimité (sauf Fernand Rabier qui s'abstint) la reconstruction de l'église Saint-Marceau. Selon le devis, la dépense totale s'élevait à 300 000 francs an chiffre rond. Où trouver cet argent ?

 

2. Les modalités de la construction

 

 

a) Son financement

 

La fabrique

 

Plus de la moitié des travaux furent financés par la fabrique, qui, au prix de longs efforts, avait pu recueillir la somme de 160 000 francs, provenant de trois sources différentes.

 

Les souscriptions volontaires

 

Grâce au travail de trois curés "dont le zèle pour les intérêts confiés à leurs soins est et a été digne de tout éloge"(), la fabrique avait pu recueillir un ensemble de souscriptions s'élevant à 78 000 francs. Afin d'aider à la reconstruction de l'église, des quêtes avaient été organisées dans l'église à l'occasion de la fête de Saint-Marceau (4 septembre). A cette occasion, le prédicateur fut un religieux du Mont-Saint-Michel.

 

Le jeudi 10 février 1887, un salut de charité en faveur de la reconstruction de l'église fut organisé en présence de l'évêque d'Orléans et d'une foule "nombreuse et distinguée". Un sermon y fut prêché par un chanoine honoraire dans lequel il insistait sur le caractère grandiose de l'oeuvre à accomplir. Nous reviendrons sur ce discours lorsqu'il faudra expliquer les raisons de la réussite de l'entreprise.

 

Le livre d'or des donateurs pour la reconstruction de l'église Saint-Marceau (commencée en janvier 1887) nous donne des indications sur la nature des personnes ayant apporté leur contribution et s'étant recommandé à Dieu (intentions de messe)(). Les femmes sont largement majoritaires mais nous pensons qu'elles représentent leurs familles. Outre des religieux, comme le curé de Saint-Marceau, la supérieure des Soeurs de la Sagesse de la paroisse et des prédicateurs, nous trouvons les élèves du Séminaire, les jeunes des catéchismes de persévérance de Saint-Marceau, les membres de la fabrique, Henri Courtin (bienfaiteur de Saint-Marceau), le maire Charles Sanglier ainsi que plusieurs familles notables de la paroisse, d'Orléans et de Paris, à l'occasion des quêtes organisées dans ces villes de 1887 à 1891, date d'achèvement de l'église (excepté le clocher). En apportant sa contribution, une vieille paroissienne âgé de 95 ans demandait à Dieu "de voir la nouvelle église et d'y prier"(). Nous ne savons si son voeu fut exaucé.

 

Les ressources disponibles de la fabrique

 

Depuis des années, les legs, dons et fondations converties en rentes 3% sur l'Etat avait permis à la fabrique de dégager un excédent de recettes (bonis) sur les exercices précédents, évalué à plus de 21 000 francs en 1887 (boni de plus de 4 000 francs par an sur les exercices de 1884, 1885 et 1886).

 

Emprunt au Crédit Foncier de France

 

Grâce au boni annuel et régulier supérieur à 4 000 francs réalisé sur les ressources de la fabrique, un emprunt de 60 000 francs avait pu être contracté. La fabrique assurait le financement de la reconstruction de l'église pour 78 000 plus 21 000 plus 60 000 soit près de 160 000 francs. Restait à trouver les 140 000 francs restants.

 

La Ville

 

Malgré une situation financière difficile, elle vota à la fabrique une subvention de 70 000 francs, légèrement inférieure au quart de la dépense totale.

 

L'Etat

 

Prenant en considération l'urgence de la construction, et peut-être aussi l'intérêt de la destination finale de l'église, construite en mémoire de Jeanne d'Arc(), le ministère des Cultes participa au financement pour 60 000 francs, payable en trois annuités (28 février 1888).

 

b) Les formalités

 

Avant que les travaux puissent débuter au printemps de 1888, de longs mois furent nécessaires pour remplir les diverses formalités exigées par la loi. Une correspondance abondante s'établit entre le curé de Saint-Marceau, l'évêché, la mairie et la préfecture représentant le ministère des Cultes. Des autorisations étaient nécessaires à la fois pour toucher la subvention du ministère, emprunter au Crédit Foncier et permettre l'échange de terrains entre la fabrique et la ville. Le 13 janvier 1888, le député du Loiret Bernier écrivait au maire d'Orléans, en lui annonçant avoir vu le conseiller d'Etat Dumay mais que le dossier de l'église Saint-Marceau n'était toujours pas encore arrivé au ministère. Comme l'écrit le député,

"(...) l'affaire sera assez longue, car d'après ce que m'a dit Mr Dumay, il y a deux choses dans cette affaire. Pour la subvention, cela regarde exclusivement le ministère, mais pour l'emprunt que la fabrique doit réaliser auprès du Crédit Foncier, il faut que cette demande soit soumise au Conseil d'Etat, avant que le décret d'autorisation d'emprunt ne soit rendu (...)"()

Au niveau local, l'inquiétude du curé de Saint-Marceau était réelle, si l'on en croit la lettre qu'il adressa à l'archidiacre d'Orléans. Le mandat de Charles Sanglier poursuivi par Robineau-Pineau expirait en 1888 et l'abbé Cornet s'inquiétait d'un résultat des municipales pouvant remettre en question la reconstruction de son église :

" Monsieur l'Archidiacre

Vous devez avoir la partie de notre dossier relative à l'échange de terrains entre la Ville et la Fabrique.

Un avis motivé de l'Evêché approuvant cet échange est demandé par la Préfecture.

Je vous supplie de libeller cet avis et de le leur envoyer aussitôt que faire se pourra (...)

Je n'ai pas besoin de vous rappeler, Monsieur l'Archidiacre, l'urgence de cette affaire. Il est absolument nécessaire que les travaux soient commencés avant les élections municipales qui auront lieu au commencement de mai : sans quoi si elles sont mauvaises tout peut être manqué (...)"()

Les craintes de l'abbé Cornet restèrent heureusement infondées : le 4 avril, une lettre du préfet à l'évêché autorisait la fabrique à mettre immédiatement en adjudication les travaux de reconstruction de l'église. Quant aux municipales, leur résultat était favorable, puisque le nouvel édile n'était autre que Gaston Colas des Francs, le rapporteur du projet de reconstruction de l'église lors de la séance du conseil municipal de 16 décembre 1887.

 

3. Le contexte historique : religion et patriotisme

 

 

Un décret du Président de la République Sadi Carnot en date du 23 juin autorisa l'emprunt à contracter auprès du Crédit Foncier ainsi que l'échange de terrains.

 

Les travaux pouvaient enfin débuter. Indépendamment de la nécessité de remplacer un édifice en ruine, pourquoi construire une église en cette fin du XIXème siècle ? Deux discours tenus par des ecclésiastiques à l'occasion de saluts de charité nous éclairent sur les motivations des autorités religieuses : les discours des abbés Rivet et de Poterat, tous deux chanoines honoraires, prononcés respectivement les 10 février 1887 et 23 mars 1888 en l'église de Saint-Marceau devant une assemblée de personnes "respectables". Les deux hommes sont unanimes pour déplorer l'état catastrophique de l'église actuelle. Par une image saisissante, l'abbé Rivet la compare à une vieille femme arrivée au terme de son existence :

"Semblable à ces vénérables matrones au front ridé par l'âge, aux membres perclus de rhumatismes, qui s'acheminent vers la tombe appuyées sur de fortes béquilles, la pauvre église se présente à vous dépouillée de tout ornement, ridée en tout sens par de menaçantes crevasses, perclue par les infiltrations des eaux de la Loire débordée et péniblement soutenue par de puissants étais. Et dans ce pitoyable état, elle inspire presque autant d'effroi que de compassion, car elle semble menacée d'incliner vers sa ruine (...)"()

Pour l'abbé de Poterat, c'est "un cadavre, où les signes de vie semblent avoir disparu les uns après les autres, et qui ne vous laisse en effet qu'une impression de ruine et de mort"().

 

a) Un asile pour les âmes

 

Les deux sermons insistent fortement sur le rôle de l'église en tant que refuge des âmes en détresse, mais l'abbé de Poterat face à un auditoire composé de bourgeois et de notables, n'hésite pas à brandir la menace d'un éventuel mécontentement des basses couches de la population tentées par la corruption et détournées de la religion, encore majoritaires à Saint-Marceau si l'on en croit les paroles du prédicateur() :

" Je m'arrête à une seule réflexion, c'est que si toutes les âmes ont besoin de l'église, le peuple en a besoin, lui, à un titre très spécial. Le peuple, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas la fortune, ni la science, ni le bien-être; le peuple, c'est-à-dire la plus grande partie de l'humanité, et en particulier la plus grande partie de cette paroisse (...)

Et que deviendra-t-il, ce peuple, si son église lui manque ? Où ira-t-il, s'il ne vient ici ? Ah vous pouvez le savoir. Il lui faut, n'est-ce pas ? du repos, du soulagement et de la joie. Tout cela, son église le lui donnerait; mais on ne veut pas qu'elle le lui donne. On lui refuse la douce lumière de la foi et le baume consolateur de la prière; et, pour y suppléer, voici qu'on le flatte, on le trompe, on l'attire à des réjouissances bruyantes, on le promènera cinq heures durant parmi des illuminations qui l'éblouissent, des images qui le corrompent. Et quand le moment sera venu de le ramener dans sa demeure nue, obscure, froide et humide, [à] cet homme, à qui, à la place de la résignation, du courage et de l'espérance, on a donné la révolte, la haine et le désespoir (...)

Je dis, mes Frères, et vous dites avec moi que le peuple échappera mieux à de tels périls s'il a une belle église, avec de belles fêtes (...) où il trouve quelque chose de grand, d'élevé, de pur, qui plaise à ses yeux et émeuve son âme sans troubler ses sens, quelque chose qui soit à lui et pour lui.

Donc je conclus, mes Frères, et vous concluez avec moi qu'à cette importante paroisse de Saint-Marceau, pour maintenir debout la religion et les consciences, il faut une église nouvelle pour remplacer celle qui tombe (...)"()

 

Ces propos durent être assez édifiants selon nous pour pouvoir recueillir une somme importante auprès des personnes respectables réunies ce 23 mars 1888 à l'occasion du Vendredi de la Compassion de la Sainte-Vierge, d'autant plus que l'une des dames quêteuses n'était autre que madame Colas des Francs, l'épouse du maire d'Orléans.

 

b) Au nom de la Pucelle d'Orléans, libératrice de la France

 

En plus de ce rôle traditionnel de gardienne de l'ordre social et des valeurs chrétiennes, l'église pouvait être pour le chanoine Rivet "le foyer des grands battements de la vie nationale". Faisant allusion à la construction des basiliques du Sacré-Coeur de Montmartre et de Notre-Dame-de-Lourdes, il ne proposait pas moins de construire à Saint-Marceau "le monument d'un grand sentiment national" consacrée à Jeanne d'Arc, l'héroïne qui bouta l'occupant étranger hors du royaume de France au XVème siècle. En cette fin du XIXème siècle, l'épopée de la Pucelle d'Orléans redevenait très actuelle : depuis la guerre de 1870-1871, le Reich allemand occupant l'Alsace et la Lorraine, la France n'avait de cesse de préparer la Revanche et de reconquérir ces régions. Pour galvaniser les esprits, l'abbé Rivet clôtura son discours par des paroles enthousiastes() : la nouvelle église construite en l'honneur de celle qui avait combattu en 1429 sur la paroisse Saint-Marceau() marquerait pour Orléans, pour la France entière mais aussi pour toute la chrétienté le symbole de la résurrection nationale, "le monument de la réparation à une gloire outragée mais reconquise".

 

La construction de la nouvelle église s'inscrivait en fait dans un vaste mouvement dont l'ampleur dépassait la seule paroisse de Saint-Marceau. Le 20 mai 1888, en l'église Saint-Paul-Saint-Louis à Paris, monseigneur d'Hulst, prélat de la Maison du Pape, vicaire général de Paris et recteur de l'Institut catholique, prononça un discours dans lequel il lançait un appel "à tous les Français patriotes et chrétiens" pour qu'ils participent à l'édification de l'église construite en l'honneur de Jeanne d'Arc : il s'agissait "d'aider nos frères d'Orléans à reconstruire l'église de Saint-Marceau dont le souvenir est lié à l'histoire du siège héroïque qui révéla à la France sa libératrice"(). En somme, ne pas apporter son obole équivalait presque à trahir son pays.

 

c) Une iconographie édifiante

 

L'iconographie de la nouvelle église ne fut pas non plus anodine. Elle témoignait à sa manière de l'action entreprise par l'Eglise, à l'image du Pape Léon XIII (1878-1903), qui tout en reconnaissant le régime républicain, luttait contre la montée du laïcisme en entreprenant une vaste reconquête des esprits "avec un esprit missionnaire nouveau dont l'église Saint-Marceau est sans doute le meilleur reflet architectural"(). Il s'agissait en effet de rappeler la vocation chrétienne de la France : tous les saints représentés sont des saints français. On trouve ainsi dans toute l'église un résumé de l'histoire de la France catholique() :

- au-dessus de l'autel du Sacré-Coeur (provenant de l'ancienne église), un vitrail représentant Sainte-Marguerite-Marie, religieuse de Paray-le-Monial qui propagea le culte du Sacré-Coeur.

- sur l'autel majeur, un bas-relief représentant Jeanne d'Arc entendant ses voix, entouré par le bienheureux Charlemagne et Saint-Louis, roi "très chrétien".

- au-dessus de l'autel majeur dans le choeur, cinq vitraux représentant :

- Saint-Gontran, roi de Bourgogne qui introduisit le culte de Saint-Marceau à Orléans (vitrail payé par Henri Courtin, le donateur des reliques du saint)

- Saint-Marceau, le patron de la paroisse

- l'étendard de la Pucelle d'Orléans : un ange tend une fleur de lys (symbole du royaume de France) au Christ en gloire

- Jeanne d'Arc en prière

- Sainte-Clotilde, qui contribua à la conversion et au baptème de son époux Clovis Ier roi des Francs.

- la chapelle du bas côté nord était consacrée au patron des jardiniers Saint-Fiacre (autel, vitrail et statue).

Représentative de son temps, l'église Saint-Marceau fut construite de 1888 à 1891, excepté son clocher.

 

4. Saint-Marceau, sanctuaire du monde chrétien

 

 

a) L'église est provisoirement achevée sans son clocher

 

Le 12 octobre 1888 eut lieu la pose de la première pierre de l'église, au milieu d'une foule nombreuse si l'on en croit les Annales religieuses(). Un carton d'invitation fut distribué pour l'occasion :

 

Cette cérémonie fut rehaussée par la présence de sept évêques qui la veille, étaient venus à Orléans avec 25 autres prélats pour l'inauguration dans la cathédrale Sainte-Croix d'un monument funéraire consacré à monseigneur Dupanloup. Le devis initial ne comprenant pas la construction d'un clocher, la façade de l'église aurait dû être fermée par une clôture provisoire. Finalement la fabrique vota la construction de la tour jusqu'à la hauteur des nefs latérales, d'autant plus qu'une personne charitable voulait bien se charger de cette construction supplémentaire().

 

Afin d'acheter un nouvel ameublement adapté au style de la nouvelle église, un autel avec retable du XVIème siècle fut vendu ainsi que les dernières parcelles de terre que la fabrique avait recouvrées au début du XIXème siècle.

 

L'ensemble des vitraux destinés au sanctuaire, au choeur et au transept fut financé par plusieurs familles de la paroisse, la fabrique n'ayant plus à sa charge que les frais de pose(). Nous pensons donc que le choix des sujets de ces vitraux() (des saints de France) partait d'une initiative privée et non pas imposée par l'autorité religieuse. Cette remarque implique que des laïcs de Saint-Marceau étaient assez pieux et en total accord avec l'église romaine pour être les relais de l'Eglise auprès de la population de leur paroisse(). L'église en tant qu'édifice communal était propriété de la Ville mais l'ensemble de son ornementation (statues, autels, vitraux, etc) appartenait à des particuliers, ce qui allait poser quelques problèmes lors de l'application de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat().

 

Image d'une mutation : les deux églises de Saint-Marceau en 1899-1900.

Le vieux clocher à droite va bientôt disparaître et la nouvelle église se doter

d'une flèche élancée surmontée d'une statue de Jeanne d'Arc (coll. particulière).

 

En 1891, l'église était presque terminée mais il lui manquait un clocher. Des Saint-marcellins s'en inquiétèrent car le registre du conseil de fabrique nous apprend que le 7 mai, à l'occasion des fêtes johanniques, une pétition couverte de plus de 500 signatures de pères de famille fut présentée au Président de la République Sadi Carnot afin d'obtenir une subvention pour la construction du clocher. La réponse fut favorable, le chef de l'Etat ayant peut-être été également touché par le bouquet de fleurs offert le même jour à son épouse par les habitants de Saint-Marceau(). Il faudra cependant attendre encore plusieurs années avant que le clocher soit édifié. La bénédiction de l'église eut lieu le 6 septembre 1891, jour de la fête du saint patron. Symboliquement l'abbé Cornet transporta le Saint Sacrement de la vieille église à la nouvelle église et fit ses adieux à l'ancien sanctuaire(). La construction du nouvel édifice cultuel n'avait pu se faire qu'avec le concours de la Ville, de l'Etat et "grâce à la générosité des habitants de la paroisse Saint-Marceau et on peut dire de toutes les parties de la France qui ont contribué par leurs aumônes à édifier ce temple en l'honneur de Saint-Marceau et en souvenir de Jeanne d'Arc Libératrice de la Patrie"().

 

Un an plus tard, un nouveau chemin de croix dû à la générosité de plusieurs paroissiens fut béni par un père capucin, supérieur de la mission prêchée à Saint-Marceau pendant quatre semaines. Il semble que cette mission rencontra un grand succès auprès de la population :

"Nous [les membres de la fabrique] relatons ici pour mémoire que la Mission prêchée à Saint-Marceau du 20 mars au 17 avril a été bénie de Dieu et que chaque jour, sauf le samedi, à 8h¼ du soir une foule nombreuse que l'on peut évaluer en moyenne à 1 500 personnes venait entendre les paroles des R.R. Pères. Les conférences spéciales pour les hommes qui avaient lieu chaque Dimanche ne réunissait pas moins de quatre à cinq cents hommes"().

 

b) La consécration de la nouvelle église

 

De 1898 à 1900 eut lieu la construction du clocher de l'église. Son financement fut assuré par la fabrique (avec près de 40 000 francs qui furent placés en rente 3%) et par des dons et legs de personnes pieuses. L'idée directrice de ce clocher était pour l'architecte Dusserre de rappeler le souvenir de Jeanne d'Arc; pour rappeler son action lors de la prise des Tourelles, le clocher fut construit selon un style militaire :

"Les lignes droites du clocher sont coupées par des silhouettes de machicoulis, de créneaux, de tours et d'échauguettes donnant l'aspect d'une forteresse élancée"().

Une fine flèche avec à sa base les statues de Saint-Michel, Sainte-Catherine, Sainte-Marguerite et Dunois (le compagnon d'armes de Jeanne d'Arc) fut surmontée d'une statue colossale (5,50 mètres) en bronze représentant Jeanne d'Arc victorieuse, oeuvre d'un statuaire parisien. Le 21 juillet 1900, le clocher était terminé.

 

Le 7 mai 1901, jour anniversaire de la prise des Tourelles, la nouvelle église fut consacrée, en présence de monseigneur Touchet (évêque d'Orléans depuis 1894) assisté des évêques de Blois et de Quimper, des vicaires généraux, des curés d'autres paroisses de la ville, du clergé et des fabriciens de Saint-Marceau. A cette occasion, l'abbé Cornet et son évêque exprimèrent le désir de voir bientôt l'église de Saint-Marceau dédiée à Sainte Jeanne d'Arc :

"(...) Après l'accomplissement des Rites liturgiques, Mr le Curé de Saint-Marceau a célébré la Sainte-Messe au grand Autel nouvellement consacré. Il a pris la parole pour exprimer, avec tous ses sentiments de reconnaissance et ses voeux, l'espoir que cette Eglise élevée à la gloire de Dieu, en l'honneur de Saint-Marceau et en souvenir de Jeanne d'Arc porterait plus tard quand le S. Pontife aura fait briller au front de l'héroïne l'auréole de la sainteté le titre de S. Marcel et Ste Jeanne.

Sa Grandeur mgr l'Evêque d'Orléans a répondu que dans ce lieu Jeanne d'Arc avait combattu, que son sang y avait coulé et que cette Eglise était née de la pensée de Jeanne d'Arc, que son sang l'y avait fait germer. Puisse-t-elle y être invoquée un jour !"()

 

 

Deux cartes postales représentant la nouvelle église

de Saint-Marceau-bienheureuse Jeanne d'Arc au début du XXème siècle

(collection particulière)

 

Dans les années 1880, beaucoup d'églises furent construites à travers la France, avec l'encouragement du Vatican. A Orléans, trois églises, plusieurs fois dévastées au cours des siècles car implantées hors de l'enceinte du XVIème siècle ou dans les faubourgs furent réédifiées selon les conceptions architecturales de l'époque : Saint-Paterne (1876-1896), Saint-Marc (1878-1886) et Saint-Marceau (1888-1891).

 

Cette dernière, conçue par René Dusserre, un élève de Viollet-le-Duc, dont les idées étaient alors très en vogue, fut bâtie dans le style néo-roman du XIIème siècle. D'une longueur de 54 mètres (40 pour l'ancienne), surélevée afin d'éviter les inondations, elle pouvait contenir entre 1 500 et 1 800 personnes.

 

Quelques objets de l'ancienne église furent installés dans la nouvelle : les stalles provenant de l'ancien couvent des Augustins, l'autel du Sacré-Coeur et la chaire à prêcher qui fut celle de l'église du couvent des Minimes avant la Révolution. L'ancienne église fut démolie, excepté le choeur de la chapelle des catéchismes et la base du clocher, contre laquelle fut édifié le nouveau presbytère. Sur la première photo à droite de la nouvelle église, on distingue les vestiges de l'ancien clocher.

 

c) L'apothéose : la première paroisse dédiée à Jeanne d'Arc

 

La cause de Jeanne d'Arc avait été introduite par monseigneur Coullié, mais c'est son successeur qui obtint du Pape Léon XIII la béatification de la Pucelle d'Orléans (18 avril 1909) : déclarée bienheureuse, un culte particulier pouvait désormais lui être rendu. Dix jours plus tôt, le curé et les conseillers paroissiaux (successeurs des défunts fabriciens après la dissolution des fabriques) avaient adressée une demande auprès de l'évêque d'Orléans afin que leur église possède comme seconde patronne la bienheureuse Jeanne d'Arc(). Le 12 novembre 1910, le Pape Léon XIII accordait oralement à monseigneur Touchet cette faveur exceptionnelle : Saint-Marceau était la première paroisse française a être placée canoniquement sous la patronage de Jeanne d'Arc. Le sceau de la paroisse porta à partir de cette date la double dénomination de Saint-Marceau et de Jeanne d'Arc, bienheureuse titulaire de la paroisse(). Aussitôt, un autel fut construit dans l'église, autel qui allait être le premier au monde à être dédié à Sainte Jeanne d'Arc lors de sa canonisation en 1920.

 

Afin de rappeler davantage le souvenir de l'héroïne, la place aménagée devant l'église fut dénommée place Domrémy, en souvenir du village natal de la nouvelle patronne de la paroisse. Dans son prolongement et perpendiculairement à l'avenue Dauphine, une petite venelle devenue rue prit le nom de rue de Vaucouleurs en 1894().

Eglise Saint-Marceau

autel de Jeanne d'Arc, le premier au monde à être dédié à la sainte.

 

En 1892, la fabrique, n'ayant plus assez de ressources pour construire un nouveau presbytère, acceptait la proposition du curé Cornet d'en construire un avec son propre argent sur l'emplacement de l'ancienne église en cours de démolition. Cette décision était motivée par le profond désir de ne plus voir se renouveler une situation semblable à celle qui s'était déroulée en 1792 :

" Instruit par l'expérience et considérant que les Fabriques ont été dépouillées de leurs biens il y a cent ans, Mr le curé exprime sa volonté formelle que ce nouveau presbytère qui sera construit à ses frais et deviendra la propriété de la Fabrique, par le fait même qu'il sera bâti sur le terrain de la dite Fabrique lui soit garanti en tout état de cause et quels que soient les événements que nous réserve l'avenir comme son habitation personnelle jusqu'à sa mort (...)"()

Les faits devaient lui donner raison : 14 ans plus tard, il n'y avait plus de fabrique à Saint-Marceau.

 

C. La fin du régime concordataire

 

 

1. La loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat

9 décembre 1905

 

 

La période qui s'étend de 1880 à 1907 fut pour la France celle où les luttes antireligieuses ont été les plus longues depuis la Révolution, et plus particulièrement dans le domaine scolaire. En 1887, la nouvelle municipalité Robineau-Pineau (premier adjoint de l'ancien maire Sanglier subitement décédé) au sein de laquelle siégeait Fernand Rabier laïcisa l'école primaire publique congréganiste de Saint-Marceau, tenue par les Frères et ouvrit une école publique de filles dans le quartier().

 

a) Une décision devenue nécessaire

 

L'installation d'Emile Combes à la tête du gouvernement le 7 juin 1902 radicalisa la position de la République. Au début du XXème siècle, les relations entre l'Eglise et l'Etat s'étaient lentement détériorées : pour le leader radical Georges Clémenceau, le concordat était devenu un "discordat". Lors de l'affaire Dreyfus, les opposants au régime républicain s'étaient recrutés parmi les milieux cléricaux. Le meilleur moyen de les affaiblir était de séparer les cultes de l'Etat. Selon Pierre Pierrard, cette décision apparait

"de plus en plus inévitable à maints observateurs, cléricaux ou non, qui sont frappés par l'archaïsme des dispositions concordataires et par la situation permanente de suspicion ou d'hostilité qui oppose l'Etat au ministre des Cultes pris en charge par la loi depuis 1801"().

 

L'avènement de Pie X en 1903 accéléra la rupture, concrétisée le 30 juillet 1904 par l'interruption des relations diplomatiques entre la France et la Vatican. Le 9 décembre 1905, après un double vote de la Chambre des Députés (3 juillet) et du Sénat (6 décembre), le Président de la République Emile Loubet promulguait la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, mettant fin à un régime vieux de 104 ans : le concordat napoléonien.

 

b) Son contenu

 

Si la loi de séparation garantit le libre exercice du culte, elle n'en reconnait, n'en salarie ni n'en subventionne aucun (articles 1 et 2). Le prêtre n'est donc plus rétribué par l'Etat.

 

Dans un délai d'un an à partir de la promulgation de la loi, les biens mobiliers et immobiliers des Eglises doivent être transférés à des associations cultuelles formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice du culte (articles 4 et 19). A l'expiration dudit délai, les biens à attribuer seront placés sous séquestre et attribués ultérieurement à des établissements communaux d'assistance et de bienfaisance (articles 8 et 9).

 

Avant la dévolution des biens ecclésiastiques aux associations cultuelles, il était nécessaire de procéder à leur inventaire afin que l'Eglise pût constater que l'Etat ne lui dérobait rien().

" Dès la promulgation de la présente loi, il sera procédé par les agents de l'administration des domaines à l'inventaire descriptif et estimatif :

1° Des biens mobiliers et immobiliers desdits établissements;

2° Des biens de l'Etat, des départements et des communes dont les mêmes établissements ont la jouissance.

Ce double inventaire sera dressé contradictoirement avec les représentants légaux des établissements ecclésiastiques ou ceux dûment appelés par une notification faite en la forme administrative" (article 3).

Ce dernier point de la loi provoqua les plus grands remous, d'autant plus que les agents avaient reçu l'ordre de se faire ouvrir les tabernacles.

 

2. L'application de la loi à Saint-Marceau

 

 

a) L'inventaire de l'église

 

Jusqu'au 22 janvier 1906, date de l'inventaire de l'église Saint-Marceau, l'abbé Cornet fut assailli par des lettres comme celles ci-dessous de propriétaires d'objets et d'ornements cultuels placés dans l'église refusant de voir leurs biens être compris dans l'inventaire et revenir ainsi à la commune :

" Monsieur le curé,

Pour le vitrail de Saint-Louis dans la basse nef du côté de l'Evangile, je ne l'ai jamais donné pour qu'il appartienne à la Commune; si on prétend cela aujourd'hui je proteste et je réclame mon vitrail, j'aimerais mieux n'en rien faire que de la laisser à la Commune. Si on veut faire l'inventaire, dites leur bien cela"().

 

" L'horloge du clocher, que j'ai mise à la disposition de la Fabrique, n'a jamais été l'objet d'une donation; je tiens à me la réserver pour en faire selon les circonstances l'usage qu'il me conviendra.

Veuillez donc empêcher qu'elle ne soit comprise dans l'inventaire des biens de la Fabrique.

Je vous fais la même observation pour les statues de Saint-Marceau et de Saint-Antoine de Padoue, qui sont aussi ma propriété, ainsi que les supports sur lesquels ces statues sont placées"().

 

A Orléans comme dans tout le reste du diocèse, il semble que la résistance aux Inventaires ait été très faible, du fait de la grande indifférence de la population() : les Annales religieuses relatent ainsi des incidents survenus dans d'autres diocèses et non pas dans celui d'Orléans. Comme dans l'ensemble des paroisses de la ville, le curé et les fabriciens durent seulement par respect de la loi et sur les conseils de leur évêque, protester verbalement contre l'inventaire et refuser de le signer.

 

Afin d'éviter les incidents sur la voie publique après qu'un appel eut été placardé sur les murs de la ville engageant les républicains et les libres-penseurs à "barrer la route au clergé", le préfet du Loiret, par un arrêté pris le 15 juin 1906, interdit les processions de la Fête-Dieu à Orléans(). Cette mesure n'empêcha pourtant pas les habitants de Saint-Marceau d'organiser leur procession, qui se déroula dans le parc du château des Montées. Son propriétaire avait déjà manifesté sa piété en prenant à sa charge un vitrail de la nouvelle église réalisé en souvenir de la première communion de son fils. Il devait plus tard faire partie du groupement paroissial de Saint-Marceau().

 

L'intransigeance de Pie X (dans l'encyclique Vehementer nos du 11 février 1906, il avait condamné la loi de séparation "comme profondément injurieuse vis-à-vis de Dieu qu'elle renie officiellement"()) et son refus d'accepter les associations cultuelles entraînèrent la confiscation des biens ecclésiastiques, conformément à la loi du 9 décembre.

 

b) La dissolution de la fabrique

 

Au mois de décembre 1906 eurent lieu les dernières réunions du conseil de fabrique de Saint-Marceau, afin de clore les registres et d'arrêter les comptes de l'exercice 1906.

 

Le 11 décembre 1906, soit un an après son inscription au Journal officiel, la loi de séparation entrait en vigueur, marquant pour l'Eglise "la fin d'une ère"(). Stanislas Touchet, évêque d'Orléans, s'adressa une dernière fois aux membres des fabriques en rendant hommage à leur action méritoire :

" Lettre à MM. les Conseillers de Fabrique

Messieurs les Conseillers de Fabrique

 

Vos fonctions se terminent le 12 au soir.

Je ne puis vous laisser sortir de vos Conseils, sans vous remercier, avec la cordialité la plus affectueuse et la plus émue, pour vos éminents services.

Grâce à votre sollicitude, les finances de nos paroisses, importantes ou humbles, ont été habilement et honnêtement gérées. Jamais vous ne manquâtes à vos engagements. Jamais on n'entendit parler ni de malversations survenues parmi vous, ni simplement d'imprudence. Vous avez toujours fait figure particulièrement honorable parmi les gérants de la fortune publique en France.

Vos oeuvres furent parfois considérables.

Ici et là, vous avez bâti des presbytères, des églises, des chapelles. Vous avez relevé les ruines accumulées par la grande révolution. Vous avez enrichi nos temple de verrières, d'orgues, de cloches. Vous avez rempli nos sacristies d'ornements sinon toujours riches, au moins toujours convenables.

De tout cela, au lendemain du 12 prochain, nous serons dépouillés. Des commissaires-séquestres s'en empareront.

Quand les administrateurs sages s'en vont, la maison s'en va.

Ce vous est une tristesse de penser à ces ruines.

A moi, ce m'est une douleur. Mais peut-être pas pour le motif que vous supposez. Vous pourriez penser que la perte de ces humbles richesses m'afflige : non, c'est leur transfert. Je n'ai jamais vu nulle part que le bien mal acquis ait longuement profité.

Je regrette que la conscience de mon pays soit chargée devant l'histoire et le monde civilisé de celui-là.

Chers Messieurs, de loin je vous serre la main comme je vous l'ai serrée tant de fois de près.

Stanislas, Evêque d'Orléans"()

 

Le 15 décembre, l'évêque et une douzaine de prêtres dont le curé de Saint-Marceau et l'un de ses vicaires furent condamnés par le juge de paix à payer une amende pour infraction sur la loi de 1881 sur les réunions publiques : à défaut d'associations cultuelles, le clergé tombant dans le droit commun devait obtenir une autorisation préalable avant de pouvoir célébrer la messe, ce qu'il avait omis de faire(). Dans bien des cas, les curés eux-mêmes provoquaient les contraventions, afin de montrer à la population le comportement odieux des autorités civiles().

 

Jusqu'à la loi de séparation, les biens des églises étaient gérées par des associations reconnues par l'Etat : les fabriques. A partir du mois de décembre 1906, elles n'avaient plus aucune existence légale. L'absence des associations cultuelles catholiques entraîna la mise sous séquestre de leurs biens.

 

Au début de l'année 1907 fut formé à Orléans un comité consultatif de douze jurisconsultes chargés d'étudier les revendications et les demandes en révocation de fondations dans le diocèse. Ayant construit le presbytère à ses frais sur le terrain de la fabrique, le curé de Saint-Marceau, sur les conseils du comité, mena une action en reprise pour recouvrer ce bâtiment destiné à son propre usage et ne tombant donc pas dans le domaine public(). Dans le même but, les biens grevés d'une charge quelconque (messes ou autres services) mis sous séquestre purent être réclamés par leurs donateurs().

 

Conformément à la loi de 1905 reprise par celle du 2 janvier 1907, les biens de la fabrique de Saint-Marceau furent attribués à la Ville afin d'être affectés aux établissements communaux de bienfaisance et d'assistance. L'actif de l'ancienne fabrique était très peu important : quelques pièces de terre et une maison. Pour reconstruire l'église, il avait fallu en effet y consacrer la presque totalité des ressources disponibles en rentes sur l'Etat et en biens immobiliers. Bien plus, son passif était estimé à plus de 31 000 francs, somme due sur l'emprunt de 60 000 francs contracté en 1888 auprès du Crédit Foncier pour la nouvelle église().

 

Réunis le 20 janvier 1911 à l'Hôtel de Ville en présence du maire, aucune des commissions administratives représentant le Mont de Piété, les Hospices et le Bureau de bienfaisance d'Orléans ne souhaita poursuivre l'attribution de l'actif de l'ancienne fabrique à leur profit en prenant le passif à leur charge. Finalement un décret du Président de la République Fallières du 9 décembre 1911 attribua les biens de l'ancienne fabrique de Saint-Marceau à l'Hôpital d'Orléans, l'Etat reprenant à sa charge une partie des hypothèques et des dettes non payées().

 

3. Une nouvelle ère pour la paroisse Saint-Marceau

 

 

a) Un clergé rapproché de ses fidèles

 

Contrairement à ce que pensaient plusieurs contemporains, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat apporta à l'église la liberté et "un extraordinaire ferment de renouveau"(). A partir de 1905, une vie nouvelle commençait pour les catholiques français :

" Le maintien du culte ne dépendait plus du gouvernement mais du zèle des fidèles et en particulier de leur générosité financière puisque l'entretien et la propriété des églises leur revenait désormais (...)"()

La disparition du lien entre l'Eglise et l'Etat contribua en effet à rapprocher le curé de ses ouailles, comme le faisait remarquer l'évêque d'Orléans en 1906 :

" Si nous élevions le fait au-dessus de ce qu'il a de personnel, peut-être y verrait-on la manifestation commençante d'un esprit nouveau et d'une orientation nouvelle dans le catholicisme français.

L'Eglise séparée de l'Etat qui la soutenait et l'appuyait (c'était la fiction légale), devra chercher son appui non plu dans la bureaucratie et la loi, ce qui est souvent mort, mais dans les masses profondes des populations chrétiennes, ce qui est toujours vie"().

 

Deux oeuvres paroissiales bénéficiaient d'une grande vitalité à cette époque sur la paroisse :

- le patronage des garçons, fondé par Jules Caillette, né à Orléans en 1867 et vicaire de Saint-Marceau de 1899 à 1910. Implanté sur la toute récente rue de Vaucouleurs, il proposait comme activités un cercle d'études, de la gymnastique et du théâtre.

- le patronage des jeunes filles, installé dans l'établissement des sourdes-muettes tenu par les Soeurs de la Sagesse. Les animations y étaient les mêmes que pour les garçons().

 

b) Force d'un mouvement laïc : l'Union Paroissiale Saint-Marceau

 

A côté de ces oeuvres tenues par des religieux, un nouveau rôle était donné aux laïcs, comme dans toutes les paroisses françaises : entre 1905 et 1914, des associations diocésaines et paroissiales se constituèrent dans plusieurs diocèses. Succédant aux défuntes fabriques, mais avec des pouvoirs plus limités (plus de droit de regard dans l'exercice du culte), des conseils paroissiaux furent établis dans chaque paroisse du diocèse. Chargés d'assister le curé dans son administration, ces comités purement consultatifs dont les membres étaient nommés par l'évêque avaient pour mission de formuler des avis sur le budget et les comptes, ces derniers étant arrêtés et signés par le curé seul().

 

En 1908 fut fondé sur la paroisse un mouvement d'apostolat laïc : l'Union Paroissiale Saint-Marceau, "association libre d'hommes ayant pour but de grouper tous ceux qui, dans un esprit libéral, veulent développer et défendre les intérêts religieux, moraux et matériels de la paroisse"(). Groupant des hommes de toute condition sociale (et non plus les seuls "notables" selon l'article 3 de l'ancien décret de 1809 sur les fabriques()), le groupement paroissial conciliait activités intellectuelles (cercles d'études) et réunions de détente (jeux de cartes par exemple). L'année même de sa fondation, la paroisse Saint-Marceau était la première d'Orléans à inaugurer le "banquet paroissial" présidé par monseigneur Touchet. En 1912, devenu chanoine de Sainte-Croix, l'abbé Cornet quitta Saint-Marceau et fut remplacé par Jules Thoret, qui avait fondé dans sa précédente cure un groupement paroissial très vivant().

 

Nous terminerons notre étude par le récit du banquet paroissial de 1913, qui témoigne de la vitalité du sentiment religieux dans la paroisse Saint-Marceau à la veille de la Première Guerre Mondiale et sept ans après la loi de séparation:

 

" Monseigneur à Saint-Marceau

Mgr l'Evêque d'Orléans, accompagné par M. l'abbé d'Allaines, vicaire général, a, le dimanche 12 janvier, présidé la IVe fête religieuse du Groupement paroissial.

A la grand-messe, après le rapport de M. le Curé sur l'état actuel de l'Union paroissiale de Saint-Marceau, Sa Grandeur l'en remercie d'abord, puis, après avoir rappelé élogieusement l'ancien curé, M. le chanoine Th. Cornet, elle recommande aux hommes de l'Union l'esprit d'apostolat envers leur entourage et la fidélité aux messes mensuelles. Aux jeunes gens, elle offre, comme modèle, cet "archer de Jeanne d'Arc", dont nous parlent les vieilles chroniques, qui fut chargé d'envoyer au bout de sa flèche, aux Anglais, l'ordre d'évacuer leurs bastions. A tous les paroissiens, elle souhaite une année fervente et chrétienne.

A la fin du banquet, qui réunit 205 hommes - et après les toasts de M. Paul Desfossé, président de l'Union [horticulteur]; de MM. Cléret et Jouanneau, Monseigneur se lève au milieu des acclamations : il se félicite de tout ce qu'il vient d'entendre. L'Union Paroissiale de Saint-Marceau a été peut-être la première en pleine activité dans le diocèse; son intensité de vie, après plusieurs années, prouve à quels besoins réels elle répondait, et le dévouement de tous ses membres. Monseigneur ne peut donc que souhaiter à ses auditeurs la continuité de leurs efforts : des événements récents et tout proches ont montré que les idées d'égalité entre tous les citoyens, de justice à l'égard des enfants pauvres (qu'ils soient élevés dans des écoles chrétiennes ou des écoles laïques !) n'avaient pas réussi à pénétrer encore certains cerveaux : le travail persévérant des Groupements paroissiaux obtiendra ce résultat et par là, conduira au but suprême que nous devons nous proposer, faire oeuvre de liberté et de paix sociale !

De vifs applaudissements saluèrent cette entraînante conclusion"().